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FRANÇOIS, « LE PAPE DES PAUVRES ET DES PÉRIPHÉRIES », EST MORT À L’ÂGE DE 88 ANS
Dans la tempête, Jorge Bergoglio aura-t-il tenu avec suffisamment de fermeté le gouvernail de la « barque de Pierre », dont son prédécesseur, Joseph Ratzinger, craignait le naufrage avant
son renoncement ? Les historiens le diront quand ils se pencheront, avec le recul qui sied aux institutions œuvrant pour l'éternité, sur le bilan du pontificat du pape François dont le
Vatican vient d'annoncer la mort à l'âge de 88 ans, le lundi 21 avril 2025.
Le soir du 13 mars 2013, au balcon donnant sur la place Saint-Pierre, le nouvel élu qui se présenta à la foule d'un timide « Buona sera » – contrastant avec le tonitruant « N'ayez
pas Mapeur » de feu Jean-Paul II – mesurait-il à quel point sa mission serait semée d'embûches ? L'Argentin est le premier pape non européen et, selon la réjouissante formule un
jour confiée par le dominicain Timothy Radcliffe, présente la particularité inédite d'être « un jésuite, dans l'habit blanc d'un dominicain et avec la pensée d'un
franciscain ».
C'est en hommage au Poverello d'Assise que Jorge Bergoglio choisit de s'appeler François. Enfant de Buenos Aires, fan de football et ami de Borges, il prit son envol sous la
présidence des Peron, gravit rapidement les échelons ecclésiastiques – maître des novices, puis provincial des jésuites à 36 ans, archevêque de Buenos Aires, cardinal influent à Rome… – mais
en prenant toujours soin de vivre dans la sobriété, et au plus près des plus pauvres.
À LIRE AUSSI LE PAPE FRANÇOIS : UN RÉVOLUTIONNAIRE AU VATICAN « À Buenos Aires, il expliquait déjà que l'archidiocèse se voyait mieux depuis les villas _miserias_, les bidonvilles de la
capitale de l'Argentine », a témoigné le père Juan Carlos Scannone, professeur de grec de Jorge Bergoglio quand celui-ci n'était qu'un jeune séminariste, à la fin des années
1950. « Il ne s'est jamais désintéressé des intellectuels, des artistes ou même des riches, mais il a toujours estimé que si l'on examinait les choses à partir du centre, on
n'avait qu'une vision partielle de la réalité ; on ne voyait pas la périphérie. Si l'on regarde à partir de la périphérie, alors on voit le tout. »
Ceux qui le fréquentaient avant ne sont guère étonnés du style dépouillé que ce pape latino donne à son pontificat, le monde, lui, écarquille les yeux. Dès son intronisation, François
préfère, pour se loger, l'austère résidence Sainte-Marthe, où il prend ses repas, souvent seul, au milieu des pèlerins de passage – du jamais-vu ! Et il consacre son premier déplacement
officiel sur l'île de Lampedusa, où s'amassent déjà – on est au début de l'afflux massif – les réfugiés de la Méditerranée, que ce fils et petit-fils d'immigrés italiens
n'aura de cesse de protéger et mettre en avant tout au long de son règne.
François se veut le « pape des périphéries », terme très jésuite, à Lesbos, en Albanie, en Géorgie, en Azerbaïdjan… Des contrées peu fréquentées par les grands de ce monde, qu'il
préfère aux États puissants. Si, par exemple, il se rend trois fois en France, c'est pour des déplacements ciblés, à Strasbourg, Marseille et en Corse. Pas de grand tour de France (où
Jean-Paul II était venu huit fois). Ni dans aucun autre grand État européen, d'ailleurs. À la veille de sa visite dans la cité phocéenne, ce pontife souvent abrupt déclenche une bronca
diplomatique en déclarant qu'il vient à Marseille, « pas en France ». Qu'importe : les uns aboient, la papamobile passe au milieu de foules ferventes. Comme ce sera le cas en
Corse, où il vient célébrer la piété populaire, au cœur de la foi de ce prélat latino, préférant ces instants de communion avec le peuple plutôt que l'inauguration en grande pompe avec
des VIP triés sur le volet de Notre-Dame de Paris.
