Comment Poutine a fait main basse sur les oligarques russes

Comment Poutine a fait main basse sur les oligarques russes

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« Les lépreux de la finance. » C'est ainsi que Bill Browder qualifie les oligarques russes. Ancien responsable d'un fonds d'investissement en Russie, devenu un féroce critique


de Poutine, l'homme d'affaires britannique estime que les milliardaires russes, désormais sous sanction, vivent un cauchemar. « Plus aucune banque occidentale ne leur ouvrira un


compte », dit-il. Bill Browder est l'un des nombreux témoins du remarquable documentaire de notre correspondant à Londres Marc Roche et de Jérôme Fritel, diffusé sur Arte, le 11 


février. Ce reportage en trois volets retrace l'épopée des grandes fortunes du pays apparues sous la présidence de Boris Eltsine et de Vladimir Poutine. Menant jadis grand train à


Londres ou sur la Côte d'Azur, les voilà rentrées au bercail depuis l'invasion russe et contraintes de faire allégeance au maître du Kremlin.


Pour la première vague d'entre eux, tout débute comme un conte de fées. Il y a le vendeur de voitures Boris Berezovsky, l'étudiant en chimie Mikhaïl Khodorkovski, l'ingénieur


Mikhaïl Fridman ou encore le mécanicien en bâtiment Roman Abramovitch. Ils sont débrouillards et rêvent de devenir riches. La grande braderie des privatisations organisée par le président


Eltsine leur offre une opportunité historique. Khodorkovski met la main sur la compagnie pétrolière Ioukos, assise sur les plus grandes réserves de Sibérie, pour seulement 10 % de sa valeur.


Abramovitch, devenu millionnaire après avoir détourné un train d'hydrocarbures, s'empare de Sibneft à un tarif vingt fois inférieur à son prix de marché. Tous concluent un pacte


avec Eltsine : en contrepartie de leurs actifs, ils financent sa campagne destinée à sa réélection en 1996. « Nous étions une dizaine à partager le pouvoir avec Eltsine », reconnaît Sergueï


Pougatchev, un membre de la bande, propriétaire de la première banque privée à Leningrad.


La santé déclinante d'Eltsine annonce la fin des réjouissances. Pour le remplacer, les mêmes misent sur un inconnu : l'ancien officier du KGB Vladimir Poutine. « Il est des nôtres 


», se persuadent-ils. Erreur fatale. Élu en 2000 à la présidence, Poutine entend remettre au pas les jeunes milliardaires. Le nouveau maître du pays les invite à un barbecue dans


l'ancienne datcha de Staline. Le repas se déroule dans une ambiance glaciale. « Ils ont eu peur… » lâche Pougatchev. « C'est bien, laisse-les avoir peur », rétorque Poutine. Puis


survient la réunion fatidique de février 2003. Poutine convoque de nouveau les oligarques. Parmi eux, Khodorkovski prend la parole. Il fustige la corruption au sein du pouvoir et met en


cause l'entourage de Poutine. Ce dernier est fou de rage. « Je vais le réduire en cendres », explose-t-il à l'issue de la rencontre. Huit mois plus tard, Khodorkovski est arrêté.


Il séjournera dix ans en prison. À LIRE AUSSI DÉFENSE EUROPÉENNE : POUTINE ATTAQUE, LES EUROPÉENS RÉFLÉCHISSENT


Un homme est à la manœuvre : Igor Setchine, ancien secrétaire particulier de Poutine à la mairie de Saint-Pétersbourg et ex-agent du KGB en Angola. Il démantèle Ioukos et prend la tête du


géant pétrolier Rosneft. Une nouvelle oligarchie naît, celle issue des structures de sécurité et du cercle proche de Poutine. Deux autres fidèles de Poutine l'incarnent. L'un


s'appelle Alexeï Miller, parachuté à la tête de Gazprom et de ses 400 000 salariés. L'autre, Gennadi Timtchenko, dirige à Genève la société de Trading Gunvor, chargée


d'écouler en toute opacité un tiers du pétrole russe.


Porté par un prix du baril au plus haut, Poutine voit des centaines de milliards de dollars affluer dans ses caisses. Dès lors, sa stratégie repose sur une idée : transformer l'Europe


en otage du pétrole et du gaz russe pour mieux satisfaire ses visées expansionnistes. Sa cible ? L'Allemagne. Avec la bénédiction du chancelier Gerhard Schröder puis d'Angela


Merkel, il lance le projet de gazoduc Nord Stream destiné à relier la Russie à l'Allemagne à travers la Baltique. « Quand nous investissons dans des missiles nucléaires, nous en


retirons des avantages plus tard, avec les gazoducs, c'est la même chose », confie-t-il. Quelques mois avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, il ordonne même à Gazprom


d'interrompre l'approvisionnement des stocks stratégiques de l'Europe. Une façon de la mettre sous pression et de la contraindre à négocier. À LIRE AUSSI ENTRE TRUMP, POUTINE


ET XI, « L'EUROPE EST FACE À UNE TEMPÊTE PARFAITE »


À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre Il sous-estime cependant la réaction des Occidentaux. L'adoption des sanctions et la mystérieuse explosion de la liaison Nord Stream ruinent la


rentabilité de Gazprom. Pour le reste, Poutine peut compter sur son plus loyal oligarque. Setchine s'emploie à préserver la manne pétrolière. Il a bâti en urgence une flotte fantôme de


huit cents tankers qui croisent vers l'Inde ou la Chine. Une fois raffiné sur place, le pétrole devenu indien ou chinois reprend tranquillement le chemin de l'Europe. Voilà


comment Poutine use encore de l'arme énergétique et contraint les Européens à financer sa guerre.


_Oligarques, le gang de Poutine, _en 3 épisodes sur Arte le 11 février à 20 h 50 et sur arte.tv