Les 6 céramistes à suivre qui renouvellent leur art

Les 6 céramistes à suivre qui renouvellent leur art

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Support un temps délaissé, la céramique opère son grand come-back. Aux créations néobaba, cool mais pas toujours maîtrisées, succède aujourd’hui la grâce de propositions sculpturales, œuvres


d’artistes au regard aiguisé et à la technique affûtée. Publicité Multiforme, fruit d’une technique complexe, mais souvent aussi du hasard, solide et fragile, flirtant avec la sculpture, la


peinture, le design, intimement liée au geste, la céramique d’art trouve, à l’heure du tout-numérique, un nouvel âge d’or. «_ Émergent aujourd’hui des artistes qui abordent souvent ce


domaine en autodidactes, en inventant leurs propres techniques, en définissant des univers personnels, assure Florian Daguet-Besson, galeriste de référence dans le domaine de la création


contemporaine. On assiste, d’une façon générale, à un retour en grâce de l’artisanat d’art en général et de la céramique en particulier, qui incarne un besoin de sens. Quand j’ai commencé


mon activité de marchand, vers 2021, je n’imaginais pas la diversité des gens qui seraient touchés par mes propositions. Cela va de grands collectionneurs d’art, de ceux qui sont clients de


galeries telle celle de Kamel Mennour, à un réseau d’amateurs – car il y a des fans de céramique ! Des passionnés, pas forcément milliardaires, mais dotés d’une grande connaissance de ce


média. Dernièrement, une dame m’a, par exemple, acheté une pièce dont elle rêvait et qu’elle a réglée avec dix chèques, que j’ai encaissés sur dix mois_. » > Découvrez l’intégralité de F,


Art de vivre  Le marché s’est donc structuré. Pas une grande galerie d’art et de design qui n’ait son artiste star : Johan Creten chez Emmanuel Perrotin, Agnès Debizet à la Galerie Gastou,


Kristin McKirdy pour le Belge Pierre Marie Giraud. À Bruxelles, depuis deux ans, se tient en janvier la foire Ceramic Brussels, d’emblée un grand succès. Nouveau sujet de fascination, la


céramique fourmille de propositions tout feu tout flamme. Et pourtant, elle fut longtemps considérée comme un art mineur… Associée à la statuaire dans la période antique (et avant cela, aux


idoles préhistoriques en terre cuite), elle est reléguée en Occident, à partir du Moyen Âge, à la catégorie «_ artisanat d’art_ ». Elle se borne alors à façonner des contenants : bols,


jarres, coupe, vases… Tout au plus, lui accorde-t-on un statut d’art décoratif. À la Renaissance, Bernard Palissy (vers 1510-1590) triomphe avec des assiettes murales, ornées de poissons, de


crustacés, de coquillages et autres motifs naturalistes maniéristes au glaçage coloré. Il faudra attendre le début du XXe siècle pour que la céramique retrouve un statut de support d’art


sous les mains d’artistes modernes tels Pablo Picasso à Vallauris ou Fernand Léger à Biot. Le premier grâce à des poteries expressives ornées de paires d’yeux, des assiettes solaires, des


vases aux silhouettes féminines. Le second à travers des bas-reliefs figuratifs et colorés. Picasso dessinait directement sur les pièces en céramique, avant que les artisans de l’atelier


Madoura ne les passent au four. Atelier qui rendait également possibles les productions de Fernand Léger… L’INCROYABLE LIBÉRATION DE LA PRATIQUE Même s’ils n’en maîtrisaient pas tous les


aspects techniques, les deux grands maîtres ravivèrent le goût de l’expérimentation en un domaine riche de possibles. Objets en terre cuite fabriqués à partir d’une argile modelée, montée au


colombin (long boudin de terre enroulé sur lui-même), tourné ou moulé, puis cuit entre 800 et 900 °C, les poteries sont ensuite vernissées ou émaillées. Peinture sur porcelaine, barbotine,


terre cuite, grès, les procédés sont aussi nombreux que les styles. «_ Jusqu’à il y a une quinzaine d’années, la céramique était pour beaucoup une histoire de technique. C’est son agilité


dans le modelage, sa maîtrise de la cuisson, sa culture des glacis qui caractérisaient alors l’approche d’un artiste par rapport à un autre_, reprend Florian Daguet-Bresson. _Pour maîtriser


les savoir-faire, il fallait se lancer dans de fastidieuses formations, avoir été l’élève d’une sommité qui vous transmettait ses secrets de fabrication. On assiste aujourd’hui à une


incroyable libération de la pratique. Ce n’est plus tant la technique qui prédomine, mais le style de chaque artiste. On voit éclore des talents qui relèvent de la génération spontanée._ »


