« gilets jaunes » : gabin formont, retour sur un an de vécu

« gilets jaunes » : gabin formont, retour sur un an de vécu

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Capture d'écran d'un reportage de l'émission Quotidien consacré à Gabin Formont, créateur de Vécu, le média du « gilet jaune ». © Crédits photo : Quotidien / TMC / Capture


d'écran. « GILETS JAUNES » : RÉCITS DE MÉDIATISATION - ÉPISODE 5/5 Anonymes et inconnus des médias avant les premières occupations de ronds-points le 17 novembre 2018, ils et elles sont


devenus au fil de l’an passé des figures emblématiques de la protestation des « gilets jaunes ». Comment ces personnes ont-elles vécu leur médiatisation ? Épisode 5 de notre série avec


Gabin Formont, créateur de « Vécu », le média du « gilet jaune ». Xavier Eutrope Publié le 14 novembre 2019 Gabin Formont nous a reçu chez lui dans le courant du mois de septembre. Le quasi


trentenaire, créateur de Vécu, « le média du gilet jaune », nous propose à boire. Une bouteille d’eau fera l’affaire. L’entretien se déroule sur son balcon, sous un ciel gris, avec quelques


gouttes de pluie de temps en temps. Comparée à celle d’autres figures du mouvement, le jeune homme a vécu une médiatisation bien particulière. Car à travers son média — au départ une page


Facebook créée le 16 décembre —, il a décidé de couvrir les manifestations et les actions du mouvement social. Les racines du projet remontent toutefois au 17 novembre, date du premier


week-end de mobilisation des « gilets jaunes ». « Je ne crois même pas avoir compris au début que les gens sortaient pour le prix des carburants, mais je sentais qu'une révolte se


préparait, et ça me parlait. » Après avoir participé à la tentative de blocage du périphérique parisien, il s’est rendu le 19 novembre dans la Creuse, à Guéret, devant le magasin Leclerc. Il


y réalise une première vidéo, postée sur son compte Facebook personnel, dans laquelle il explique avoir vu la police arriver et menacer d'asperger de gaz les personnes présentes, dont


des lycéens. « La vidéo durait 30 secondes. Elle a fait 2 millions de vues et 90 000 partages en quelques jours. » Après cet épisode, Gabin Formont a continué de participer aux


manifestations, filmant avec son téléphone des vidéos qu’il publiait ensuite sur Facebook. COMBLER UN MANQUE DANS L’ESPACE MÉDIATIQUE Ce sont les violences policières qui l’ont finalement


décidé à créer Vécu. « Elles n’étaient pas traitées par les médias, ou alors pas correctement et pas suffisamment », dénonce-t-il. Initialement, le média était présenté comme étant celui « 


du gilet jaune ». « Pas dans le sens DES « gilets jaunes », parce que je ne prétendais pas que c'était le média de tous les « gilets jaunes », mais c'était mon média, celui du « 


gilet jaune » qui veut se reconnaître dans cette information. ». De nouveaux contenus (vidéo, en direct ou non, textes, photos) sont publiés sur la page, plusieurs fois par jour. Et la


subjectivité ne lui pose pas de problème. « Il y en a marre de faire croire que les médias ne donnent pas leur avis, alors que l’on voit très bien une prise de position dans leurs questions.


Je préfère que quelqu'un me dise de quel côté il est, mais fasse un travail de qualité, parle aux deux parties et pose des questions à tout le monde. » > « L'idée est que je 


fasse une info différenciante, qui répond > au besoin des gens » Un évènement en particulier a accru la médiatisation et la visibilité autour de Vécu et de son fondateur. Lors de la 8e


semaine de mobilisation, le 5 janvier, une information circule : une jeune Belge participant au mouvement aurait perdu la vie suite à tir de balle de défense dans le visage. Il s’est


finalement avéré que rien de tout cela n’était arrivé. Dans plusieurs articles, notamment un publié par Checknews, Gabin Formont est cité pour son travail de vérification poussé, filmé en


direct, qui a contribué à établir les faits. « Je disais à tout le monde : « Attention, il ne faut pas s'emballer, on n'a aucune preuve. » C'est effectivement pour ça que


j'ai été médiatisé, mais ce n'est pas ça qui a fait exploser Vécu, clame-t-il. » Il nous donne ses chiffres : 20 000 abonnés la première semaine, aujourd’hui plus de 90 000. « Je


réponds à un besoin. L'idée est que je fasse une info différenciante, qui répond au besoin des gens. » Par la suite, de nombreux médias se sont intéressés à son profil, des _Inrocks__


