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QU’EST DEVENUE LA BAIGNOIRE DANS LAQUELLE MARAT A ÉTÉ ASSASSINÉ ?
Le 13 juillet 1793, Jean-Paul Marat, à la fois coupable de dépravation et « martyr » de la Révolution, est assassiné dans sa baignoire, un objet controversé.
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Le bain ne fut pas toujours ce moment moussant, mêlant l'utile à l'agréable. D'aucuns savent qu'il fut craint par nos ancêtres et encore par certains de nos contemporains
odoriférants. Pourtant, les mentalités changent au XVIIIe siècle et il existe à partir du mitan de ce siècle deux manières d'être dans son bain comme on est dans le monde.
À LIRE AUSSI « OBJETS D'HISTOIRE » : RETROUVEZ TOUS LES ÉPISODES DE NOTRE SÉRIELa première est aristocrate, confortable et luxueuse. Si les cabinets de toilette ne sont pas encore de
toutes les nouvelles constructions, assurément les baignoires se multiplient, à tel point que l'Encyclopédie en donne, en 1751, la définition de la forme et de l'usage. Déjà, il ne
s'agit plus de baquets circulaires. Les cuves sont plus longues que larges, en cuivre ou en bois cerclé. À partir des années 1780, les bains deviennent le loisir d'une élite. Ils
sont ordinaires ou enrichis d'hydrothérapie dans des institutions dont le prix d'entrée opère une distinction sociale.
À Paris, les bains Albert, installés en 1783, puis les « bains chinois », ouverts en 1787, jouent sur un amalgame nouveau de barbotage oisif et élitiste, d'hygiène et de cure. À
Versailles, les travaux pour la salle des bains de Marie-Antoinette commencent en 1784, la plomberie pour l'eau chaude et froide est installée en 1788. La souveraine ne verra jamais la
pièce achevée, plongée dans un traitement aux vertus contestées. Parmi toutes ces baignoires, publiques et privées, il est une seconde catégorie dévolue à soulager ou guérir les malades.
Le bain associé à l'aristocratie l'est également aux travers du caractère attribué à cette dernière : l'eau chaude amollit le corps aussi bien que l'esprit, si bien que
la nature masculine se rapproche dangereusement de celle de la femme, cet être faible. Ajoutons les fragrances capiteuses, la promiscuité et nous obtenons le tableau d'une aristocratie
libertine et dépravée qui offre aux révolutionnaires un album déclinant à l'envi toutes sortes de mœurs dissolues.
À LIRE AUSSI QU'EST DEVENU LE SOULIER PERDU PAR MARIE-ANTOINETTE À L'ÉCHAFAUD ? Pourtant, Jean-Paul Marat (1743-1793), l'Ami du peuple comme il se baptise lui-même, baigne de
longues heures sans qu'on n'y trouve rien à redire. Bien au contraire. Mégalomane, orgueilleux, paranoïaque et affligé de dermite séborrhéique chronique, Marat est le malade par
excellence. Il accumule tant de troubles physiques et mentaux que tous les bains de Paris n'y suffiraient pas pour le soigner. Et puisqu'il faut ondoyer le martyr, venons-en à ce
mois de juillet 1793, lorsque Marat a déserté la Convention, rongé par les démangeaisons et ne trouvant de repos que dans son bain d'eau chaude et de soufre.
La baignoire de Marat est une petite baignoire sabot, en zinc, pourvue d'un robinet de vidange et installée dans une pièce carrelée éclairée d'une fenêtre, au premier étage du
petit hôtel particulier de Cahors, sis 30, rue des Cordeliers (aujourd'hui rue de l'École de médecine). Baignant dans une eau saumâtre, le député montagnard ne considère pas sa
baignoire comme un lieu de plaisir, mais comme un appareil médical. Le bain de Marat est aussi son bureau et la petite pièce, l'antichambre de la Convention. Il y reçoit, il s'y
lamente, il y soulève les complots ourdis contre lui, il accuse, il dénonce et réclame le sang des ennemis du peuple. Quand bien même sa compagne Simone Évrard l'aurait fait tremper
dans une baignoire confortable qu'il n'en serait pas sorti adouci. La baignoire de Marat n'est pas un lieu de détente, ce n'est ni sa vocation, ni sa destinée.
Marat est un baigneur viril, en tous points opposé à ces aristocrates efféminés et corrompus. Il honnit le manque de vigueur du peuple qu'il exhorte à agir. Ses appels ne sont pas
vains.
À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre Charlotte Corday (1768-1793), jeune fille célibataire, issue d'une famille noble désargentée, constitutionnaliste et la tête bien faite, va
prendre les choses en main et administrer à Marat un remède radical. Ironie du sort, elle est l'antithèse de l'image dépravée que donnent les révolutionnaires de la noblesse. Qui
peut accuser Corday de débauche quand son autopsie révèle qu'elle est restée vierge ? Qui peut l'accuser de mollesse quand elle assassine Marat ?
À LIRE AUSSI QUI EST CHARLOTTE CORDAY, LA TUEUSE DE MARAT ? Les bains ne l'ont pas amollie, au même titre que la baignoire curative choisit ici les maux qu'elle s'engage à
combattre. Celle de Marat devient cercueil, métamorphose figée puisque la baignoire est aujourd'hui conservée au musée Grévin, à Paris, et immortalise ce moment où le bain soigna la
Révolution d'un mâle sanguinaire.