François se veut le pape des petits, le porte-voix des sans voix. Il porte à la une de l'actualité la cause des Rohingyas, minorité musulmane opprimée en Birmanie, joue les
intercesseurs pour la paix au Mozambique, en Centrafrique, au Congo, s'efforce de ramener Cuba dans le concert des nations – non seulement il a maintenu son nonce là-bas, mais il
l'a promu cardinal –, œuvre pour la paix en Colombie et (re)place l'Amazonie au centre des préoccupations mondiales…
À LIRE AUSSI « LE PROCHAIN PAPE NE SERA PAS FORCÉMENT UN FRANÇOIS II » Et personne n'a oublié cette prière historique dans les jardins pontificaux entre l'Israélien Shimon Peres et
le Palestinien Mahmoud Abbas – qui a rencontré trois fois le chef catholique. Ni ses rencontres avec le cheikh Al-Tayeb, le grand imam de la mosquée al-Azhar du Caire, l'autorité
suprême de l'islam sunnite. Ni, en juillet 2022, sa reconnaissance des « grandes souffrances » subies par des peuples autochtones canadiens dans des pensionnats catholiques entre la fin
du XIXe siècle et les années 1990 – le pape ira jusqu'à parler de « génocide ».
François prend toujours le risque de la confrontation à l'autre, il ne renonce jamais à tendre la main. À tous. Aux détenus – devant lesquels il s'agenouille pour leur laver les
pieds – tout autant qu'à Jacques Gaillot, l'évêque français écarté pour ses positions iconoclastes, ou, à l'opposé de l'échiquier politique, aux lefebvristes. Son « Qui
suis-je moi pour juger ? », lâché dans l'avion de retour des JMJ de Rio en 2013 à propos d'un prélat dont la presse a révélé l'homosexualité, restera comme une phrase choc du
pontificat. Juste avant l'ouverture du synode rassemblant évêques et, pour la première fois, des experts laïcs à Rome en octobre 2023, il n'hésite pas à se dire ouvert à la
bénédiction de couples de même sexe, donnant à son pontificat une image progressiste alors qu'il reste conservateur sur bien des points, en particulier sur l'avortement, dénonçant
en 2024 en Belgique – la déclaration conduira des fidèles à vouloir se débaptiser – ceux qui pratiquent l'avortement comme « tueurs à gages ».
Ce pape formé dans les bidonvilles de Buenos Aires vit son pontificat comme un jésuite envoyé en mission, dans une inspiration qui était celle d'Ignace de Loyola et de ses compagnons en
fondant cet ordre de combattants spirituels mobiles au XVIe siècle. L'un de ses viatiques est « la parabole des deux étendards », moment clé des _Exercices spirituels_ d'Ignace,
où le retraitant est appelé à choisir entre Dieu et le diable, parabole que Mgr Bergoglio enseignait aux jeunes novices jésuites dont il avait la charge en Argentine.
Le Seigneur nous envoie au combat spirituel, leur expliquait-il. C'est un combat à mort qu'Il a entrepris et dans lequel nous sommes invités à trouver notre champ de bataille
ultime […]. Nous oublions que la vie du chrétien est une lutte permanente contre le pouvoir séduisant des idoles, contre Satan et ses entreprises visant à conduire l'homme à
l'incrédulité, à la désespérance, au suicide moral et physique. »
Tous les grands de ce monde font escale au Vatican pour toucher la main de ce pape de la miséricorde. D'Angela Merkel, fille de pasteur protestant qui a ouvert les frontières de
l'Allemagne aux réfugiés, au (très) catholique Joe Biden – qu'il préfère de loin à Donald Trump, qui instrumentalise par trop le christianisme à son goût – en passant par Emmanuel
Macron, élevé chez les jésuites, qui prend la liberté de le tutoyer et ne laisse passer aucune occasion de recueillir son onction. La politique de la main tendue de François s'étend à
Recep Tayyip Erdogan : si, en 2015, celui-ci avait rappelé son ambassadeur après que le pape avait parlé de « génocide » arménien, il fut par la suite le premier président turc depuis
cinquante-neuf ans à être reçu au Vatican – tout comme Xi Jinping ou Vladimir Poutine, reçu cinq fois, et deux fois en tête-à-tête. Dans le nouvel ordre mondial, le pape des migrants
s'érige en protecteur des plus faibles et sonne le tocsin face aux bulldozers que sont Donald Trump et dans son pays natal Javier Milei.
À LIRE AUSSI UKRAINE : LA GUERRE DU PAPE FRANÇOISAvec le leader chinois, le pape pense pouvoir négocier la reconnaissance d'une seule Église catholique en Chine – point de discorde
depuis soixante-dix ans. Face au Russe, il plaide le rapprochement avec l'Église orthodoxe et son chef très poutinien, le patriarche Kirill, qui a justifié les massacres en Ukraine.