_jusqu’à _Libération__ _en passant par France 2 et France Inter. Gabin Formont évoque le bon accueil des manifestants avant même cet épisode, mais aussi la méfiance de certains membres de la


profession. « Certains remettaient en question ce que je faisais, se demandaient si je pouvais être considéré comme un journaliste. On sentait quand même une certaine peur de leur part,


qu’on vienne piquer leur bout de pain. » Il évoque « un petit peu de mépris, pas de tous heureusement », ainsi que « beaucoup de soutien de la part de très bons journalistes », ajoutant ne


pas se soucier de ça, n’étant pas là pour essayer d’être journaliste mais bien pour « changer les choses ». Ces retours positifs, c’est ce qu’il l’a décidé à poursuivre l’aventure. Car Gabin


Formont a pensé à arrêter toutes ses activités liées aux « gilets jaunes » à la suite de la 12e semaine de mobilisation du mouvement, le 2 févier, après avoir été  « éjecté » de la


manifestation. Il l’expliquera peu après, face caméra.  « J'ai été blessé sur le moment, j'avais une bronchite chronique à cause des gaz, j’étais arrivé très fatigué à la manif, il


faisait froid et je me fais éjecter. J’ai fait cette vidéo en disant que j'étais dégouté et que je voulais arrêter. Et puis j'ai reçu plus de 10 000 messages de soutien dans les


heures qui ont suivi. Deux heures après, j'avais déjà changé d'avis. » FAUSSE ALERTE Quelques mois plus tard, Gabin Formont et Vécu refont parler d’eux à l’occasion de la


publication d’une information, faisant état du décès de manifestants lors de la 30e semaine de mobilisation, le samedi 8 juin. L’information a été démentie le lendemain par la préfecture de


l’Hérault. « J'avais mis au conditionnel dès le début », se défend-t-il, très rapidement après que nous ayons abordé le sujet. Il évoque les multiples sources à l’origine de cette


information ainsi que l’agitation dans les commentaires de son live. « Quand je suis arrivé au bar pour faire une pause, des personnes sont venues me voir pour dire qu’elles avaient eu la


confirmation par un tiers. Elles me donnent le numéro de quelqu’un qui allait pouvoir appuyer ce qu’elles me disaient. J'appelle et la personne a l’air tout à fait droit dans ses


bottes, parlant normalement, argumentant. J'ai bien posé la question, je lui ai demandé si elle était sûre que ça avait été confirmé par l'hôpital. Elle m’a dit que oui. Ça faisait


trois sources différentes, je l’ai annoncé. » Le trentenaire était alors « fatigué, gazé, sous le choc ». « J'étais fragile et je n'ai pas consulté mon équipe, ce que je fais


normalement tout le temps. C'est ma plus grosse erreur. J'apprends. Je ne ferai pas deux fois cette connerie. » Les réactions médiatiques et commentaires qui ont suivi, Gabin


Formont raconte ne pas les avoir regardés : « Ça me déprimait. ». « Je me moque de ce que l’on va penser de moi », tient-il à préciser. « Ce qui m’embête, c’est que je n’ai pas maitrisé mon


image, ça m'a dépassé. Des dizaines de milliers de gens me connaissent maintenant. Je garde en tête que mon objectif n’est pas d’être un héros ou un sauveur. Je veux juste participer à


construire quelque chose de mieux, de nouveau. » > « Je veux juste participer à construire quelque chose de mieux, > de nouveau » Aujourd’hui, il souhaite développer le média qu’il a


créé, en élargissant l’équipe de contributeurs. « Je l'ouvre à des citoyens reporters. On n'a pas besoin d'être journaliste pour traiter toute l'information, même si


c'est bien d'avoir des vrais journalistes pour des enquêtes approfondies. Pour faire un live en manifestation et montrer ce qu’il se passe, il y a besoin de quelqu'un sachant


s'exprimer et poser des questions. » Vécu a ainsi publié à plusieurs reprises des vidéos prises lors des récentes manifestations à Hong-Kong par une personne spécialement envoyée sur


