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En quelques clics, la conseillère passe en revue la situation professionnelle du jeune homme. Son parcours est heurté : après avoir échoué à obtenir un baccalauréat STI (sciences et
technologies industrielles) l’an passé, il a décroché un contrat à durée déterminée dans une mairie picarde en tant qu’auxiliaire scolaire. Mais son contrat s’est arrêté en novembre. Au
chômage, Nathan décide alors de monter son entreprise d’e-commerce et perçoit l’aide à la création versée par France Travail. Mais Cathy tique. Le profil de Nathan, accessible aux
recruteurs, est incomplet. Il n’y a ni CV en ligne ni trace de sa création d’une entreprise. Elle décide de l’appeler pour plus d’explications. Le téléphone sonne mais personne ne répond.
Cathy lui laisse un message vocal et décide de programmer un autre appel, une semaine plus tard. _« C’est un temps incompressible car on doit lui envoyer un courrier officiel »,_ précise
celle qui contrôle en moyenne sept chômeurs par jour. En parallèle, la conseillère va contacter son collègue chargé de l’accompagnement de Nathan. C’est la règle : les agents chargés du
contrôle ne rencontrent jamais physiquement les demandeurs d’emploi. _« On est une sorte de troisième œil,_ confie Smaïl Dhamene, directeur des contrôles pour les Hauts-de-France. _On
regarde si le demandeur d’emploi effectue une recherche active d’un emploi. Mais aussi si nos agences ont tout fait pour l’aider, en lui proposant des formations adaptées par exemple. »_
Car, chez France Travail, les contrôles s’intègrent de plus en plus dans l’accompagnement des chômeurs. Depuis mi-2024, huit régions, dont les Hauts-de-France, expérimentent une méthode qui
va être généralisée à toutes les agences ces prochaines semaines. Exit les sanctions automatiques lorsqu’un demandeur d’emploi ne se présente pas à un rendez-vous. Désormais, son dossier est
transmis à un conseiller qui examine l’ensemble de sa situation avant toute décision. _« Rater un entretien, cela peut arriver,_ justifie Jean-Pierre Tabeur, le directeur des services aux
demandeurs d’emploi à France Travail. _La personne peut avoir un problème de transport, un enfant malade ou même être en entretien d’embauche. La sanction automatique, c’est injuste et cela
pénalise souvent les plus fragiles. »_ Les radiations définitives sont rarissimes. En 2024, sur les 600 000 personnes contrôlées, 17 % ont été radiées un mois avec suppression de leur
allocation. Un chiffre stable depuis 2016. La grande majorité des contrôles effectués (55 %) confirment la recherche d’emploi et 21 % débouchent sur des actions de remobilisation. _« Les
demandeurs d’emploi sont souvent seuls dans leur recherche et peuvent se décourager, _détaille Claire Duhennes, responsable des contrôles à Boves. _Notre mission consiste souvent à les
remotiver. »_ __Avec des résultats tangibles : un demandeur d’emploi contrôlé retrouve en moyenne deux fois plus vite un travail dans les six mois qu’un autre chômeur. Même les syndicats de
France Travail, volontiers assez critiques, se montrent positifs. _« Auparavant, le contrôle et l’application des sanctions étaient très automatiques,_ observe Nathalie Jourdin, déléguée
syndicale centrale. _Là on prend vraiment le temps de décortiquer la situation du demandeur d’emploi dans son ensemble. C’est plus humain. »_ Reste que la pression politique est forte. Le
gouvernement veut quasiment tripler le nombre de contrôles de chômeurs d’ici à 2027 pour passer la barre de 1,5 million. A cette fin, France Travail va renforcer ses équipes de contrôle qui
doivent passer de 600 à 900 conseillers cette année. _« Le problème c’est qu’on dépouille d’autres services pour augmenter le nombre d’agents chargés de contrôler les chômeurs,_ déplore la
syndicaliste Nathalie Jourdin. _Donc, in fine, il y aura une perte d’effectifs pour assurer correctement toutes nos missions. » _Or, dans les deux ans à venir, l’opérateur va aussi devoir
prendre en charge les quelque 3 millions bénéficiaires du RSA, un changement qui découle de la loi Plein-emploi de 2023. Le tout dans un contexte de remontée du chômage. De quoi mettre les
agents de France Travail sous tension.