Pour ne pas rompre le fil diplomatique, François ne désigne pas expressément la Russie comme l'agresseur de l'Ukraine, intimant aux deux belligérants d'arrêter « ce massacre
», ce qui lui est vivement reproché. La « realpolitik » spirituelle a ses limites… Pas toujours facile de suivre un François qui choque en ne soutenant pas suffisamment les ancestraux
chrétiens Arméniens attaqués par les Azerbaïdjanais, ou en employant le terme de « génocide » pour parler de la situation à Gaza sous les frappes israéliennes…
Benoît XVI, théologien pointilleux et longtemps gardien inflexible du dogme et du verbe, avait replacé l'Église sur son socle doctrinal, célébrant Jésus – son étude en plusieurs tomes
fait référence –, la beauté de la liturgie, la grandeur du sacré. Son successeur envoie « la barque de Pierre » sur les mers lointaines, sans craindre d'affronter des tempêtes. Autant
Benoît est un mystique, autant François est un politique.
À travers des encycliques-manifestes marquantes, l'octogénaire souverain pontife réussit la prouesse de faire corps avec un siècle en plein bouleversement, et de ramener dans le giron
d'une Église fatiguée, décriée, en crise de gouvernance et de confiance, des foules de jeunes en errance spirituelle. En vitupérant les dévoiements de l'ultralibéralisme dans «
Fratelli tutti »_, _servant une vision radicale de la doctrine sociale de l'Église établie au XIXe siècle, ce qui le fera passer aux yeux de certains pour un activiste d'extrême
gauche_ _; en défendant, avant bien d'autres, « une écologie intégrale » qui englobe tant la défense de l'environnement que la protection de l'être humain, contre « la culture
du déchet », dans un texte pionnier, à la fois spirituel et pragmatique, « Laudato Si », mis à jour en octobre 2023 dans une nouvelle exhortation apostolique ciblée sur le réchauffement
climatique.
À LIRE AUSSI FRANÇOIS, LE PAPE QUI VEUT MOURIR SUR SCÈNEEn 2014, devant le Parlement européen, François est le premier leader au monde à dénoncer le drame des migrants, affirmant craindre
que la Méditerranée ne devienne « un grand cimetière ». Cette conviction, il en fera un axe majeur, affirmant avec force sa défense des migrants avec des déplacements, des gestes et des
paroles marquantes. À Marseille, en 2023, il pointe du doigt, dans une expression saisissante, « le fanatisme de l'indifférence ». « Les personnes qui risquent de se noyer,
lorsqu'elles sont abandonnées sur les flots, doivent être secourues. C'est un devoir d'humanité, c'est un devoir de civilisation », lance le Saint-Père au pied de la
basilique Notre-Dame de la Garde. Et il martèle, du palais du Pharo, face à la Méditerranée : « _Mare nostrum_ ne doit pas devenir _mare mortuum_. »
Celui qui a été élu par ses pairs pour réformer la curie vaticanesque essaiera tant bien que mal de faire bouger ce sérail d'hommes âgés vivant en vase clos. Il tente d'abord de
contourner des institutions vermoulues en créant notamment un conseil de cardinaux non romains pour l'assister dans sa tâche. Las, trois des membres de ce C9 se retrouvent sous les feux
d'accusations graves – agressions sexuelles pour l'Australien George Pell, malversations financières pour le Hondurien Oscar Maradiaga, protection d'un prêtre pédophile pour
le Chilien Francisco Errazuriz. Les intéressés démentent avec vigueur, mais à la une des médias, ces affaires font tache.
À LIRE AUSSI CARDINAL JEAN-MARC AVELINE : « LE PAPE M'ÉDIFIE PAR SON COURAGE » À l'été 2022, c'est au tour du cardinal canadien Marc Ouellet, qui figure dans la liste des
successeurs possibles (ou « papabiles »), d'être mis en accusation au Québec pour agressions sexuelles – affaire classée sans suite par le Vatican. Sans oublier le cardinal Angelo
Becciu, l'un des conseillers les plus proches du pape François, poursuivi au Vatican pour fraude financière et démis de ses pouvoirs, notamment de ses droits de vote pontificaux.
LES TROIS QUARTS DES 135 CARDINAUX ÉLECTEURS CHOISIS PAR FRANÇOIS
François ne renonce pas pour autant. Il passe même la surmultipliée et annonce, en mars 2022, la réforme de la curie pour laquelle il a été nommé – la dernière date de 1988. Une révolution
qui repose sur deux piliers : la décentralisation – la curie ne doit plus être seulement un appareil administratif romain mais proposer des services pour une Église universelle – et une
grande ouverture aux laïcs.
