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La spécialité de Clément Lanot, directeur de l'agence CL Press : être présent sur toutes les breaking news et mouvements sociaux.
Quasi autodidacte, il a réussi à se démarquer grâce à ses vidéos sur le mouvement des « gilets jaunes ». Il aurait pu choisir de rejoindre des rédactions nationales mais a préféré monter sa
propre agence, CL Press, devenue une référence en images d’actualité française et internationale.
Ses images rivalisent avec celles de l’AFP ou de Reuters. Une boutique Louis Vuitton attaquée à la voiture bélier pour la troisième fois (2025), des scènes de fête, place de la République, à
l’annonce des résultats des élections législatives (2024), une voiture encastrée dans une bouche de métro à Paris (2018)… Derrière les vidéos CL Press : Clément Lanot. Sa ligne éditoriale :
être présent sur toutes les breaking news et mouvements sociaux.
À 27 ans, le journaliste est à la tête de sa propre agence de presse, co-fondée en décembre 2019 avec sa mère — qui l’épaule sur les aspects administratifs. Une décision prise quelques mois
après le mouvement des « gilets jaunes », au cours duquel ses séquences en intégralité, sans commentaire et au cœur des échauffourées entre manifestants et forces de l’ordre, ont été
reprises par des médias nationaux et étrangers. L’ancien journaliste reporter d’images (JRI) indépendant embauche depuis environ un an des pigistes, une dizaine pour l’heure, basés dans la
capitale, en région, mais aussi en Outre-mer et à l’étranger — il précise s’appuyer sur la convention collective nationale des journalistes. Lui-même s’est déjà rendu en Martinique, en
Espagne ou encore en Belgique.
« On n’est pas encore CNN avec des centaines de personnes », concède-t-il. Pourtant, CL Press est « très utile pour une chaîne comme la nôtre qui ne peut pas couvrir toutes les
manifestations en France », affirme Saskya Vandoorne, manager de la chaîne américaine d’info en continu à Paris. Elle vante les mérites de ce « ace journalist » (hors pair), après avoir
découvert sur Twitter (désormais X), sa couverture live des « gilets jaunes ». Son expérience en terrain hostile, comme lors des émeutes après la mort de Nahel, lui ont permis de mieux
coordonner ses équipes, en les envoyant directement au plus près des événements.
Son ami et associé, Samuel Boivin, ex-photographe de presse, récupère à distance son flux live, découpe les extraits pertinents à transmettre aux rédactions, avant publication sur les
réseaux sociaux. Et quand le directeur ne se rend pas à moto (une BMW F900XR noire) sur le terrain, « il est sur son ordi, cherche à développer l’agence. Il pense CL Press 24 heures sur 24
», explique Samuel Boivin. Le rédacteur en chef du pôle vidéo au Parisien, Julien Sofianos, s’amuse d’une anecdote : « Un jour, Clément m’écrit : “Je suis sur l’autoroute avec ma copine,
mais il se passe ça, je fais le détour (pour faire des images)”. »
Parmi ses clients réguliers : TF1, France 2, BFMTV, Le Parisien, Streetpress, Brut, ou Associated Press — les tarifs d’achat sont « négociés » et « confidentiels », indique-t-il. Ces médias
viennent chercher une marque de fabrique, mentionnée par la plupart des personnes interrogées : « toujours au bon endroit, au bon moment, le premier » pour « montrer l’évènement », résume
Nicolas Marut, l’ex-directeur adjoint de la rédaction de BFMTV qui fut son principal interlocuteur pour la chaîne info entre 2018 et 2024. Il se demande toujours comment Clément Lanot
parvient à être autant connecté à l’action, lui qui était le premier sur le meurtre de Lola (2024). « Mes parents pensent que j’ai une radio de flic », sourit l’intéressé. Ses sources et ses
clients sont « des rencontres sur le terrain, parfois de la chance. Quand j’ai commencé (à vendre des images), j’allais toquer aux cars satellites, je disais : “J’ai des images, montrez-les
à vos chefs.” Je forçais de ouf », se souvient-il. Aujourd’hui, les chaînes le contactent directement. Il a par ailleurs signé en 2023 avec l’INA un contrat de distribution non exclusif de
ses vidéos.
Clément Lanot grandit, avec son frère faux jumeau, à Clichy (Hauts-de-Seine). Père contrôleur de gestion, mère secrétaire dans un syndicat immobilier. Enfant, il regarde The Social Network
(film sur les débuts de Facebook, sorti en 2010) et se rêve web designer. À 15 ans, il contacte une boîte de production (Uptown) qui fait des vidéos pour des Youtubeurs et crée pour eux des
sites Internet. Avec cet argent de poche, il s’offre sa première caméra, une Canon XF100. Lycéen autoentrepreneur, il crée des vidéos pour des clients et les regroupe sur une chaîne YouTube
privée, CL Prod.
Surviennent les attentats du 13 novembre 2015, alors qu’il passait la soirée « devant un James Bond ». Il regarde alors BFM toute la nuit et se dit : « Des journalistes prennent des risques
pour que chez moi, au chaud, je puisse savoir ce qui se passe, c’est beau ! » Il filme les hommages aux victimes des attentats, place de la République — son premier reportage.
