Play all audios:
Nicolas Revel propose dans une note de cibler les médecins souhaitant pratiquer des dépassements d'honoraires, en les obligeant à travailler quelques jours par mois dans des déserts
médicaux. Il y a trois semaines, la proposition de loi dite "Garot", portée par le député PS de la Mayenne Guillaume Garot, a été adoptée en première lecture à l'Assemblée.
Elle prévoit d'encadrer l'installation des médecins, pour lutter contre les déserts médicaux, réclamant le départ d'un médecin pour autoriser l'installation d'un
autre, dans les zones "surdotées". La loi n'est pas adoptée, et poursuit son chemin entre les deux chambres parlementaires ; dans le même temps, la profession continue de se
mobiliser pour refuser toute réforme dans ce sens, jugée inefficace. Et dans une note publiée ce lundi par Terra Nova, un cercle de réflexion marqué au centre-gauche, le directeur général de
l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), Nicolas Revel, a apporté sa contribution au débat. Le haut-fonctionnaire va plus loin que les mesures proposées par l'article 1 de la
PPL Garot - face à laquelle le gouvernement a déjà émis un avis défavorable - et souhaite des consultations obligatoires dans les déserts médicaux, pour tous les médecins souhaitant
pratiquer des dépassements d'honoraires. AUGMENTER LE NOMBRE DE PROFESSIONNELS Nicolas Revel évoque d'abord un "besoin d'augmenter le nombre de professionnels en
exercice", élargissant même la question au-delà des seuls médecins. "Ce sont aujourd’hui de nombreuses professions de santé qui sont en réalité entension, sur des parties très
étendues du territoire, y compris au cœur de la région parisienne d’ailleurs, mais aussi de nombreuses spécialités médicales", appuie-t-il. Mais face à ce constat, il développe une
liste de trois erreurs à éviter. D'abord, se concentrer uniquement sur la formation initiale, alors que le fameux numerus closus a été levé pour permettre de former plus de médecins. Il
prévient : l'objectif de former 16.000 nouveaux médecins par an revient à former un jeune sur 50, un chiffre élevé, alors même qu'on ne connaît les besoins en médecins d'ici
30 ans. Il privilégie donc le recours massif à l'alternance et aux formations complémentaires, pour que des soignants développent de nouvelles compétences, "sans avoir forcément
interrompre complètement leur activité, à un stade déjà avancé de leur parcours". Installation régulée: pourquoi les médecins sont-ils en grève? Autre erreur selon lui, oublier que les
médecins et soignants sont aujourd'hui plus mobiles et plus exigeants sur leurs conditions de travail : il faut donc "leur donner envie de choisir cette carrière, dans les métiers
et les structures où se situent nos besoins", prévient Nicolas Revel. De quoi déboucher sur sa principale recommandation: il faut réguler l'endroit où travaillent les médecins,
mais aussi les spécialités qu'ils peuvent choisir. > "Avons-nous réellement besoin d’augmenter le nombre de > cardiologues, d’ophtalmologues ou plus encore de dermatologues
> esthétiques exerçant, évidemment en secteur 2, dans les > centre-villes de nos grandes métropoles? Pire encore, comment > éviter que les médecins généralistes que nous formons ne
se > consacrent, quelques années plus tard, à la médecine du > bien-être, la nutrition ou la sophrologie, comme on le voit déjà > dans beaucoup de cabinets de ville?" "Le
statu quo n’est plus possible car la tendance à la concentration des installations dans les grands centres urbains va s’exercer de manière durable et puissante, notamment pour les médecins
spécialistes, en raison à la fois de logiques économiques (possibilité de dépassements d’honoraires), professionnelles (aspiration à des exercices mixtes ville-hôpital) et sociologiques
(emploi du conjoint, qualité de vie, etc.)", souligne encore le directeur de l'AP-HP. Il rejette néanmoins la limitation de l'installation prévue dans la loi Garot: et pour
cause, il souligne qu'elle reviendrait à déplacer les médecins vers les zones aux pourtours des grandes villes surdotées, et sans réel impact sur les déserts médicaux. Il formule donc
une proposition simple: combiner la contrainte sur les installations et celle sur les spécialités - notamment pour les médecins en secteur 2 pratiquant les dépassents d'honoraires. >
"Tout médecin installé en secteur 2 devrait consacrer quelques > jours dans le mois à des consultations dans un site choisi par > l’Agence régionale de santé, évidemment équipé
en fonction de > sa spécialité, à tarif opposable et avec une garantie minimale de > revenus", appelle-t-il de ses voeux. NE PLUS GÉRER LA SANTÉ DE FAÇON COMPTABLE Cette
proposition abrasive s'accompagne d'une analyse détaillée de la situation des finances publiques, et notamment de la branche maladie de la Sécurité sociale. Nicolas Revel rappelle
que les dépenses accélèrent de plus de 4% par an, alors même que le système n'est soutenable qu'en dessous de 2,5%. Le déficit, de 13,8 milliards d'euros en 2024, n'est
plus circonstanciel mais structurel, alourdi selon lui par les augmentations salariales - près de 14 milliards d'euros annuels environ - allouées aux soignants lors du Ségur de la
santé. Partant du principe que le déficit ne peut pas se poursuivre, et qu'il est illusoire de penser qu'on peut augmenter les impôts (CSG notamment) ou les cotisations pour le
financer, il estime aussi qu'il faut revoir la gestion financière des soins. Celle-ci implique ces dernières années de réduire les financements des actes de soins, de baisser les taux
de remboursement, ou d'exclure des soins d'un remboursement. Autant d'outils "légitimes", mais arrivés au bout de leur efficacité. > "Si nous voulons attirer
vers les métiers du soin et surtout donner > des raisons d’y rester, nous ne pourrons plus demain faire de la > recherche tous azimuts de productivité sur le dos des soignants le >
vecteur principal de régulation de la dépense de santé", explique > Nicolas Revel. Il invite surtout à jouer sur la demande de soins, rappelant que 20 à 30% des dépenses de santé le
sont dans le cadre de soins évitables. Plusieurs mesures sont alors nécessaires: une meilleure évaluation de la qualité des soins - et non de leur seule quantité; le regroupement des
services hospitaliers sur de grandes structures; rémunérer les médecins et les hôpitaux en fonction de l'atteinte d'objectifs de santé, et non d'objectifs financiers. Nicolas
Revel évoque enfin la nécessité d'investir dans la prévoyance, pour limiter la demande de soins: il rappelle que la France consomme plus de tabac que la moyenne, que nous nous vaccinons
moins quand les vaccins ne sont obligatoires, ou que nous dépistons moins bien les cancers. Surtout, la prise en charge des pathologies chroniques fait défaut, et amène des dépenses
supplémentaires : la moitié des patients atteints de troubles cardiaques, par exemple, ne prenait pas un traitement optimal au moment de crises, qui elles-mêmes engendrent une dégradation de
leur état de santé, et des frais supplémentaires pour la collectivité. Valentin Grille