Play all audios:
Elle vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître : Florelle Moire a été l'une des premières Chief Happiness Officer (CHO, ou responsable du bonheur) dans
l'Hexagone. « C'était en 2014. J'étais alors Chief Officer dans une agence de marketing. Mon boss, de retour de la Silicon Valley où il avait écumé les start-up et les géants
de la tech, m'a proposé ce nouveau poste. »
Recevez l’information analysée et décryptée par la rédaction du Point.
Merci ! Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :
Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.
Ses missions comprennent alors l'animation de communautés, la communication interne, gérer la vie de l'agence, organiser des événements et améliorer le confort des conditions de
travail. En gros, « créer un environnement de travail propice au bonheur des collaborateurs ».
Dès son arrivée en France, la tendance des Chief Happiness Officer est largement commentée par les médias et les entrepreneurs. Ce buzz ne signifie pas pour autant que des milliers de postes
ont été créés. Il n'existe pas de données précises mais en 2019, selon France Travail, environ 170 personnes se présentaient comme CHO sur LinkedIn. En 2011, l'Agence
France-Presse en recense 190. Plus de chiffres depuis.
Cela n'étonne pas Charles-Henri Besseyre des Horts, professeur émérite en management et ressources humaines à HEC : « Je n'ai jamais vu vraiment apparaître cette vogue,
souligne-t-il. Quelques entreprises, surtout étrangères, se sont lancées, mais, en France, cette affaire n'a pas vraiment pris. Je ne connais pas une des entreprises du CAC qui a
vraiment nommé un CHO. » À LIRE AUSSI ET SI ON S'INSPIRAIT DES PAYS SCANDINAVES POUR ÊTRE HEUREUX AU TRAVAIL ?
Raillés dès leur arrivée en France, les CHO ont rapidement dû supporter l'étiquette d'amuseur de l'open space, d'installateur de baby-foot et de fournisseur de corbeilles
de fruits. Ces images agacent encore Johan Carelli, ancien CHO qui dirige maintenant son entreprise de stratégies d'innovation et d'innovation entrepreneuriale. « Ç'a
toujours été totalement faux. Le baby-foot ou le beau canapé, c'était 1 % du travail. Mais tout le monde s'est focalisé là-dessus, alors que ce n'est pas le cœur du métier, en
tout cas tel que je le conçois. » Florelle Moire abonde : « Nous avons été moqués en raison de cet aspect apparemment _bullshit_ du métier, alors qu'il a toujours été clair que ma
mission était de permettre aux personnes de travailler dans de bonnes conditions. Un peu ce qu'on appelle la qualité de vie au travail, aujourd'hui. »
C'est un malentendu linguistique, selon Johan Carelli : « L'expression américaine a été traduite mot pour mot en français. Or, dans le contexte américain, cela ne signifiait pas
créer le bonheur, mais mettre tout en place pour que les collaborateurs se sentent bien au travail. » Face aux moqueries, certaines entreprises françaises ont fini par changer
l'intitulé du poste.
Outre les incompréhensions liées aux missions du CHO, le positionnement des entreprises face aux conditions de travail et au bien-être des salariés a changé, surtout après le confinement.
L'explosion du télétravail, notamment, les a obligés à réfléchir à de nouvelles manières de maintenir le collectif et le bien-être des collaborateurs. Aujourd'hui, les compagnies
parlent moins de bonheur que de bien-être au travail et de QVCT (qualité de vie et des conditions de travail), faisant de ceux-ci une mission transversale plutôt que la responsabilité
d'une seule personne.
« CHEF D'ORCHESTRE DU BONHEUR, C'EST DE L'ESBROUFE »
Et c'est une très bonne chose pour Charles-Henri de Besseye, qui « ne critique pas l'idée que les gens soient heureux dans l'entreprise ; mais faire croire qu'il existe
un chef d'orchestre du bonheur avec ce CHO, c'est de l'esbroufe ». Pour le professeur, « ce n'est pas à l'entreprise de créer du bonheur – car la définition du
bonheur diffère selon chacun. Mais elle se doit de créer les conditions d'épanouissement de ses collaborateurs. En revanche, la liberté, la reconnaissance, le respect, sont des facteurs
sur lesquels peut agir l'entreprise et qui créent du bonheur ». « Tout l'enjeu est de savoir ce qui compte réellement dans la vie de chaque individu afin de lui donner le temps et
les moyens dont il a besoin », renchérit Johan Carelli.
Les initiatives ponctuelles ont cédé la place à des politiques plus structurelles, basées sur la flexibilité, la santé mentale et l'équilibre entre vie personnelle et vie
professionnelle. Des enjeux cruciaux pour les salariés, et qui ont d'ailleurs compté dans le phénomène de « grande démission » il y a deux ans. « Les nouvelles générations sont
davantage attentives aux valeurs de l'entreprise, au cadre de travail et à l'épanouissement personnel qu'à la sécurité de l'emploi et au salaire », souligne Johan
Carelli. Pour les attirer et les fidéliser, l'entreprise doit s'engager sur ces thématiques. Beaucoup d'anciens CHO ont intégré la direction des ressources humaines ou
travaillent sur la QVCT et la RSE (responsabilité sociétale de l'entreprise).
À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre « Il faut avoir conscience que la vraie valeur ajoutée d'une entreprise réside dans ses collaborateurs, souligne le chef d'entreprise. Il
est nécessaire d'aller à la rencontre de ses salariés et de comprendre leurs besoins, d'analyser leurs usages afin de mettre en place une stratégie organisationnelle qui
corresponde à chacun : management de projets, espace de travail, règles communes, montée en compétences, sociabilisation… À ses yeux, c'est le cœur du métier de Chief Happiness Officer
que de « cartographier ces besoins afin d'en extraire des gisements de valeurs ».
À ce jour, dans les entreprises françaises, très peu ont commencé à travailler cette expérience collaborateur, sur ces besoins individuels pour bien effectuer son travail. « On n'en est
encore qu'aux prémices », selon Johan Carelli. Mais, conclut-il, « on ne pourra pas en faire l'économie avec l'arrivée dans les entreprises de la génération Z » qui est dans
une quête de sens au travail.