Et il fait entrer de nouveaux cardinaux. Il aura ainsi choisi près des trois quarts des 135 cardinaux électeurs – ceux ayant moins de 80 ans – du conclave appelés à élire le prochain pape,
collège dans lequel l'Asie devient le deuxième continent le plus représenté – avec des personnages comme le Sud-Coréen Mgr Lazarus You Heung-sik, surnommé « Mgr You », ou Giorgio
Marengo, Italien de 48 ans et premier évêque de Mongolie propulsé cardinal… Sept Français (au total ils sont neuf, mais deux ont atteint la limite d'âge : Mgr Poupart et Vingt-Trois)
figurent dans l'auguste cénacle, après l'entrée récente de l'archevêque de Marseille, Jean-Marc Aveline (en 2022), celles de l'ancien nonce aux États-Unis Christophe
Pierre et l'évêque d'Ajaccio, François-Xavier Bustillo (2023) et celle de l'archevêque d'Alger, Jean-Paul Vesco (2024).
François nomme aussi – il était temps – plusieurs femmes à des postes clés, leur ouvrant même récemment les portes de la congrégation chargée de choisir les évêques. Ce souverain pontife
aura ainsi, mine de rien, modifié la physionomie du sommet du pouvoir vaticanesque.
En fait-il trop ? Il continue de se heurter aux conservatismes et aux réseaux qui, à l'intérieur de l'Église, sont hostiles à ce pape qui prend par trop de libertés, et le
signifient de plus en plus. Handicapé par des douleurs aux genoux et à la hanche, se déplaçant désormais en fauteuil roulant, le souverain pontife qui voulait simplifier l'Église montre
des signes de fatigue et de lassitude, nourrissant les rumeurs d'un renoncement, comme Benoît XVI avant lui. « Faire des réformes à Rome, c'est comme nettoyer le Sphinx
d'Égypte avec une brosse à dents », lâchait-il déjà publiquement quelques jours avant Noël 2017, las de la « pétrification mentale » et de la « mondanité spirituelle » de nombre de ses
pairs, dont il ne cessera de pourfendre les excès. _Vanitas, vanitatis_… Une ambiance de fin de régime, délétère, souffle sur le Vatican.
L'Église catholique, toujours forte de plus d'un milliard de baptisés à travers la planète, très présente sur des continents dynamiques comme l'Asie et l'Afrique, vacille
sous le poids des affaires de pédocriminalité. Les vieilles nations de la catholicité – France, Italie, Espagne, Allemagne et Irlande – sont touchées de plein fouet par ces actes immondes,
parfois crimes de masse, qui provoquent des haut-le-cœur chez les fidèles, et la désertion de certains.
Le pape François poursuit l'action engagée par Benoît XVI, promouvant la « tolérance zéro », après les années de laxisme de Jean-Paul II. À la suite de son homologue allemand,
l'Argentin essaie de soulever la chape de plomb qui, depuis des années, empêche la révélation de ces affaires, l'écoute des victimes et la sanction des coupables. En 2016, il signe
un _Motu proprio _prévoyant que les évêques et supérieurs majeurs pourront être démis de leurs fonctions en raison de négligence dans la gestion des abus.
Las, en 2018, il protège l'évêque chilien Juan Barros, accusé d'avoir couvert les multiples abus sexuels du prêtre Fernando Karadima. En visite au Chili, face aux journalistes,
prenant un air excédé, il qualifie d'« imbéciles » les accusateurs de Mgr Barros et exige des « preuves » de sa culpabilité. « Tout est calomnie », lance François aux journalistes,
avant de chaleureusement saluer l'évêque à ses côtés… puis d'être contraint d'accepter son retrait quelques mois plus tard face au scandale – l'épiscopat avait
symboliquement présenté sa démission collective, mais seules celles de cinq évêques avaient été acceptées.