place. « Vécu, c'est mon activité 24 heures sur 24, à 100 % », confie Gabin Formont. « Pour l'instant, j'arrive à vivre de ce boulot que je me suis construit. » Sa source de


revenu : un Tipee ouvert en mars dernier. Lors de notre entretien en septembre, le jeune entrepreneur expliquait récolter 1 500 € sur le mois en cours, et 2 007 € le mois précédent. Au


moment de la rédaction de cet article, 2 521 € ont été récoltés en octobre. De manière séparée et dans le cadre d’un partenariat, Le Média verse de l’argent à l’association de loi 1901 qu’a


constitué le trentenaire pour encadrer ses activités. « Je travaille pour eux, produis du contenu, fais du live et ils ne me posent pas de questions sur mes sujets. Ça se passe très bien et


je suis libre. Ils m’aident, mais pour l'instant, je n’ai pas touché à cet argent. Je me constitue une trésorerie, on ne sait jamais ce qui peut arriver. » Gabin Formont dissocie ces


deux activités. « Ce que je fais pour Le Média, c’est autre chose. L’idée est de construire Vécu ». Un développement qui pourrait passer par la création d’un site internet qui amalgamerait,


un peu à la manière d’un multiplex, différents flux de vidéos _live_ captés dans de multiples villes les jours de manifestation. « C'est assez technique, mais il faut que je le fasse. »


LA MISSION DES MÉDIAS EN QUESTION Avant que n’émerge le mouvement des « gilets jaunes » et le lancement de Vécu, Gabin Formont n’avait pas « une trop mauvaise vision des médias »,


confessant aussi qu’il ne s’était jamais vraiment intéressé à eux. Son opinion est désormais plus tranchée. « Il suffit d'aller à une manif et d'écouter BFM TV ou LCI le lendemain


ou le soir même pour être outré, on se moque de nous. Le mouvement des « gilets jaunes » a marqué une rupture et avant de la rattraper, il y a du boulot. » Lors de notre entretien, le


reporter a soulevé ce qui lui apparaît comme un problème : le traitement du nombre de manifestants défilant. « Il faudrait annoncer deux chiffres ou aucun, mais pas un seul, même en


précisant que c’est celui de la préfecture, car les gens ne voient que ça ». La manière dont les sujets sont abordés poserait également question, il estime ainsi que les journalistes ne vont


pas nécessairement au fond des choses. « Les problèmes aujourd’hui sont profonds, démocratiques ou dans le partage des richesses. On est loin du carburant. Les gens ont évolué sur plein de


choses. » Finalement, le problème remonterait plus haut, jusqu’à la question de la mission des médias et de leur propriété. « J'ai une vision un peu naïve de la chose : pour moi les


médias sont un outil au service du bien commun. Ils ne doivent pas être au service des milliardaires, au service de l'État. Ils devraient être un contre-pouvoir au service du peuple. Ce


n’est plus le cas aujourd’hui. » À un moment de l’interview, Gabin Formont s’est mis à chercher quelque chose sur son smartphone. Au bout de quelques secondes et de plusieurs essais


infructueux, il retrouve l’article 7 du complément à la déclaration des droits de l’homme de 1936 et nous le lit : « La liberté des opinions exige que la presse et tous les autres moyens


d’expression de la pensée soient affranchis de la domination des puissances d’argent ». Et d’ajouter : « Il n’y a pas 36 raisons qui poussent un milliardaire à acheter un média, c’est un


gouffre financier, mais ça permet de faire du lobbying pour ses intérêts, d’influencer l’opinion publique. » Gabin Formont estime qu’il faut avoir « les couilles de défendre ce qui doit


l’être ». En l’occurrence, ici, la liberté de la presse. « Les journalistes commencent à prendre conscience de ça, parce qu’ils en ont peut-être marre que tout le monde dise qu’ils font


n’importe quoi ou sont à la solde du pouvoir. » « GILETS JAUNES » : RÉCITS DE MÉDIATISATION - ÉPISODE 1/5 Anonymes et inconnus des médias avant les premières occupations de ronds-points le


17 novembre 2018, ils et elles sont devenus au fil de l’an passé des figures emblématiques de la protestation des « gilets jaunes ». Comment ces personnes ont-elles vécu leur médiatisation ?


Épisode 1 de notre série avec Priscillia Ludosky, autrice de la pétition sur les prix de l’essence.