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On la dit endormie et sans surprise. Marsactu a confié au journaliste Iliès Hagoug le soin de d'arpenter et de raconter la vie nocturne de la ville. Cette semaine, il a cheminé de nuit dans
les rues marseillaises avec un militant anti-affichage publicitaire.
“La question climatique, c’est la mère de toutes les luttes”. 23 h, dernière bière à l’extrémité du centre-ville, et Paul* se livre bien volontiers sur les racines de son engagement
écologique, social et anti-consommation. Sur ce qui l’a mené, depuis quelques mois, à se munir du nécessaire permettant d’accéder aux multiples panneaux publicitaires JC Decaux qui parsèment
les trottoirs marseillais. Arrêts de bus et panneaux défilants sont les cibles principales de ce trentenaire engagé la journée dans son métier, encore plus dans son activité nocturne :
“Depuis que j’ai été formé et sensibilisé, je fais de l’anti-pub parfois même simplement sur le chemin vers chez moi le soir”. Une formation délivrée par d’autres militants, qui comme lui se
revendiquent d’Extinction rébellion, mouvement né au Royaume-Uni qui prône les actions choc pour communiquer sur la lutte climatique et la décroissance. “C’est de la désobéissance civile,
non violente de manière générale et donc aussi envers les biens”.
De ce fait, lorsqu’il fait des actions “anti-pub”, Paul ne détruit pas le matériel. D’un pas déterminé, il n’interrompt même pas son fil de discussion lorsqu’il s’accroupit près d’un
abribus, teste l’une des quatre serrures à la base du panneau publicitaire et finit par trouver celle qui accroche. En quelques secondes, l’affiche est arrachée en un mouvement pour ne pas
l’attraper par ses bords coupants, jetée à la poubelle et les lumières sont éteintes après avoir accédé au disjoncteur. “Ça consomme l’équivalent de trois foyers français tous les soirs,
tout ça pour pousser à la consommation pour que quelques entreprises se fassent plus de beurre sur nos culs”. Pour parfaire le tout, un slogan est marqué sur le fond blanc qui sert
habituellement à éclairer l’affiche, signé du “X” encerclé symbole d’Extinction Rébellion. “J’ai des cibles que je préfère : la malbouffe, les fringues, les pubs sexistes. Tout ce qui
représente pour moi l’exploitation généralisée”. Et il a appris les stratégies publicitaires par zone : “C’est marrant, ici on est plutôt sur Getir. Au Camas, c’est plus des pubs pour de la
permaculture, des marchés locaux”.
Un certain savoir-faire donc, acquis en à peine quelques mois d’actions répétées. Ce soir, il a comme à son habitude sur lui son petit kit d’action : une série de clés universelles, un
feutre vert (“c’était ma couleur avant que je sois militant écolo”) et surtout une clé Allen spéciale. Elle a été personnalisée pour correspondre aux nouvelles normes que l’entreprise
gestionnaire prend soin de changer régulièrement. Parce qu’il y a un clair jeu du chat et de la souris : certains panneaux ont été équipés d’émetteurs signalant l’alimentation ou pas des
néons, et l’action est clairement très éphémère. “Mon constat, c’est que c’est en général remplacé entre deux et six heures après l’action. On a fait une action il n’y a pas longtemps sur le
Prado en début d’après-midi, et lorsque je suis repassé le soir même ils avaient tous été remplacés par des publicités pour la Marine nationale”. Paul sourit, mais il a conscience qu’il
vide un peu la mer à la petite cuillère : “D’un côté ça fout les boules, mais d’un autre côté je crois qu’il y a eu un impact. Il y a du monde qui est passé devant et que ça a peut-être fait
réfléchir”.
En plein milieu d’un grand carrefour fréquenté, Paul cible un panneau qui fait défiler trois affiches. Elles veulent vendre du parfum, des bijoux et du sport mais ont un fil rouge clair :
une femme au centre de l’affiche. Déambuler avec Paul souligne fait ressortir un constat de notre inconscient : la seule fréquence des arrêts force à réaliser l’omniprésence de la publicité.
