Anne holtrop, l’architecte poète de la matière

Anne holtrop, l’architecte poète de la matière

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Ce Néerlandais qui navigue entre la Hollande et Bahreïn érige des musées, agence des boutiques de luxe et dessine un mobilier arty. Avec toujours la même constance : célébrer, expérimenter,


révéler les matériaux. Publicité Il vient tout juste de livrer le Siyadi Pearl Museum à Bahreïn. Situé à Muharrak, dans une région à la tradition millénaire d’exploitation des perles, le


bâtiment nécessitait une extension, une refonte également. Afin d’accentuer les qualités historiques et esthétiques de cette construction en pierre corallienne, Anne Holtrop en a supprimé


moult ajouts ornementaux, a modernisé les façades et a prolongé les murs existants. À cet effet, il a mis en œuvre un nouveau procédé de plâtrage, appliquant une première couche rugueuse,


suivie d’une seconde lisse, partiellement apposée en surface, permettant une finition texturée qui laisse apparaître les deux couches de plâtre. « _Je tenais à évoquer une forme de patine,


ne surtout pas faire table rase du passé_ », assure l’architecte néerlandais. Le musée, qui abrite une importante collection de pièces Cartier, ainsi que le fonds propre au musée national de


Bahreïn, entretient un lien fort avec son environnement extérieur. Il est entièrement éclairé à la lumière naturelle ; la qualité des perles se devant d’être jaugée à celle du jour. Au


rez-de-chaussée, de grandes portes vitrées pivotantes permettent d’accéder aux galeries d’exposition comme de laisser pénétrer la lumière. Leur texture translucide contraste avec les tons


terreux des salles abritant les vitrines présentant bijoux et perles en vrac. Les parois de la galerie principale sont, elles, recouvertes de feuilles d’argent, apposées sur une base de


plâtre, qui vibrent d’une même opalescence que la nacre. «_ L’argent est un matériau très sensible aux intempéries, l’humidité de l’air salin et les impuretés qu’il contient, comme le soufre


ou l’oxyde, _explique Holtrop_. Cette détérioration par le passage du temps peut être envisagée comme un embellissement ; du noircissement de la feuille d’argent émerge un mystérieux


raffinement. Il est essentiel que mes constructions soient liées au contexte dans lequel elles s’inscrivent, tout en étant adaptées aux conditions atmosphériques._ » > Découvrez


l’intégralité de F, Art de vivre À sa façon, Anne Holtrop inaugure une nouvelle forme de brutalisme onirique. Si ses bâtiments découlent de formes géométriques massives qui s’imbriquent dans


un chaos poétique, lui préfère au béton brut – matériau tant chéri de ses prédécesseurs modernistes des années 1950 à 1970 – de nouvelles matérialités. «_ Je m’intéresse au processus que


subit la matière pour passer d’un état à un autre. Comment, sous l’effet persistant de la gravité, un matériau à l’état fluide peut se fixer et durcir. Comment une matière peut en influencer


une autre lors de processus de fabrication : j’explore par exemple le verre moulé sur du gypse, le béton coulé sur du sable._ » Des expérimentations qui trouvent déjà une application au


Customs House, le bureau de poste principal de Manama, capitale de Bahreïn, et bientôt présentes au Misk Art Institute de Riyad. « _Je suis originaire des Pays-Bas, j’ai ouvert mon premier


cabinet à Amsterdam en 2009. Après avoir remporté le concours pour le premier pavillon national de Bahreïn à l’Expo de Milan en 2015, j’ai déménagé là-bas pour sa conception en 2014. J’étais


et je suis toujours très intéressé par le Moyen-Orient. Je trouve l’aridité des paysages extrêmement puissante et belle. Il s’agit de matières premières mises à nu devant vos yeux. Il


suffit de déplacer ces matériaux dans un ordre différent, comme le furent pensés les monts funéraires de Dilmun, à Bahreïn, il y a six mille ans, pour créer des œuvres signifiantes.


Convaincu que chaque architecture doit être spécifique à un site, j’aime travailler avec la matérialité d’un lieu, la modifier pour créer de nouvelles formes…_ » DÉCONSTRUIRE POUR EXPLORER


LES POSSIBILITÉS Entouré d’une équipe de quinze collaborateurs en son studio de Bahreïn et de cinq personnes à sa chaire de recherche et d’enseignement de l’École polytechnique de Zurich –


car l’architecte est également professeur –, Anne Holtrop a également développé les boutiques de Maison Margiela à Paris, Londres, Osaka et Shanghaï. « _Nous avons travaillé en étroite


collaboration avec John Galliano sur un nouveau concept_, raconte-t-il._ Ce qui était inspirant et très intéressant, c’est qu’il avait analysé l’œuvre de Martin Margiela à travers sept


codes. Ces codes décrivaient davantage des processus, des systèmes et des modes de fabrication des vêtements qu’un style. Nous avons donc appliqué ces codes à l’architecture._ » D’où des


espaces déconstruits, tout en asymétries fluides, ornés de murs et de colonnes moulés à l’empreinte de textiles faisant des plis et des creux, afin de donner l’illusion de tissus se gonflant


dans le vent. > « J’aime travailler avec la matérialité d’un lieu, la > modifier pour créer de nouvelles formes… » > Anne Holtrop Pour les boutiques de la créatrice de bijoux


Charlotte Chesnais, Anne Holtrop a érigé des éléments monolithiques translucides évoquant des cascades d’eau figées dans lesquelles viennent s’incruster les parures. « _J’aime travailler sur


des commandes de marques de mode, car cela permet d’avoir une notion du temps différente de celle de l’architecture, qui est beaucoup plus lente en termes de développement._ » Le créateur


expérimente également pour la très prospective galerie bruxelloise Maniera un mobilier arty, constitué de luminaires totems en aluminium coulés au sable, de consoles à partir d’encastrements


de plaques de marbre et de lampes en fonte de verre pigmenté. « _Le verre est de plus en plus présent dans notre travail, dit-il. C’est un matériau riche et ambigu. Il laisse certes passer


la lumière, mais peut aussi obscurcir la vue. Et peut-être modelé à l’infini. Avec la chaleur, nous pouvons le fondre, lui donner de nouvelles formes, lui apporter de nouvelles empreintes.


Ce que nous pratiquons à travers les écrans de verre de nos bâtiments. Une feuille de verre industriel standard est chauffée dans un four et, dans son état élastique, drapée sur un moule en


gypse_. » Toujours, Anne Holtrop s’emploie à repousser les matériaux jusque dans leur retranchement. Pour mieux les repenser, les sublimer.