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Philippe Baptiste, ministre en charge de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a annoncé début avril la généralisation des Contrats d’Objectifs, de Moyens et de Performance (COMP) au
sein des universités. En d’autres termes, les établissements de l’Enseignement supérieur seront contraints de conclure ces contrats avec le ministère afin de toucher des subventions pour
charge de service public (SCSP) qui représentent presque l’entièreté de leurs ressources. Officiellement adopté en conseil des ministres ce 28 avril, cette généralisation entrera en vigueur
dès 2026, actant un saut majeur dans la néo-libéralisation des universités. UN OUTIL AU SERVICE DE LA POLITIQUE DE CASSE DES UNIVERSITÉS En préparation depuis 2022, les COMP sont de
véritables outils de mise au pas des facs. En ce sens, lors du lancement de la première des COMP expérimentales, la ministre de l’ESR d’alors, Sylvie Retailleau, ne s’en cachait pas : «
_c’est un outil qui entraine des conséquences en fonction de l’atteinte, ou non, des objectifs fixés (…) Il traduit ma volonté de faire du Ministère un « Ministère stratège », en mesure
d’évaluer réellement les trajectoires des établissements et d’en tirer les conséquences nécessaires, qu’elles soient bonnes ou mauvaises_ ». Concrètement, la généralisation de ces contrats
va permettre au ministère de « piloter » et de gérer les établissements par en haut en imposant des objectifs à atteindre sur une période donnée. L’élaboration de ces contrats se fait entre
les présidences et le ministère, sans concertation ni avec les travailleurs de l’université, ni avec les étudiants. Ces contrats viennent, une fois encore s’il en fallait, mettre en évidence
l’illusion que représente la « démocratie » universitaire. Car le ministère et les présidences d’universités négocieront ces contrats à huit-clos, de manière discrétionnaire et en dehors de
tout cadre, les conseils centraux d’université servant, à peine, de chambre d’enregistrement. En ce sens, ces négociations laissent le champ libre à l’exécutif pour imposer ses politiques
comme il l’entend. Celui-ci pourra donc ajuster les objectifs selon son bon vouloir, ou du moins, selon qu’il considère l’établissement comme une université « d’excellence » ou de « second
rang ». Dans les établissements ou les COMP ont déjà été mis en place de manière « volontaire » et à titre expérimental, cette politique de casse a déjà fait ses effets. A l’université Paris
Nanterre, par exemple, un contrat a été signé à la rentrée 2024 pour une valeur totale de près de 5 millions d’euros. Un apport ridiculement faible mais indispensable à l’heure ou les
établissements sont au bord de la faillite. Comme le prévoit le fonctionnement des COMP, l’établissement a déjà obtenu 50 % du budget alloué par le contrat à titre d’avance. Désormais, il
est donc sommé d’atteindre les objectifs fixés sur une durée de trois ans, notamment pour obtenir le complément de 30 % puis de 20% des deux phases suivantes. Or parmi les objectifs fixés
par le ministère, l’université doit par exemple transformer son offre de formation afin d’augmenter la réussite et l’insertion professionnelle des étudiants et favoriser l’enseignement à
distance. Des injonctions appliquées à la lettre par la présidence locale qui prévoit la suppression de plus de 20 parcours au sein de sa future offre de formation. En clair le ministère
entend donc bien, avec la généralisation de cet outil, accélérer « l’autonomisation » des universités, ou en d’autres termes accélérer sa mainmise sur leur fonctionnement pour accélérer leur
transformation. En outre, ils seront un levier supplémentaire au service du gouvernement pour imposer toujours plus de coupes budgétaires afin d’appliquer sa politique austéritaire. Comme
le souligne l’universitaire Julien Gossa dans une note de blog, « _on peut donc écarter la possibilité de COMP100% permettant d’obtenir 20% de SCSP (subventions pour charge de service
public) en plus pour les établissements qui atteignent leurs objectifs, et prévoir raisonnablement 20% de SCSP en moins pour les établissements qui ne les atteignent pas_ ». En somme, un
dispositif pour allouer toujours moins aux universités, notamment pour faciliter la hausse des dépenses militaires voulues par Macron et Bayrou. UN LEVIER SUPPLÉMENTAIRE POUR METTRE AU PAS
LA RECHERCHE Le rapport Gillet avoue noir sur blanc l’objectif de chantage financier des COMP : « _Le ministère appréciera les réalisations dans le cadre de ce contrat en fin de période, lui
permettant d’ajuster ses investissements budgétaires. En conséquence, en cas de plein succès [...], l’État devra envisager d’apporter des moyens accrus. A l’inverse, un échec devra aboutir
à des conséquences visibles sur le plan budgétaire_ ». Dans un contexte où 60 universités françaises sur 74 se sont retrouvées en déficit en 2024, les COMP serviront à s’attaquer aux
travailleurs, aux contenus des formations et à la liberté de la recherche, comme le préconisait la Cour de comptes en 2023. Le déploiement de ces contrats, étape par étape, en commençant par
la Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Nouvelle-Aquitaine avant de s’étendre à l’ensemble des universités, fait partie de la feuille de route vers l’acte 2 de la LRU. Là où les COMP ont déjà
commencé à être déployés, comme c’est le cas de l’Inria, l’un des organismes publics de recherche en France, spécialisé dans l’informatique et les sciences du numérique, la pression sur les
chercheurs s’est accrue. Le COMP de l’Inria liste ainsi un ensemble d’indicateurs utilisés pour l’évaluation de l’organisme, notamment le nombre de rapports produits ou encore de projets
financés, ce qui n’est qu’un des nombreux moyens de surveiller le travail des chercheurs et d’évaluer leur « rentabilité » sur le plan international notamment. Autant d’objectifs signés sans
réelle concertation avec les travailleurs des différents laboratoires, les réunions de « dialogue » organisées par la direction s’étant déroulées sans possibilité d’avoir connaissance du
document. Lors d’un discours adressé aux directions d’établissement de l’ESR, Emmanuel Macron ne cachait d’ailleurs pas ses objectifs : « _Aujourd’hui, une mauvaise évaluation n’a aucune
conséquence, quasiment sur une équipe de recherche. Ça veut dire que collectivement, si on veut qu’il y en ait moins, il faut qu’on accepte de se dire que sur une équipe de recherche qui a
une mauvaise évaluation, on accepte de la fermer_ » Finalement, ce contrat va, entre autres, chercher à imposer aux chercheurs des partenariats avec le ministère des Armées, et l’Inria sera
évaluée sur sa capacité à créer des équipes de recherche travaillant sur une thématique liée à la défense ou encore sur le transfert industriel de technologies pour la défense. Dans le
contexte de marche à guerre où des entreprises comme Thales s’enrichissent sur le réarmement des états européens, il est urgent de se mobiliser contre la militarisation du milieu
universitaire. La mise en place de ces contrats à l’Inria a entraîné une forte contestation chez ses chercheurs. Une pétition contre sa mise en place a en effet été signée par plus de 900
personnes, soit près de la moité des chercheurs et responsables d’équipe de l’Inria, un évènement inédit au sein de cet établissement, et dans le milieu académique plus largement. Face aux
attaques néolibérales du gouvernement, qui avance toujours plus loin dans la casse de l’université publique et sa mise au service des intérêts privés, les enseignants, chercheurs, personnel
de l’université et étudiants doivent s’organiser ensemble pour y mettre fin. Alors que le gouvernement a déjà supprimé plus de 2 milliards de budget de l’Enseignement supérieur en 2025,
après des années de disette, pour financer sa course à la militarisation, cette riposte est plus qu’urgente.