J’ai réfléchi à la façon de changer le monde le temps d’une soirée avec des inconnus

J’ai réfléchi à la façon de changer le monde le temps d’une soirée avec des inconnus

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Conçus pour réfléchir collectivement aux enjeux et aux solutions pour lutter contre le réchauffement climatique, les ateliers de la « Fresque des nouveaux récits » attirent des participants


de tous horizons / © Virginie Jannière pour Enlarge your Paris Se retrouver avec des inconnus de tous horizons pour débattre d'écologie pendant trois heures et trouver de nouvelles façons


d'en parler, de manière plus positive. C'est ce que nous invitent à faire les ateliers de la « Fresque des nouveaux récits » qui s'adressent à tous et où s'est rendue Virginie Jannière le


temps d'une soirée à Vanves.


« Mais qu’est-ce que c’est encore ce truc d’écolos moralisateurs ? Une bonne série sous un plaid serait quand même plus cool », me souffle mon petit diable les yeux rivés sur Uber Eats, prêt


à dégainer une commande chez le Japonais. J’avoue donc m’être un peu fait violence pour me rendre à la « Fresque des nouveaux récits » plutôt que de m’affaler sur mon canapé. J’avais bien


entendu parler des ateliers de la Fresque du climat censés nous sensibiliser aux grands enjeux climatiques. Mais qui pouvait bien se rendre un lundi soir de mars, en pleine grève, dans cette


petite rue de Vanves (Hauts-de-Seine) pour réfléchir sur l’avenir de la planète ? Certainement des gens hyper concernés qui ont le tri sélectif dans le sang, la friperie solidaire en


étendard et la permaculture sous le bras. Ma surprise a été à la hauteur de mon traînage de pieds.


19 h. Je rejoins les 12 autres participants dans une petite salle pour l’occasion par une association à La Fresque des nouveaux récits. Premier soulagement : ils s’appellent Bernard ou


Marion, ont 22 ou 65 ans, s’habillent en chemise fantaisie ou en hoodie décontracté. Aucun ne se ressemble. Second soulagement : les deux animatrices restent simples dans leur propos et


n’ont aucune envie de culpabiliser leur auditoire, ce que je redoutais le plus. On se sépare en deux équipes. Dans mon petit groupe de six personnes, trois jeunes gens, dont une femme


enceinte de plus de huit mois – le courage ! –, sont des « potes venus là juste comme ça » parce qu’ils se lancent des défis écolos dans leur groupe WhatsApp « Zéro déchet ». Puis il y a


Jean. Ce cadre de chez Orange dénote un peu avec sa chevelure blanche et ses petites lunettes rondes le faisant ressembler à s’y méprendre à l’écrivain Daniel Pennac. J’avoue que son look


d’ancien cancre me rassure. Il a la blague facile, avoue être ici car sa fille ne jure que par la permaculture et parce qu’il est chargé d’animer un séminaire écoresponsable dans son


entreprise. Enfin, il y a Pierre, un vigneron quinquagénaire de la région Bourgogne, qui ressemble davantage à un prof d’HEC qu’à un homme de terrain. Quoi qu’il en soit, il se montre hyper


éveillé aux enjeux climatiques du monde agricole, et moi, j’essaie d’oublier mes a priori.

Trouver des solutions pour lever les verrous


Autour d’une table, l’animatrice nous distribue des cartes. Nous devons relier la carte « Récit imaginaire » placée au centre de la table à une trentaine de cartes expliquant ce qui pousse


l’être humain à se raconter des histoires, mais aussi ce qui entraîne la surconsommation, la division sociale, les normes « socio-écocidaires » ou l’immobilisme de masse. À chaque fois, nous


devons trouver les solutions à ces « verrous ». Peut-être parce que j’aime jouer, et que l’ambiance est bon enfant, je rentre immédiatement dans la réflexion collective. Nous nous


connaissons depuis dix minutes et nous débattons de ce qui bloque nos esprits face à l’urgence climatique. Après une pause de quelques instants, l’animatrice nous explique que nous devons


maintenant rédiger, en équipe, un récit nous projetant vers un futur désirable.


Jean – alias Daniel Pennac chez Orange – et Pierre – le vigneron d’HEC – seront mes acolytes. Qu’avions-nous en commun pour imaginer une belle histoire ? Peu de gêne entre nous mais chacun a


envie d’imposer ses idées. Après un moment de désaccord, l’animatrice nous fait remarquer que nous n’avons plus beaucoup de temps. Nous devons agir. L’histoire d’un psychologue au chômage


devenu vigneron en coopérative nous vient en un éclair ; nous imaginons que la fin des pesticides allait entraîner l’éradication des maladies mentales. Le trio de « potes », lui, imagine un


dialogue entre la jeune femme enceinte et son enfant qui vit désormais dans un monde de locavores. Nous rions et nous nous attendrissons des détails de nos courtes histoires, certes quelque


peu bancales. L’animatrice nous fait prendre conscience que le chronomètre est là pour faire résonner ce moment avec le tic tac de l’urgence climatique.

Créer l’enthousiasme


Nous repartons fiers d’avoir pu imaginer une histoire originale et positive. Ce soir, je n’aurais donc pas changé le monde mais j’aurais agi à mon niveau en rallumant un peu de mon


enthousiasme endormi par les nouvelles alarmistes. Je sens d’ailleurs que je ne suis pas seule. Je me prends à rêver que cet enthousiasme ne me quittera plus et qu’il est la clé pour


combattre l’urgence climatique. L’animatrice conclut la séance par les mots de l’anthropologue Jason Hickel : « Heureuse coïncidence que ce que nous devons faire pour survivre est aussi ce


que nous devrions faire pour être heureux ». De mon côté, le bilan est bon : ce soir, j’ai évité le menu « chirashi saumon B2 », j’ai abandonné tous mes clichés sur les ateliers de


sensibilisation écologique et j’ai écrit à six mains avec des gens bien éloignés de mon univers, mais tout aussi concernés. Je rentre chez moi, avec une petite lumière en plus, actionnée


quelque part dans un coin de ma tête. Bien sûr, ce n’est pas encore Versailles, mais ça tombe bien, économisons l’énergie.


Infos pratiques : « Fresque des nouveaux récits », à partir de 10 € pour un atelier de trois heures. Plus d’infos sur les lieux et les dates des prochains ateliers sur


fresquedesnouveauxrecits.org


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