L'ingénieux potager de ce retraité azuréen lui permet de manger poissons et légumes en économisant 90% d’eau

L'ingénieux potager de ce retraité azuréen lui permet de manger poissons et légumes en économisant 90% d’eau

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Avec sa chemise fleurie, son pantalon en lin et sa chevelure immaculée, soigneusement peignée, Didier Petak, restaurateur parisien à la retraite, n’a pas franchement l’allure d’un Géo


Trouvetou. Mais les clichés ont parfois la vie dure sur la Côte d’Azur. À 69 ans, cet habitant du village d’Aiglun, où il a posé ses valises il y a 10 ans, a élaboré dans son jardin un


potager en forme de corne d’abondance… en économisant 90% d’eau. _"J’ai toujours été proche de la nature. J’étais encore chef à Paris lorsque je me suis intéressé à la permaculture,


j’ai rencontré Pierre Rabhi_ [philosophe et agriculteur, fondateur du mouvement Les Colibris]_. Quand je me suis installée ici, l’idée c’était de vivre en autosuffisance en faisant mon


potager. J’étais franchement fatigué des excès de la société de consommation…"_, lance le bonhomme, plutôt du genre affable. > __ > "DE QUEL DROIT ON M’EMPÊCHE D’ARROSER MES 


LÉGUMES DANS MON > COIN RECULÉ ALORS QUE, SUR LA CÔTE, LE SUR-TOURISME ESSORE TOUTES > LES RESSOURCES?", _DIDIER PETAK, HABITANT D’AIGLUN_ Problème: en 2022, alors qu’il cultive


son jardin au pied d’une jolie propriété surplombant l’Estéron, l’arrêté anti-sécheresse, pris par la préfecture des Alpes-Maritimes, le contraint à couper le tuyau d’arrosage. _"Je


suis devenu fou furieux! De quel droit on m’empêche d’arroser mes légumes dans mon coin reculé alors que, sur la côte, le sur-tourisme essore toutes les ressources?"_ La colère ravalée,


ce _"curieux de nature"_ se met à cogiter… Un goutte-à-goutte? _"Oui mais la terre ici est mauvaise, argileuse, il faut l’amender…"_ Didier a bien deux chèvres, sauvées


de l'abattoir, mais leur fumier ne suffit pas. Sur Google, il cherche: _"comment arroser avec le minimum d’eau"_, ponce le web, à la recherche d’une solution. _"Je ne


suis pas ingénieur agronome. Mais dans mes recherches, j’ai vu qu’en Australie, un truc fonctionnait bien: l’aquaponie. Le principe, c’est faire un élevage de poissons dont les nutriments


des déjections servent d’engrais pour alimenter des bacs de culture, immergés dans l’eau."_ Ce système de culture hors sol, sorte de boucle fermée, prend son ancrage il y a plus d’un


millénaire, selon le livre _Aquaponie: associer aquaculture et production végétale_ (ed. Quae). On en trouve ainsi trace _"il y a environ 1700 ans, [dans] des systèmes de


rizipisciculture apparus sur le continent asiatique en Chine continental"_. Ou encore _"aux alentours de l’an 1200"_, dans la civilisation aztèque qui cultivait des jardins


“composés d'îles artificielles généralement rectangulaires”, indiquent les auteurs Pierre Foucard et Aurélien Tocqueville. UNE INSTALLATION COMME UNE BOUCLE À L’ÉQUILIBRE DÉLICAT Pour


mettre en place son drôle de jardin en aquaponie, Didier Petak a eu recours au système D. Pour ses cultures immergées, il s’est équipé de cuves IBC de 1.000 litres (types récupérateurs


d’eau), _"quelques-unes données par des amis, d’autres achetées à 50€"_. S’y ajoutent deux bidons bleus de chantier d’1m3 pour accueillir ses poissons: jusqu’à 35 kg de truites et


de perches dans chaque. En contrebas, par gravité, un puisard récupère l’eau des poissons contenant les déjections puis une pompe, alimentée au secteur, se charge de faire repartir cette


eau, gorgée en nutriments, dans les bacs de culture pour servir d'engrais azotés naturels. Des légumes y poussent, les racines dans l’eau, recouvertes de billes d’argile. Dans cette


