Play all audios:
4. Les hypothèses dans lesquelles l’accès au juge s’est vu simplifié au gré des réformes et des évolutions jurisprudentielles sont multiples. Certaines permettent un élargissement du champ
d’application des procédures collectives, en bousculant les conditions de son ouverture (A), d’autres sont davantage visibles lors du déroulement de celle-ci (B). A – L’ACCROISSEMENT DE
L’EMPRISE DES PROCÉDURES COLLECTIVES 5. La dernière décennie a été marquée par l’intronisation législative de nouvelles procédures collectives qui, mathématiquement, permettent à
l’entreprise en difficulté d’accéder plus aisément au juge. C’est ainsi qu’à la suite de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, dite « loi de sauvegarde »7, qui a instauré la procédure de
sauvegarde sur laquelle nous reviendrons, l’ordonnance du 12 mars 20148 ainsi que la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 20109 ont respectivement mis en place une procédure de sauvegarde
accélérée et une procédure de sauvegarde financière accélérée. Ces procédures, réservées aux grandes entreprises10, ont pour trait commun d’être en réalité semi-collectives, puisqu’elles
n’affectent pas tous les créanciers, seuls ceux devant déclarer leur créance ou se voir appliquer le régime des contrats en cours le sont11. 6. L’accès au juge y est cependant affirmé,
puisque ces deux procédures font office de « session de rattrapage » pour le débiteur qui ne serait pas parvenu, avec l’aide d’un conciliateur, à faire adopter un accord de conciliation avec
une majorité de ses créanciers. De plus, et surtout, elles permettent de placer sous un certain contrôle judiciaire la pratique des plans de cession dits prepack, dans lesquels les
créanciers, le débiteur, le cessionnaire et, souvent, un mandataire ad hoc ou un conciliateur parviennent à s’entendre préalablement sur une cession partielle ou totale de l’entreprise. Cela
permet d’éviter les lourdeurs de la procédure de liquidation judiciaire, qui est traditionnellement la seule dans laquelle un plan de cession peut se rencontrer. Ainsi, l’accès au juge est
facilité, d’autant plus que la preuve de la cessation des paiements n’est pas nécessaire dans ces deux procédures12, et le tout permet un regard judiciaire bienvenu afin notamment d’éviter
les abus que pourraient être tentés de commettre un cessionnaire peu scrupuleux face à un débiteur en difficultés financières. 7. Toujours en matière de sauvegarde, la Cour de cassation a
été sensiblement dans le même sens que le législateur en facilitant l’accès à cette procédure, et donc au juge, par l’interprétation qu’elle a réalisée de la condition d’ouverture de cette
procédure, les fameuses « difficultés que le débiteur ne peut surmonter » de l’article L. 620-1 du Code de commerce. En effet, par la célèbre décision Cœur Défense13, la Cour de cassation a
décidé que ces difficultés n’avaient pas nécessairement à affecter l’activité économique du débiteur – il s’agissait en l’espèce d’une problématique d’assurance obligatoire, qu’un bailleur
d’immeuble n’arrivait pas à obtenir, en pleine crise financière de 2008 – et que, par ailleurs, elles pouvaient tout à fait toucher une société holding. En outre, peu importe que le résultat
de l’ouverture de la procédure de sauvegarde soit la possibilité, pour le débiteur, d’échapper à ses obligations contractuelles. La seule limite posée par la Cour de cassation est la
démonstration d’une fraude commise par le débiteur, étant entendu que cette fraude est absente si le débiteur demande l’ouverture d’une procédure de sauvegarde en vue d’échapper à ses
obligations contractuelles, tant qu’il parvient à établir la difficulté textuellement exigée. Il ressort alors de cette jurisprudence un appel d’air que certains auteurs ont dénoncé14, mais
qui apparaît sous un autre angle comme une possibilité d’accéder au juge en cas de difficultés financières de manière simplifiée par l’action de la Cour de cassation. 8. Derrière cette
vision libérale de la difficulté se cache en réalité la réalisation de l’un des objectifs du législateur, matérialisé par la Cour de cassation, de faciliter l’accès des débiteurs le plus tôt
possible à des procédures collectives n’ayant pas d’effets trop graves sur le tissu économique. Naturellement, si la difficulté est traitée en amont de l’état de cessation des paiements,
les répercussions sur ce tissu sont plus douces. Sans doute pour cette raison, la Cour de cassation a-t-elle pris cette position spectaculaire dans l’arrêt Cœur Défense. L’accès au juge est,
dans ces conditions, plus simple au stade de l’ouverture de la procédure collective. La même conclusion peut être atteinte concernant dorénavant le déroulement de la procédure. B – LA
PROPAGATION DE L’ACCÈS AU JUGE EN COURS DE PROCÉDURE COLLECTIVE 9. Un domaine est particulièrement intéressant à examiner concernant l’accroissement de l’accès au juge en matière de
procédure collective, celui de la déclaration de créance15. Il propose en effet traditionnellement la mise en exergue de nombreux litiges ; sa contemplation permet alors sans aucune mesure
d’examiner les potentialités de l’accès au juge. 10. L’une des évolutions les plus remarquées de l’ordonnance du 12 mars 2014 a été de mettre fin aux problématiques antérieures rencontrées