La décontraction généralisée du bonhomme qui arrache des pubs ferait presque oublier l’illégalité de son action. Et c’est le premier à le dire : “Je ne cache pas mon visage. Je prends une
seule maigre précaution : je ne prends pas mon téléphone. Mais en vérité ils nous aiment bien la police : j’ai fait des actions avec les gilets jaunes, c’était pas pareil. Ça me questionne
même sur l’action : est-ce qu’on va assez loin vu qu’on ne se fait pas arrêter ou taper dessus ?”.
Son vœu sera presque exaucé ce soir : une voiture de police municipale s’arrête, fait marche arrière, trois agents en sortent, plus interloqués qu’énervés. “Il se passe quoi dans votre tête
?”
Paul répond qu’il s’agit d’une action non violente, que la consommation énergétique est important, et que la publicité constante le dérange. Pas extrêmement réceptive, la police municipale :
“C’est bien d’éteindre toutes les lumières, comme ça toutes les femmes se font violer dans la rue”. Ou encore : “La publicité ça vous dérange, moi les personnes comme vous ça me dérange.
C’est pas pour autant que je me débarrasse de vous, donc vos idées, vous les gardez pour vous”.
Après un contrôle d’identité, une menace d’être emmené au poste et de transmettre à JC Decaux, les policiers municipaux demandent à Paul d’aller chercher l’affiche dans la poubelle et de la
remettre à sa place. Et observent en échangeant des rires le jeune homme s’accroupir une nouvelle fois, pour ouvrir le panneau et remettre l’affiche à moitié déchirée de manière très
approximative. Et c’est face au ridicule de la situation qu’un vrai dialogue s’installe, l’un des agents essayant toujours de comprendre : “C’est vrai, quand je regarde YouTube, la pub
toutes les deux secondes ça me fait chier. Mais là c’est une entreprise, des impôts qu’on gaspille”, en portant atteinte aux abribus, sous-entend-il. Un parallèle intéressant, qui mènera à
une dizaine de minutes d’échanges sur le sujet, entre une voiture garée au milieu de la route et une affiche publicitaire même plus éclairée qui fait peine à voir. Paul peut expliquer son
action, et même si derrière les questions des agents un mépris se cache à peine, ils écoutent. Et le laissent reprendre sa route sans souci, non sans avoir lâché avec un sourire : “Bon, par
contre, j’ai pas envie de repasser et de vous revoir trafiquer votre truc, là”.
Un bon point final pour cette soirée d’action anti-pub. Un peu de philosophie même pour Paul : “Je pense à Henri Lefebvre, qui disait que l’espace public est la représentation du pouvoir. Le
citoyen doit avoir une part de décision dans l’espace public, et la pub est à l’opposé de ça”. Mais il ne se fait toujours pas d’illusion : “Ils ont vu un mec en chemise. Quand je vois des
contrôles à Noailles ça ne se passe pas comme ça”. Et pas d’illusions sur son action non plus : le lendemain, il relèvera que 7 des 10 panneaux ont été remplacés avant 9h30.
C’est bien de faire prendre conscience de l’inanité et du coût de ces publicités, auxquelles on s’est habitué. Oui, toutes ces pubs energivores devraient disparaître de l’espace public, du
métro. C’est une aberration.
Je fais partie des passants qui ont apprécié l’initiative avenue des Chartreux et suis convaincue de son impact. Ras-le-bol, en effet, de cette prise ´d’otage renouvelée ! Je ne peux pas
croire que les usagers aux arrêts de bus ne sont pas sensibles à l’interpellation : rien qu’en les faisant réagir, Paul atteint son objectif de remettre en question un décor tellement
banalisé que notre inconscient l’a pitoyablement intégré. Pour reprendre la remarque du policier, il est vrai que nous avons besoin de financer nos infrastructures : c’est toute la
perversité de ce système qui met nos institutions à la merci de la bourse des entreprises privées.