boucle, qui tourne en vase clos, des filtres mécaniques et biologiques se chargent de réguler la qualité de l’eau, un système de pompe à chaleur d’en stabiliser la température, été comme


hiver. _"Car dès 24, 25°C, les truites peuvent tourner de l'œil",_ détaille Didier, en soulevant le couvercle de l’un des bacs à poissons. Au fond, ses occupantes, dont


certaines ont une taille impressionnante, tournent en rond. Difficulté de cet écosystème: veiller à ce que son fragile équilibre soit maintenu. _"Tous les jours, je vérifie la


température de l’eau et son PH. S’il est trop haut, j’utilise un produit pour le réguler autour de 6,5"_, explique l’ingénieux jardinier, qui a monté ce dispositif en un mois. DES


RÉCOLTES ABONDANTES QUI INTÉRESSENT LES EXPERTS En ce mercredi d’été, la chaleur est étouffante à Aiglun, malgré les 624 mètres d’altitude et la proximité de l’Estéron qui, contrairement à


2023 (et sa sécheresse affolante), s’écoule paisiblement en contrebas. En nous guidant dans son jardin, Didier ne cache pas sa fierté. Les pieds de courgettes sont si opulents qu’ils ont


pris leurs aises en galopant jusqu’à la restanque qui surplombe leur bac de culture. Tomates, fraises, mélisse et autre piment d'Espelette garnissent les potagers flottants, à hauteur


d’homme. _"Même pas besoin de se baisser pour récolter, encore moins de désherber"_, lance le retraité. Papillons et gendarmes complètent le coloré tableau du restaurateur-bricolo.


> __ > "C’EST ENTHOUSIASMANT DE VOIR QU’UN PARTICULIER A RÉUSSI TOUT > SEUL À MONTER UNE INSTALLATION AUTONOME ET EFFICACE", _STÉPHANIE > LARBOURET, INGÉNIEURE 


AGRONOME_ _"Ces bacs donnent 5 fois plus que mon potager en pleine terre"_, se réjouit Didier Petak, à la démarche très empirique. Stéphanie Larbouret, directrice adjointe de la


Communauté de communes des Alpes d’Azur, y a, elle, porté son regard d’ingénieure agronome à l’invitation du maire du village, Anthony Salomone, bluffé par la création de cet administré.


_"Ici, la terre est assez pauvre. Je me dis que cela peut être une vraie solution pour la culture locale"_, glisse ce dernier. _"J’ai croisé l’aquaponie lors de mes études.


J'en avais une image d’une technique ancestrale complexe, nécessitant des matériaux spécifiques, une technicité, une finesse dans les températures, l’eau, le système de filtration.


C’est enthousiasmant de voir qu’un particulier a réussi tout seul à monter une installation autonome et efficace"_, souligne-t-elle. R & D, FORMATION ET CHANGEMENT D’ÉCHELLE EN


PROJET Est-ce que la technique, élaborée à Aiglun grâce à la curiosité de Didier, pourrait passer la seconde et offrir une vraie capacité d’adaptation à l’agriculture locale alors que les


sécheresses sont amenées à se multiplier? _"Avec un peu de recherche et développement pour l’aider, cela paraît réplicable",_ estime Stéphanie Larbouret. Pour ce territoire rural,


la technicienne préconise toutefois un camaïeu de solutions, allant de l’agroforesterie (un mixe de cultures, d’arbres et d’élevage) à la remise en circulation des canaux d’irrigation et des


moulins pour irriguer. Le frein? _"Nous sommes sur des territoires pauvres. On réfléchit du coup à créer une association et un fonds de dotation pour mobiliser des financements privés


sur le sujet"_, explique celle qui dirige aussi le pôle espaces naturels de cette collectivité très campagnarde, où seuls 10.000 habitants vivent. De son côté, Didier Petak, quand il


n’est pas dans son potager ou en cuisine en train d’agrémenter ses récoltes, songe à faire grandir le projet. _"Pourquoi pas en étendant l'expérience sur une parcelle plus vaste ou


en créant une petite ferme d’aquaponie école",_ lance-t-il. _ENVIE DE RÉAGIR À L'INSTALLATION DE DIDIER OU DE NOUS PARTAGER UNE INITIATIVE QUI CONTRIBUE À L’ADAPTATION AU


CHANGEMENT CLIMATIQUE? ECRIVEZ-NOUS À [email protected]_