lorsque la créance n’est pas déclarée par le créancier lui-même, mais par un mandataire. Dans ce cas, et hors l’hypothèse d’une déclaration réalisée par un avocat, le mandataire devait
justifier d’un mandat spécial donné aux fins de déclaration, ce qui était source d’un contentieux considérable16. Désormais, l’article L. 622-24 du Code de commerce, alinéa 2, prévoit que «
le créancier peut ratifier la déclaration faite en son nom jusqu’à ce que le juge statue sur l’admission de la créance »17. La logique de la déclaration de créance, lorsqu’elle est réalisée
par un mandataire du créancier, s’est ainsi déplacée du mandat ad litem au terrain plus souple de la représentation, permettant à rebours un accès simplifié au mandataire, et, en creux, une
reconnaissance plus aisée pour les créanciers de leurs créances. 11. L’ordonnance du 12 mars 2014 ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. L’article L. 622-24 du Code de commerce, alinéa 3,
issu de cette réforme, permet cette fois-ci au débiteur de déclarer les créances de ses créanciers, en leur lieu et place. Ainsi, « lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance
du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n’a pas adressé la déclaration de créance »18. En dépit de quelques réserves doctrinales
minoritaires19, il semble que cette disposition nouvelle permette à la liste des créanciers, que le débiteur doit remettre en début de procédure au mandataire20 de faire présumer d’une
déclaration de créance réalisée pour le compte du créancier. 12. Encore faut-il cependant que la déclaration ainsi réalisée par le débiteur comporte le montant de la créance au jour du
jugement d’ouverture ainsi que, le cas échéant, le montant des sommes à échoir et la date de leurs échéances, au sens de l’article L. 622-25 du Code de commerce. Ce texte semble indiquer
qu’à défaut de la présence de l’ensemble de ces éléments, la présomption de déclaration n’est pas en mesure de jouer. C’est pourtant le contraire qu’a décidé la Cour de cassation21. Elle y
précise qu’en cas d’information incomplète sur la créance transmise par le débiteur au mandataire, la présomption n’a d’effet que dans la limite de cette information : la présomption n’est
alors pas écartée, mais elle ne peut jouer que sur les éléments transmis au mandataire. Cette position permet alors, concrètement, au créancier de simplement compléter la déclaration lorsque
les informations transmises sont imprécises, plutôt que de devoir réaliser une déclaration de créance intégrale. 13. L’accès au juge – ici, précisément, l’accès au mandataire en vue de
déclarer sa créance – ressort ainsi naturellement renforcé par ces spectaculaires avancées menées de concert par le législateur et par la jurisprudence. Il l’est tout autant par un autre
courant jurisprudentiel récent, rendu à propos de l’interprétation de l’article L. 622-27 du Code de commerce. Ce texte indique qu’au sein de la phase de vérification des créances, le
créancier qui s’est abstenu de répondre à une contestation émise par le mandataire sous 30 jours perd, à titre de sanction, la possibilité de contester ultérieurement la proposition du
mandataire relative à cette créance, sauf si la discussion amorcée par le mandataire ne porte que sur la seule régularité de la déclaration de la créance. Il semble que toutes les autres
discussions, qui ne portent pas sur cette seule régularité, soient potentiellement affectées par la sanction textuelle. 14. Ce n’est pas la position prise par la Cour de cassation, ce qui
permet un accès au juge garanti plus largement, alors même que le texte souhaite clairement le réduire. Ainsi, si la contestation trouve sa source tant dans la régularité de la déclaration
que dans l’existence de la créance, la sanction est écartée22. De même, si la contestation porte sur une autre créance, qui pourrait, au bout du compte, se compenser avec la créance
déclarée, la sanction légale ne s’applique pas non plus23. Ces positions sont révélatrices de la volonté de la Cour de cassation de restreindre la sanction textuelle. Il semble que désormais
cette sanction ne s’applique que lorsque la contestation porte uniquement sur la créance, précisément sur son existence, son montant ou sa nature, à mille lieux de l’esprit de la lettre de
l’article L. 622-27 du Code de commerce. 15. Dans ces conditions, il semble aisé de conclure a priori à un accès au juge facilité en matière de déclaration de créance, comme d’ailleurs en ce
qui concerne l’ouverture de la procédure collective, à la suite des dernières réformes et des dernières précisions de la jurisprudence. Le législateur comme la Cour de cassation paraissent
mettre en avant tant le nécessaire accès simplifié à la procédure afin de résoudre les difficultés de l’entreprise le plus rapidement possible avant qu’elles ne soient irrémédiables que
l’opportunité pour le créancier de déclarer sa créance largement, ce qui, au fond, est compatible avec l’idée de protection de celui-ci dans la reconnaissance du droit de créance qu’il
possède24. Cette analyse est toutefois simpliste. Loi et jurisprudence contemporaines ne sont pas marquées, loin s’en faut, par le sceau de l’unité s’agissant de l’évolution de l’accès au
juge en matière de procédures collectives, un certain nombre de points mettant en effet en avant davantage une restriction de cet accès qu’une facilitation, ce qu’il convient désormais
d’examiner.