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ORGASMES, ORGIES, STRATÉGIE : LA (VRAIE) VIE SEXUELLE DES ANIMAUX
Bienvenue dans le grand théâtre érotico-darwinien de la nature._ Trente millions d'orgasmes_ (Robert Laffont, 2025) n'est pas un manuel de biologie : c'est une bacchanale
naturaliste orchestrée par l'autrice et critique littéraire Minh Tran Huy, accompagnée des dessins débridés de Jul, plus polisson que jamais. Dans ce bestiaire érotique, le sexe
n'est ni sacré ni sale, il est baroque, ruse, survie, invention, poésie cruelle. Verges en tire-bouchon, vagins-labyrinthes, pénis volants, sperme-colle, accouplements kamikazes ou
stratégies de chasteté… Ici, les corps s'attirent, s'attaquent, se dupent, se transforment, se bouffent. Sans tabou ni décence, l'évolution compose une fresque libertine où
tout est permis.
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LE KANGOUROU OU L'ART D'ENCHAÎNER LES GROSSESSES À LA QUEUE LEU LEU
On feuillette _Trente millions d'orgasmes _comme on si on poussait la porte d'un cabinet de curiosités interdit aux âmes sensibles. Le livre s'ouvre sur une promesse : « Le
requin, les dents de l'amour ». Chez le requin-taureau, la vie commence dans un bain de sang. « Tous les fœtus dans le ventre de la mère se battent et s'entre-dévorent, les
premiers éclos croquant les plus faibles, avant de poursuivre leur festin en se jetant sur les œufs non fécondés. » Stratégie payante, car à la naissance le petit requin mesure plus
d'un mètre, ce qui dissuade les prédateurs. Puis, changement de décor : « Le kangourou, la dame aux trois vagins ». Une madone multitâche dotée de deux utérus, quatre tétines, et la
capacité d'être enceinte trois fois en même temps, chacune à un stade différent. Chez elle, la maternité est une entreprise à flux tendu. « Bien souvent Madame a un petit qui bondit à
ses côtés, un autre dans la poche, et un embryon prêt à se développer sous la main. » Une championne de la « superfétation » ou l'art d'enchaîner les grossesses à la queue leu leu.
« Son budget gynéco équivaut au PIB de la Nouvelle-Zélande », croque Jul.
Puis vient « Le poisson-clown, on ne naît pas femelle, on le devient », hymne à la plasticité sexuelle. Selon les besoins du groupe, les mâles deviennent femelles, ou les femelles deviennent
lesbiennes. Prenons les albatros de Laysan, dont Laura Bush, alors Première dame des États-Unis, fit l'éloge de la monogamie et de la fidélité, lors d'une visite à Hawaï en 2007.
En fait, sur certaines îles de l'archipel, près d'un tiers des couples sont constitués de femelles, car le sex-ratio y est déséquilibré. Plus aventureuses que les mâles, les
femelles occupent de nouveaux sites de nidification. Dans un contexte de pénurie de mâles, elles maximisent les chances de reproduction. Il faut deux oiseaux pour que l'un couve
l'œuf, protège le poussin, tandis que l'autre part pêcher. « Quand pondre un œuf requiert tant d'énergie que la limite est d'un petit par an, plutôt que de s'épuiser
à tout faire, autant avoir une aventure avec un mâle, avant de partager le nid avec une camarade femelle ! »
Il y a du Machiavel chez le suricate, où la femelle dominante, avec un taux de testostérone deux fois plus élevé que les mâles, règne d'une patte de fer sur sa tribu soumise. Elle
bouscule, vole, mord, dévore les petits qui ne sont pas les siens. Les subalternes, réduits à l'état d'esclaves, finissent par « regretter le bon vieux patriarcat », et prient pour
qu'un chacal ou un rapace vienne la faucher. Il y a du marquis de Sade dans la punaise de lit, obsédée forcenée qui harponne tout ce qui passe avec son sexe-seringue. Jusqu'à deux
cents pénétrations par jour : dans le dos, l'abdomen, les pattes ou le cœur, peu importe, du moment qu'il y a chair à perforer. Son sperme est parfois éjecté comme par un canon à
eau, sans égard ni consentement. Chez certains acariens, la promiscuité atteint des sommets : la mère produit un mâle pour quinze femelles, que ce frère unique féconde… avant même la
naissance, directement dans le ventre maternel. Résultat : « à mesure que ces filles sont mises en cloque par leur frère, la mère grossit jusqu'à exploser, et le cycle de se poursuivre,
de viols incestueux en matricides pour le plus grand bonheur de la famille. »
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Le lecteur, à la fois hilare et consterné, se surprend à regarder d'un autre œil la douce girafe Sophie, mascotte des berceaux, qu'un nouveau-né mordille et couvre de bave avec
joie. Car il vient d'apprendre que le mâle girafe, pour entamer sa cour, commence par sniffer l'urine de la femelle afin d'évaluer sa réceptivité hormonale. Quant au calamar
ou à la seiche, il n'osera plus jamais les commander les yeux fermés. Ces mollusques n'enfoncent pas leur pénis dans la femelle, ils usent d'un de leurs bras pour transporter
leurs spermatophores, des petites poches contenant du sperme, et les déposer sur le dos de leur dulcinée, près de son orifice buccal ou à l'intérieur de son manteau, « cette partie que
nous aimons à consommer frite ou à la plancha ». C'est ainsi que lors d'un dîner un peu trop aventureux, plusieurs dizaines de gourmets coréens, amateurs de fruits de mer encore
frémissants, se sont retrouvés la bouche criblée de poches de sperme.
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Enfin, une dernière, glaçante, « Chérie, j'ai dévoré les gosses ». Le texte explore une facette obscure : le meurtre des petits des autres. Sur 260 espèces de mammifères étudiées, 119
le pratiquent : primates, rongeurs, carnivores… Et l'humain n'échappe pas à la liste. Drôle, érudit, parfois cru mais toujours salutairement irrévérencieux, _Trente __millions
d'orgasmes_ est un ovni zoologique, qui vous fera rire, grimacer, frémir. Car dans ce monde où « la chair n'est jamais triste », il n'y a ni pudeur ni morale, seulement
l'obsession des mâles à transmettre leurs gènes, et celle des femelles de pouvoir choisir les meilleurs partenaires, pour assurer la survie de leur progéniture. Chaque orgasme y scelle
un pacte contre l'extinction.