Parisienne de naissance, Marjorie Waks se destine dans un premier temps à une carrière de décoratrice. Elle se forme à L’institut supérieur des arts appliqués (LISAA), exerce un temps, avant


qu’elle ne sente poindre la nécessité de s’exprimer plus librement. La trentaine tout juste entamée, elle inaugure un nouveau chapitre de sa vie, guidée par la découverte d’un nouveau


média, la céramique. « _J’ai commencé par tourner un bol en argile autodurcissant sur un tour, alors que ce n’est pas du tout le matériel indiqué pour ce type de modelage. J’étais


parfaitement autodidacte à mes débuts, mais il fallait que je me lance !_ », s’amuse la jeune femme. Marjorie Waks suit alors des cours, affine sa pratique. Elle privilégie le grès, son


matériau de prédilection, dont elle laisse s’exprimer la texture, en optant pour des glacis translucides, afin de développer une œuvre ultragraphique. Coupelles à créneaux, vases entaillés


de fenêtres ou encore luminaires beffroi, ses pièces rigoureusement architecturées dégagent une poésie de l’étrange. «_ Je commence parfois par un croquis, mais, le plus souvent, c’est sur


un logiciel AutoCAD, à travers des synthétisations 3D, que mes pièces prennent forme, explique l’artiste. L’usage de ces techniques découle de ma formation en design, cela me permet de


définir l’architecture globale de mes pièces. Rien n’est pourtant jamais définitif, c’est au moment où je travaille la terre que les pièces prennent réellement forme_. » De ses mains, à


l’aide d’estèques, raclettes et extrudeuses, elle réalise les enluminures de bandes de terre, les stries et les jours qui participent de son vocabulaire formel. « _Je suis d’un naturel très


organisé, je ressens le besoin de m’imposer des cadres pour avancer. Mes répétitions de motifs, mes ordonnances, participent d’une forme de réassurance. D’une volonté de définir un univers


sur lequel j’exerce un certain contrôle, même si, aussi structurées que soient mes œuvres, je suis dans un total lâcher-prise lorsque je les façonne._ » À l’instar du yoga ou de la


méditation, ce retour à la terre, intime et partagé, répond chez beaucoup d’artistes à une forme de retour aux sources, à une création tangible, les mains dans la matière. C’est une façon de


voir, toucher, façonner… un antidote à l’écran tactile. INVENTER SES PROPRES MÉTHODES «_ La technique s’est vraiment simplifiée, et cela change la donne. Avant, il fallait préparer la pâte,


alors qu’il suffit aujourd’hui de la commander sur Internet_, observe Florian Daguet-Bresson. _Sans parler des couleurs !_ » Dans la céramique traditionnelle, les teintes découlent de


matériaux naturels et de tech niques de cuisson : le blanc, de l’utilisation de kaolin, le brun, de l’argile cuite, le jaune, de l’ajout de terre d’ocre – riche en oxyde de fer et en silice


–, le bleu, de pigments de cobalt ou de lapis-lazuli… Les textures, intrigantes, veloutées ou fluorescentes, qui émanent des sculptures fantastiques, tout en entrelacements, nœuds et


flammes, de l’artiste Claire Lindner sont ainsi pulvérisées au pistolet. Les techniques de cuisson se diversifient également avec l’utilisation de fours à basse température ou l’optimisation


de la cuisson à haute température grâce à des technologies de contrôle thermique permettant de réduire l’énergie utilisée et d’obtenir de nouveaux effets de textures et couleurs. La


préparation en atmosphères modifiées – fumée, oxygène limité – offre la possibilité de finitions intéressantes, comme des surfaces rugueuses ou des couleurs irrégulières. Sans compter


l’usage de plus en plus répandu de logiciels d’impression 3D, afin d’élever, couche par couche, des objets au design complexe, difficiles à obtenir avec les méthodes traditionnelles de


modelage. REPOUSSER LES LIMITES DE LA CRÉATION « _Chaque talent invente ses propres méthodes_, souligne Florian Daguet-Bresson. Minutieux, inédit, troublant, le travail de Jongjin Park


relève, lui, d’une démarche méditative. L’artiste coréen imbibe une à une des feuilles de papier avec une pâte de céramique colorée, qu’il superpose, et laisse ensuite sécher. Un travail