Dans une lettre publique aux évêques chiliens du 8 avril 2018, François fait acte de contrition : « Maintenant, après une lecture attentive du procès-verbal de cette mission spéciale, je
peux dire que toutes les preuves recueillies parlent en mode objectif, sans additifs, exagération, ni tentative d'édulcorer l'histoire de toutes ces vies crucifiées et j'avoue
que cela me cause beaucoup de douleur et de honte. […] Pour ma part, je reconnais et veux vous transmettre fidèlement que j'ai commis de graves erreurs d'évaluation et de
perception sur la situation, notamment en raison du manque d'informations précises et équilibrées. »
S'ensuit l'été « meurtrier » de 2018, où s'enchaînent les révélations terribles : le rapport de la justice américaine sur la multitude de crimes pédophiles pendant cinquante
ans en Pennsylvanie, celui de la commission d'enquête allemande sur soixante-dix ans, le brûlot de Mgr Vigano qui, écarté par François, se venge en le désignant nommément…, jusqu'à
l'affaire largement médiatisée de l'abbé Preynat à Lyon, qui met en cause le cardinal Barbarin, proche de François, et qui fait l'objet d'un film de François Ozon,
largement médiatisé lui aussi. Depuis, la cour d'appel de Lyon a relaxé le prélat, mais le mal est fait. Et, en 2021, en France, le rapport de la commission indépendante sur les abus
sexuels dans l'Église, présidée par Jean-Marc Sauvé, fait état de plus de 200 000 mineurs abusés depuis les années 1950… « Le gouvernement de l'Église catholique a choisi de ne pas
voir et de ne pas entendre, et quand les témoignages se sont accumulés, il a souvent été dans le déni ou la dissimulation », nous confie ce catholique engagé, très meurtri, à la fin 2024.
Face à ces scandales innommables, François multiplie les paroles fortes. Dans sa _Lettre au peuple de Dieu_ du 20 août 2018, il fustige « un crime qui génère de profondes blessures faites de
douleur et d'impuissance, en premier lieu chez les victimes, mais aussi chez leurs proches et dans toute la communauté, qu'elle soit composée de croyants ou d'incroyants ».
Quelque temps plus tard, dans une longue et vigoureuse médiation sur « les tempêtes et les ouragans » qui assaillent « la barque de l'Église », il vitupère « des hommes consacrés qui
abusent des faibles en profitant de leur pouvoir moral et de persuasion ».
« Ils commettent des abominations et continuent à exercer leur ministère comme si de rien n'était ; ils ne craignent pas Dieu ni Son jugement, mais craignent seulement d'être
découverts et démasqués, enrage le pape. Ministres qui lacèrent le corps de l'Église, causant des scandales et discréditant la mission salvifique de l'Église et les sacrifices de
tant de leurs confrères. »
En 2019, le pape convoque une centaine de présidents de conférences épiscopales pour un sommet sur « la prévention des abus sexuels sur les mineurs et les adultes vulnérables », au cours
duquel témoignages de victimes et d'experts s'enchaînent. En juin 2021, il achève la refonte du droit canonique, lancée en 2007 par Benoît XVI, pour alourdir les sanctions contre
les abus sexuels sur mineurs, majeurs et personnes vulnérables, par des clercs mais aussi par des laïcs en mission d'Église, salariés ou non. Mais les victimes, dont la parole a été
bafouée pendant des années, exigent davantage. Les révélations continuent, et le pape se montre d'une coupable indulgence avec un prédateur pourtant avéré, jésuite comme lui, le Slovène
Marko Rupnik. Attitude incompréhensible.
Un tsunami s'est abattu sur l'Église, qui s'enfonce dans une crise structurelle. Jusqu'au dernier souffle, le pape multiplie les initiatives pour mener à bien cette «
révolution François » que nombre de fidèles espèrent. Il apparaît comme progressiste, ouvrant la porte de l'Église, promouvant des femmes à des postes clés du Vatican, multipliant les
déclarations
À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre Jusqu'au bout, il continue d'exercer son magistère moral et mondial, multipliant les déplacements, jusqu'à cette longue tournée en
Asie et en Océanie en septembre 2024, et les prises de position choc. Le vieux chef d'une vieille religion résiste à la une de l'actualité, et son énergie sidère ses plus coriaces
adversaires.
Les pèlerins se pressent à Rome pour fêter le Jubilé 2025, l'année sainte qui n'a lieu que tous les vingt-cinq ans, et quelques heures avant de mourir, dans l'octave de Pâques
– comme Jean Paul II –, il fait une dernière visite aux prisonniers dont il avait l'habitude de laver les pieds durant la Semaine sainte et donne un ultime bain de foule aux fidèles.
Mais les loups rôdent autour de la place Saint-Pierre et du fauteuil de ce pape des pauvres qui rêvait de changer l'Église pour l'accorder à un monde en profond bouleversement et
qui, dans un sourire d'enfant las, répétait dans toutes les langues, à chacun de ses interlocuteurs, puissants mais surtout misérables : « Priez pour moi. »