Le jeune loup plaît au vieux lion

Le jeune loup plaît au vieux lion

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« _Voici venu le temps des jeunes lions !_ » s’était exclamé Arnaud Montebourg en 2007, au lendemain de sa réélection à l’Assemblée Nationale, alors qu’il s’envisageait déjà en socialiste «


_nouvelle formule _». C’est avec un autre félin, le « _vieux lion de Belfort_ » que le candidat à la primaire socialiste a débattu hier soir lors d’un colloque intitulé : « _L’Europe dans la


mondialisation : que faire ?_ » organisé au Palais-Bourbon. Loin de l’atmosphère « cimetière des éléphants » qui se dégage parfois des symposiums socialistes, ce numéro de duettistes


correspondait à ce que l’on serait en droit d’attendre de véritables primaires : on y parla politique, et pas seulement stratégie individuelle. L’un des protagonistes de l’événement ne


participera pas aux «_primaires citoyennes de la gauche _». Il ne souhaite en aucune façon s’engager dans ce processus qui contraindra les vaincus à adouber le vainqueur. Les militants du


Mouvement Républicain et Citoyen présents dans la salle font d’ailleurs circuler une brochure rédigée par le « Ché » : « _Pourquoi je serai candidat_ ». Comme en 2007, le sénateur de Belfort


se réserve la possibilité « _d’y aller _». Sans accepter pour autant de lever le doute, il affirme avoir pour principale ambition de « _peser dans le débat_ ». Le colloque commence par une


mise en bouche de l’économiste Jacques Sapir, auteur de _La démondialisation_, qui intervient aux côtés du journaliste économique Jean-Michel Quatrepoint, et du président de la Fondation


Terra Nova, que Montebourg finira par moucher : « _Alain Minc est désormais plus à gauche qu’Olivier Ferrand_ » ! Ce dernier recycle l’antienne selon laquelle « _l’euro nous protège_ »,


ouvrant un échange musclé avec Sapir et Quatrepoint. Un tel débat souligne sans simagrées les profonds désaccords entre les « deux gauches ». L’une interventionniste et volontariste est


souvent nommée « souverainiste ». L’autre, plus libérale que sociale, conserve une foi intacte dans les bienfaits du « _doux commerce_ » et dénonce rien de moins que le « _protectionnisme


bestial_ ». Devant ce fossé idéologique, on se demande si ces deux gauches seront un jour réconciliables, voire si le clivage droite-gauche reste pertinent. Aujourd’hui, la véritable ligne


de démarcation politique ne séparerait-elle pas les sociaux-libéraux des nationaux-républicains ? Quoi qu’on en pense, la confrontation entre experts des deux bords a l’immense mérite de


soulever cette question. Avec les deux vedettes de la soirée, Jean-Pierre Chevènement et Arnaud Montebourg, il a aussi été question de politique. Mais de débat, il n’y en a guère tant leurs


vues convergent. Le public venu en nombre assiste davantage au scellement d’une entente qu’à une confrontation. Les légères nuances sur l’appréciation de la crise, qui semblent un temps


apparaître, se dissipent rapidement. Pour le belfortain, l’euro est ainsi « _la question centrale_ » ignorée par les candidats socialistes à La Rochelle. Or, Chevènement ne réclame pas une


mise à mort immédiate de la monnaie unique mais entend dévaluer un euro surcoté par rapport au dollar et au yuan. Sauver la monnaie unique : tel est le « plan A » que Chevènement souhaite


voir appliqué pour ne pas contraindre les gouvernements à revenir aux monnaies nationales et à transformer l’euro en simple monnaie extérieure commune. A ses côtés, Arnaud Montebourg ne dit


pas autre chose: «_ un responsable politique peut craindre l’écroulement de l’euro, mais il ne peut pas parier là-dessus (…) je défends une stratégie de monétisation de la dette _ ».


Visiblement, les secousses estivales générées par la « _nervosité des marchés_ » et le second plan de sauvetage de la Grèce ont décillé les yeux de celui dont Daoud Boughezala disait ici


même avec raison : « _Montebourg ne remet jamais explicitement en cause l’indépendance de la Banque Centrale Européenne. La responsabilité des gouvernements européens coupables d’une


surévaluation de l’euro par rapport au dollar et au yuan n’est pas évoquée _(dans son livre _Votez pour la démondialisation_) ». Jeune et vieux lion veulent donc pousser la BCE à intervenir


directement sur les marchés[1. Comme elle l’a fait cet été en rachetant des titres de dette italienne et espagnole.], quitte à violer de façon consciente et assumée les traités de Maastricht


et de Lisbonne. Ils posent d’ailleurs le même diagnostic : l’euro n’est pas une monnaie économique. Elle souffre d’un vice de conception qui a fait diverger gravement les économies de la


zone, et nous a amenés dans une situation périlleuse. Mais tous deux concèdent qu’en dépit de ses tares, l’euro mérite d’être sauvé, pour ne pas nous faire sombrer avec lui. D’autres points


d’accord se font jour entre le sénateur et le député. S’il est attendu de voir Chevènement réaffirmer la nécessité d’une défense française indépendante, il n’en est pas moins rassérénant


d’écouter Montebourg regretter « _l’abaissement des fonctions régaliennes de l’Etat_ ». Dans ces conditions, on comprend que l’aîné assure son cadet de son « _estime _ ». Et Chevènement


d’ajouter, comme pour l’adouber, que Montebourg « _fraye les chemins de l’avenir _». La lune de miel va si loin que le socialiste exhorte l’assemblée à « _voter Jean-Pierre Montebourg_ » au


premier tour de la primaire ! On l’aura compris : les deux hommes font front commun contre la mondialisation et le système néolibéral. Au train où vont les choses, l’on ne serait pas surpris


d’entendre bientôt murmurer « _Chevènement soutient Montebourg_ ». Vous venez de lire un article en accès libre. Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son


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