« Il passait déjà ses week-ends et fins de soirée en manif »
Bac scientifique en poche, il décroche le concours de l’IEJ, école de journalisme privée, mais choisit un BTS public audiovisuel. « Il passait déjà ses week-ends et fins de soirée en manif
», se remémore son ami, Joachim Gonzalez, chef de production de l’information à TF1. Il vend en 2016 sa première image à la télé, une voiture de police brûlée. « Un jeudi, pendant les manifs
contre la loi Travail, il y avait une autre manif de syndicats de police à République. […] J’ai envoyé un texto à un mec d’iTélé, Frédéric Plisson, que j’avais dû croiser pendant les
hommages de 2015 : “est-ce que ça vous intéresse ?” »
À la même époque, Hugo Travers — qu’il connaît en collaborant à son média participatif, Radio Londres — le sollicite pour tourner/monter les vidéos de sa chaîne Youtube, Hugo Décrypte. Il en
réalise les premières mais, souhaitant être journaliste à plein temps, trouve son remplaçant.
L’année 2016 est charnière. Sur le terrain, il rencontre Laurent Bortolussi, rédacteur en chef de Line Press, qui le forme à couvrir des manifestations. Puis est repéré pendant le mouvement
Nuit debout (fin mars 2016) par Valérie Hermitte, ex-cheffe adjointe du service enquêtes et reportages de France 2, qui le guide sur le contradictoire en interview et lui apprend à bien
vendre ses images aux agences de presse — « il ne précisait pas “no access France” et on les avait gratuitement via l’AFP ».
En avril, il intègre la troisième et dernière promo du Monde Académie, orientée sur l’audiovisuel, « un trop bon souvenir ». Aujourd’hui co-fondateur et rédacteur en chef de Heidi.news,
Serge Michel, co-concepteur de l’initiative avec Florence Aubenas, grand reporter au Monde, se souvient de quelqu’un de « déter », avec « de l’énergie, de la volonté et des compétences ».
Son ancienne camarade Juliette Fevre, vidéojournaliste au Mouv’, complète le portrait : « Téméraire, à partir en manif avec l’équivalent d’un gilet pare-balles. Et humainement, très gentil,
très doux. » Il remporte un prix « Jeunes Talents » assorti d’une bourse de 3 000 euros, et achète sa première grosse caméra. « C’est comme si j’avais gagné la Coupe du monde. »
« Harcelé au collège, maintenant je suis journaliste, heureux »
L’année suivante, il transforme son compte Google privé « CL News » (créé en 2016) en compte public « CL Press », pour se démarquer d’iTélé qui devient CNews. Et apprend, à BFMTV, à tourner
« dans un contexte d’info », explique son ancien maître de stage François Pitrel, journaliste environnement et alors JRI.
Il obtient sa première carte de presse en 2019. Valérie Hermitte, de France 2, l’aidera en attestant du caractère journalistique de son travail auprès de la CCIJP, la commission délivrant le
sésame. « Un gros chapitre », dit Clémént Lanot, que des chaînes refusaient de payer en pige car « ça coutait trop cher ».
Après deux ans à couvrir l’actualité, très heureux de recevoir ma première carte de presse ! Pas évident de l’obtenir en tant que JRI free-lance, sans école de journalisme, sans rédaction…
mais c’est une belle reconnaissance. pic.twitter.com/3yIDcDrx0D
Depuis ses débuts de journaliste, il dit arriver à être autonome financièrement. S’il a globalement augmenté son salaire par rapport à ses débuts au Smic, c’est parce qu’il « travaille de
plus en plus ». Mais « c’est un stress de dépendre de l'actualité », avec des revenus fluctuants selon les mois, souligne-t-il.
« Vivre avec Clément, ce n’est pas de tout repos […] Il y a trois ans, on avait prévu de faire Noël en famille. Il reçoit un coup de fil : une fusillade dans un centre kurde [à Paris]. Lui
se retrouve dans les lacrymos et moi à acheter la dinde », se marre sa copine, qui requiert l’anonymat. Elle l’incite parfois à faire des courtes pauses face à une actualité parfois
violente. En 2021, il est en reportage dans une free-party illégale à Redon (Ille-et-Vilaine), pendant laquelle un homme perd sa main, lors d’affrontements entre participants et forces de
l’ordre. « Je vois l’os, les tendons qui se baladent. Tu rentres, t’y repenses quelques jours après », confie Clément Lanot.
Se voit-il à la tête de CL Press toute sa vie ? « Peut-être qu’à 40, 50 ans, j’aurai une famille », s’interroge-t-il avant de convoquer ses parents : « Je pense qu’ils sont fiers. Harcelé au
collège, maintenant je suis journaliste, heureux, j’ai confiance en moi. » Son confrère (chez Brut) et ami, Rémy Buisine, y voit « une revanche sur le destin ». Sa marraine de promo au
Monde Académie, Florence Aubenas, parle d’« une vraie leçon de journalisme. Pour la plupart des manifs, je m’informe avec Clément Lanot. C’est une sacrée fierté de l’avoir croisé, c’est un
très grand talent de sa génération. »
Dans un livre consacré à Brut, Aurélie Aubert, enseignante et chercheuse, revient sur la création de ce média et analyse les modifications profondes qu'il a imposées à la production de
contenus sur l'ensemble du paysage médiatique. Entretien.
Une initiative, une rencontre, des circonstances, des compétences particulières : quatre journalistes racontent ce qui a déterminé leur entrée sur le marché du travail.