Jean-Pierre Gattuso : « L'océan peut aussi être une source de solutions »

Jean-Pierre Gattuso : « L'océan peut aussi être une source de solutions »

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JEAN-PIERRE GATTUSO : « L'OCÉAN PEUT AUSSI ÊTRE UNE SOURCE DE SOLUTIONS »


Il présidera avec le PDG de l'Ifremer, François Houllier, le congrès One Ocean Science (OOSC), qui précédera, du 3 au 6 juin, la Conférence des Nations unies sur l'océan (Unoc).


Objectif : adosser les discussions des chefs d'État et de gouvernement aux dernières données scientifiques. La tenue d'un tel congrès en amont du sommet est une nouveauté dans la


courte histoire des conférences des Nations unies sur l'océan.


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Mais ce n'est pas la première fois que Jean-Pierre Gattuso fait figure de pionnier, lui qui s'est intéressé, dès la fin des années 1980, au rôle des récifs coralliens dans le cycle


du carbone à Perpignan, puis au Centre scientifique de Monaco, avant de rejoindre en 1999 l'Institut de la mer de Villefranche (Imev). Directeur de recherche au CNRS, il a également


été l'un des premiers à alerter sur l'acidification des océans, et il a contribué à plusieurs rapports du Giec.


JEAN-PIERRE GATTUSO :J'avais 10 ou 12 ans. Je regardais les films et lisais les livres du commandant Cousteau. Ma mère lui a même écrit pour savoir quelles étaient les études à suivre


pour devenir océanographe. Le commandant Jean Alinat, son directeur adjoint, lui a répondu par une longue et gentille lettre.


EN 1998, VOUS AVEZ ÉTÉ L'UN DES PREMIERS SCIENTIFIQUES À ALERTER SUR L'ACIDIFICATION DES OCÉANS. QU'EST-CE QUI VOUS A POUSSÉ À DEVENIR PIONNIER SUR LA QUESTION ?


J'ai beaucoup travaillé au Spitzberg, dans l'archipel norvégien du Svalbard, sur l'impact de l'acidification et du réchauffement en Arctique. Dès 1995, nous avons lancé à


Monaco des expériences pour mesurer les effets de l'acidification des océans sur les coraux tropicaux. En 1998, j'ai publié le premier article scientifique sur ce sujet. À


l'époque, personne n'en parlait. Les chimistes savaient que le CO2 rejeté dans l'atmosphère finissait en partie dans l'océan, mais la question restait sous les radars.


Puis, en 2008, le projet européen Epoca (European Project on Ocean Acidification), que j'ai coordonné, a marqué un tournant décisif pour la recherche sur ce phénomène.


QUELLES OBSERVATIONS FAITES-VOUS À L'IMEV SUR L'ÉTAT DE LA MÉDITERRANÉE ?


Le réchauffement est sans précédent. En août 2024, on a mesuré la température de la mer à 29,9 °C à l'entrée de la rade de Villefranche-sur-Mer, 2 degrés de plus que le précédent record


de 2003. Les canicules marines, toujours plus fréquentes, provoquent des mortalités massives : coraux, mollusques, étoiles de mer, oursins, gorgones… C'est ahurissant. La


tropicalisation de la Méditerranée est une réalité. Environ 1 200 espèces marines originaires de la mer Rouge ont franchi le canal de Suez et arrivent ici. Certaines sont inoffensives,


d'autres, toxiques, posent de sérieux problèmes. Et puis, il y a les tempêtes. Plus la mer est chaude, plus elles s'intensifient. La tempête Alex, en 2020, en est un exemple


frappant. FACE À CE CONSTAT ALARMANT, VOUS INSISTEZ SUR LA MISE EN PLACE DE SOLUTIONS CONCRÈTES. Absolument. Celles fondées sur la nature, avant tout. La restauration et la préservation des


écosystèmes de carbone bleu – herbiers de posidonie en Méditerranée, mangroves dans les zones tropicales, marais maritimes dans les régions tempérées – peuvent jouer un rôle clé. Ces milieux


capturent le CO2 et contribuent à en limiter les émissions. Certes, ils ne peuvent absorber que 2 % des rejets mondiaux, mais leur impact va bien au-delà : ils freinent l'érosion,


offrent des refuges pour les poissons et constituent d'importants réservoirs de biodiversité.


L'alcalinisation des océans est une piste prometteuse. Elle consiste à ajouter un antiacide dans l'eau pour absorber le CO2. On peut broyer des roches alcalines, comme le calcaire


ou l'olivine, puis les disperser en mer. Il existe aussi des approches liquides. La start-up française Pronoe, par exemple, injecte un produit alcalin dans de l'eau de mer pompée,


avant de la renvoyer à l'océan. Aucune de ces solutions n'est pour l'instant déployée à grande échelle. On en est aux balbutiements, avec des expérimentations menées aux


Pays-Bas et aux États-Unis. Beaucoup de start-up sont dans les starting-blocks.


L'océan est un formidable régulateur du climat. Bien sûr, il est victime du réchauffement, mais il peut aussi être une source de solutions. Rien n'est perdu. On peut encore agir


pour maintenir un océan en bonne santé.


C'EST TOUT L'ENJEU DE L'OOSC QUE VOUS ORGANISEZ AVEC L'IFREMER EN AMONT DE L'UNOC 3 ?


Ce congrès est inédit. C'est la première fois qu'un tel événement scientifique est adossé à une conférence des Nations unies sur l'océan. Nous allons présenter aux décideurs


les dernières avancées scientifiques et formuler des recommandations autour de dix thématiques : climat, biodiversité, pollution maritime, pêche… Plus de 2 000 scientifiques seront présents,


avec 500 communications orales, 9 conférenciers et 33 tables rondes. L'idée est de renforcer le lien entre science et diplomatie, pour que les décisions prises à l'Unoc soient


fondées sur des données précises et actualisées.


À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre Le comité scientifique international de l'OOSC, composé de 18 experts, a formulé des recommandations stratégiques sur les grands enjeux des


océans destinées aux chefs d'État et de gouvernement. Ces propositions ont été envoyées aux Nations unies le 15 janvier, juste avant le début des négociations pour l'Unoc à New 


York. On espère qu'un maximum d'entre elles sera intégré au Plan d'action de Nice pour l'océan.


LE POINT À L'OOSC Tout au long de l'événement, du 3 au 6 juin, nos journalistes s'entretiendront avec les scientifiques participant au congrès. Retrouvez toutes ces interviews


sur LEPOINT.FR.


Une fois par mois, les chercheurs de l'Imev embarquent au petit matin à bord du _Thétis II,_ direction Dyfamed. Depuis 1991, cette station océanographique, située en mer Ligure, à 50 


kilomètres au large de Nice, ausculte la Méditerranée jusqu'à 2 400 mètres de profondeur. Température, salinité, oxygène, pH : tout est passé au crible. Intégré au programme européen


Mediterranean Ocean Observing System for the Environment (Moose), Dyfamed établit l'une des plus longues séries de données océanographiques en Méditerranée. Et le constat est alarmant.


_« Le réchauffement de l'eau atteint aujourd'hui les grands fonds marins, accompagné d'une diminution du pH et du taux d'oxygène », _précise Émilie Diamond Riquier, la


chercheuse responsable de la campagne. Tout aussi inquiétant : la disparition des hivers froids empêche désormais le brassage des eaux. _« Les couches de surface et du fond ne se mélangent


plus, la mer reste stratifiée »,_ constate la chercheuse.


Un phénomène inquiétant pour une mer semi-fermée, où chaque degré de plus accentue la pression sur les écosystèmes.