Sept mois après les élections, la Belgique a enfin un Premier ministre, Bart De Wever

Sept mois après les élections, la Belgique a enfin un Premier ministre, Bart De Wever

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EN BELGIQUE, L’EX-SÉPARATISTE BART DE WEVER DEVIENT PREMIER MINISTRE


L'histoire de la Belgique regorge d'ironies politiques, mais celle-ci mérite une place de choix dans les annales : à 54 ans, Bart De Wever, l'homme qui rêvait de défaire la


Belgique, en devient le Premier ministre et, naturellement, il assurera l'unité du royaume. Le roi Philippe vient donc de confier les clés du pays à celui qui, il y a quinze ans à


peine, qualifiait la monarchie « d'institution de l'ancien régime ».


Après cinquante heures d'une négociation à couteaux tirés dans l'enceinte de l'École royale militaire – décor martial pour tractations civiles –, la Belgique tient enfin son


gouvernement 237 jours après les législatives du 9 juin 2024. C'est la troisième plus longue tractation depuis l'après-guerre. On est loin du record de 2011 et des 541 jours


nécessaires à la formation du gouvernement belge de Di Rupo. En 2020, la formation du gouvernement De Croo (sept partis politiques à bord) avait exigé 493 jours.


La nouvelle alliance conduite par le Flamand Bart De Wever, le chef de file de la N-VA, est baptisée « Arizona ». Elle rassemble un attelage politique pour le moins baroque : les


nationalistes flamands de De Wever y coudoient les libéraux francophones (MR), les centristes (Les Engagés), les socialistes flamands (Vooruit) et les chrétiens-démocrates flamands (CD &


 V). Une équation à cinq inconnues qui donne 81 sièges sur 150 au parlement fédéral. On avait compté six partis dans la coalition de Di Rupo (2011-2014) et quatre partis dans celle des


gouvernements Michel-Wilmès (2014-2020).


Le casting paraît impensable au regard des difficultés françaises à se concilier. Voir les socialistes flamands de Vooruit, seule formation de gauche de la coalition, s'allier avec la


droite dure de la N-VA relève de l'exercice d'équilibriste dont les Belges sont les champions d'Europe. En Belgique, l'acrobatie politique est un art aussi répandu que la


bande dessinée. Tout devient envisageable quand la paralysie menace. Et justement, la Belgique, avec ces institutions décentralisées, a cet art formidable de fonctionner même sans


gouvernement…


Bart De Wever, nouveau locataire du 16 rue de la Loi, est passé maître dans l'art du grand écart politique. En vingt ans, il a métamorphosé la N-VA, héritière des ultras séparatistes de


la Volksunie, en formation de gouvernement respectable. D'un groupuscule pesant 7 % des voix, il a fait le premier parti de Flandre. Le prix à payer ? Une certaine modération du


discours indépendantiste, remplacé par un confédéralisme de bon aloi sous le slogan « Une Flandre forte dans une Europe forte ». Au Parlement européen, la N-VA siège avec les députés de


Giorgia Meloni au sein du groupe ECR. Même les centristes de Renew admettent que les élus de Bart De Wever sont aujourd'hui tout à fait fréquentables et des partenaires pour trouver des


compromis européens solides.


« Je ne suis pas contre la Belgique, je suis plutôt pour la Flandre », assurait-il déjà en 2007. La formule est habile. Elle permet de rassurer les modérés tout en préservant


l'essentiel du message nationaliste. Aujourd'hui, le voilà qui cite Jules César – « Alea jacta est » – en franchissant son Rubicon personnel : diriger ce pays qu'il souhaitait


voir disparaître. Désormais, le parti souhaite simplement plus d'autonomie, ce qui signifie concrètement moins payer pour les Wallons (un transfert d'au moins 6 milliards


d'euros par an) et réserver le niveau fédéral à la Défense et aux Affaires étrangères qu'ils espèrent, un jour, mutualiser au niveau européen.


Si la N-VA a mis en sourdine ses revendications institutionnelles, elle s'est nettement droitisée sur le plan des valeurs. Anti-wokisme militant, conservatisme sociétal affiché : le


parti courtise désormais l'électorat traditionnel de la droite flamande. Son programme économique en témoigne : limitation des allocations chômage à deux ans, durcissement des


conditions d'accès à la retraite, restriction de la politique migratoire (à l'image de la plupart des gouvernements européens, du reste).


À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre Certes, des concessions ont dû être faites. L'indexation automatique des salaires, totem des socialistes flamands, est préservée. Ce n'est


pas un petit sujet en Belgique où l'inflation demeure sévère : elle est passée de 3,16 % à 4,08 % en janvier, selon Statbel. Les socialistes arrachent aux libéraux une taxe sur les


plus-values boursières. Mais l'orientation générale ne fait guère de doute : c'est bien un gouvernement de centre-droit qui prend les rênes.


À LIRE AUSSI EN BELGIQUE, LA CHASSE AUX KURDESLe nouveau Premier ministre joue gros. En se frottant au pouvoir, Bart De Wever pourra-t-il réellement délivrer la promesse d'une autonomie


plus grande de la Flandre ? Les syndicats, déjà dans la rue depuis mi-janvier, lui laisseront-ils le temps d'appliquer ses réformes ? Sans parler des écologistes qui dénoncent un « 


gouvernement _Titanic_ » face aux défis climatiques. Mais après tout, n'est-ce pas dans la plus pure tradition surréaliste belge ? René Magritte n'aurait pas renié ce tableau : « 


Bart De Wever, ceci n'est pas un séparatiste. »