d’une incroyable lenteur. Son amoncellement terminé, il le passe au four. L’argile se libère à la cuisson tandis que les feuilles de papier disparaissent à jamais, comme évaporées. » En


résultent des superpositions de lignes colorées d’une extrême finesse, dans une délicate palette de pastels dont émanent force et fragilité à la fois. De plus en plus, la céramique


contemporaine tend à se rapprocher du champ de la sculpture, les créateurs accédant au statut d’artistes. Mais, paradoxalement, si vases, coupelles et autres contenants ne sont plus leur


unique sujet de prédilection, nombre de talents s’intéressent à la chose décorative. Après une enfance passée a Nice, sur la Côte d’Azur, puis une carrière dans la mode à Paris, Olivia


Cognet s’initie au modelage de la terre à Los Angeles. Elle rejoint à nouveau son Sud natal pour entamer une activité de céramiste d’art. « _Mon travail est né d’une envie d’exploration_,


avoue la jeune femme,_ je ne voulais pas me limiter à l’objet décoratif ou au mobilier traditionnel. Très vite, j’ai eu envie d’inscrire mes pièces dans l’espace architectural, de jouer avec


l’échelle. Les muraux, par exemple, permettent de créer un dialogue direct avec le bâti. Les lampes ajoutent une dimension vibratoire à la lumière. Quant aux tables, miroirs et statues, ils


prolongent cette volonté de réinterpréter les objets du quotidien comme des formes vivantes, sculpturales, mais ancrées dans l’usage. Je tiens à repousser les limites de la céramique, à


créer des ponts entre l’art, le mobilier et l’architecture. L’échelle monumentale est vraiment un aboutissement pour moi. Nous sommes en train de fabriquer dans mon atelier une cheminée, une


piscine, comme un lustre en céramique de 8 mètres de haut ! _» Délaissant le grès pour la laine, Olivia Cognet vient même de signer chez Atelier Février un tapis baptisé «_ Fresque_ » qui


reprend son vocabulaire graphique, tout en alternance de formes fluides, volumes monumentaux et détails ciselés. EXPLORER UNE ZONE NON FORMATÉE Autre approche, celle de Maximilien Pellet qui


peint avec de la terre. C’est dans son atelier de Fontenay-sous-Bois, en proche banlieue parisienne, que le jeune artiste élabore ses tableaux vernissés. «_ Très vite, je me suis intéressé


à la notion, longtemps méprisée, de décor. Je tente d’interroger cette zone intermédiaire entre art et art appliqué, que je trouve riche de possibles, car non formatée, assure le jeune


artiste. Mon travail est naïf et sculptural à la fois, figuratif, mais aux limites de l’abstraction. Je décline une imagerie graphique aux couleurs minimalistes qui s’anime par des jeux de


lumière à la surface de carreaux de céramique brillante._ » Né en 1991 à Paris, Maximilien Pellet est diplômé de l’École des arts décoratifs de Paris en 2014. Sa formation en image imprimée


explique son aisance à exprimer ses visions à travers la sérigraphie, la gravure comme la céramique – désormais son média de prédilection. « _Cette renaissance multiforme de la céramique


d’art point un peu partout de par le monde, _souligne Florian Daguet-Bresson._ Les viviers de talents sont la France, les États-Unis, le Japon, et pour beaucoup, la Corée. L’Angleterre n’est


pas en reste, mais elle demeure assez marquée par une esthétique insulaire, la production se cantonne toujours à des contenants somme toute assez classiques comme des vases, des coupes, des


assiettes…_ » Plus que les recherches formelles, les motifs, souvent narratifs et un brin punk, comme ceux de l’artiste Gayton Perry dénonçant la paupérisation découlant du Brexit,


intéressent nos voisins d’outre-Manche. « _Hormis la parenthèse postmoderne des années 1980, avec les propositions colorées et pétillantes de créateurs italiens comme Ettore Sottsass,


plusieurs générations de céramistes eurent du mal à s’extirper d’un registre “baba cool seventies”, tout en formes organiques et sculpturales, surfaces brutes et texturées, émaillages épais


et finitions mates, regrette Florian Daguet-Bresson. Cette approche perdura longtemps, jusqu’à la fin des années 1990. Ce n’est que depuis une dizaine d’années que point un renouveau. Cette


longue période en forme de statu quo, je ne me l’explique pas vraiment. Mais souvent, dans l’histoire de l’art et des arts appliqués, les talents fleurissent en bouquet. À un moment. Au bon


moment. Maintenant. _»