La justice américaine retoque les tarifs douaniers : un symbole des contradictions du bonapartisme de trump

La justice américaine retoque les tarifs douaniers : un symbole des contradictions du bonapartisme de trump

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La Cour du commerce international des Etats-Unis (_Court of International Trade_ (ITC) en anglais), vient d’annuler les droits de douane « réciproques » proclamés le 2 avril par Donald Trump


au cours de son auto-proclamé « _Liberation Day_ ». En remettant en cause le caractère « illimité » de l’autorité que Trump s’est arrogée, le tribunal a tranché que le président


milliardaire ne peut pas « imposer des droits de douane infinis sur les marchandises provenant de presque tous les pays du monde ». L’ensemble des tarifs douaniers « réciproques » imposés le


2 avril à la plupart des partenaires commerciaux américains sont donc déclarés « illégaux », de même que les tarifs imposés au Canada, au Mexique et à la Chine au nom de la lutte contre le


trafic de fentanyl. Si les droits de douane sont temporairement maintenus suite à la décision de la Cour d’appel, le temps pour elle de se prononcer sur le fond, le jugement en premier


instance de l’ITC constitue tout de même un revers symbolique pour l’administration Trump. Les juges du tribunal new-yorkais ont considéré que Donald Trump a abusé de l’IEEPA (_International


Emergency Economic Powers Act_) de 1977, sur lequel se basait le décret du 2 avril sur les tarifs douaniers pour « répondre à l’urgence nationale que représente le déficit commercial massif


et persistant ». L’administration Trump a donc eu recours à une loi réservée aux situations « d’urgence », une loi d’exception à l’américaine, pour définir sa stratégie tarifaire globale et


lancer sa guerre commerciale tous azimuts, une « urgence » que conteste le tribunal. D’après la Cour, c’est donc au Congrès de légiférer sur la politique commerciale des Etats-Unis au nom


de la séparation des pouvoirs et du caractère non exceptionnel de la situation actuelle. Alors que les juges ont donné 10 jours à l’administration Trump pour appliquer cette décision, cette


dernière n’a évidemment pas tardé à réagir, annonçant faire appel et demander la suspension du décret par le biais de l’actuel principal conseiller commercial de la Maison-Blanche, Peter


Navarro. Pour lui, « rien n’a changé ». Même son de cloche chez Kevin Hasset, qui a déclaré à Fox Business, chaîne d’extrême droite très proche du régime trumpiste, que les juges « 


ralenti[ssent] les choses en plein milieu de négociations très importantes », notamment avec l’Union Européenne, avant d’annoncer que l’administration Trump pourrait mobiliser d’autres « 


approches ». Comprendre par là : Trump compte bien poursuivre sa guerre commerciale entamée grâce à un saut bonapartiste inédit. Les alternatives juridiques existantes sont plus complexes et


potentiellement temporaires, mais pourraient lui permettre de contourner la décision judiciaire et maintenir sa stratégie protectionniste. Parmi ces possibilités, on trouve notamment la


possibilité pour le président d’imposer des droits de douane allant jusqu’à 15 % pendant une période maximale de 150 jours en réponse à un déséquilibre persistant de la balance des paiements


(Section 122 du Trade Act de 1974) ; l’extension des droits de douane pour des raisons de « sécurité » à davantage de secteurs alors que ce motif a déjà permis de taxer les importants


d’acier, d’aluminium ou d’automobiles (Section 232 du Trade Expansion Act de 1962) ; ou encore une loi datant de la crise de 1929 (Section 338 du Tariff Act de 1930) permettant d’imposer des


droits de douane pouvant atteindre 50 % en réponse à des pratiques commerciales discriminatoires envers les États-Unis. Toutefois, ce premier revers judiciaire d’envergure expose au grand


jour les contradictions du régime et de cette solution « césariste » sur le terrain politique, alors même que la politique commerciale et économique menée par Trump suscite aussi bon nombre


de contradictions d’ordre économique. DES _CHECKS EN BALANCES_ VERS UN RÉGIME BONAPARTISTE ? La décision rendue par les juges new-yorkais marque une remise en cause du pouvoir croissant et


surtout écrasant de l’exécutif dans la politique commerciale, pourtant historiquement déléguée par le Congrès depuis les années 1930. Comme le notaient en janvier les économistes Adam Looney


et Elena Patel, les deux derniers mandats de Trump puis Bident ont « exercé un niveau agressif d’autorité exécutive pour augmenter les droits de douane sur les produits importés ». La


plupart des droits de douane implémentés dans son premier mandat par Donald Trump ont été conservés voire étendus sous la présidence du démocrate Joe Biden, mais Donald Trump a cette année


fait exploser les compteurs. La nouveauté avec Trump est par ailleurs liée à la façon dont il a imposé ces tarifs, qui témoigne de l’aspiration à une solution bonapartiste au sein d’une


partie de plus en plus importante de la classe dominante américaine. La mobilisation de loi d’exception et la multiplication de décrets présidentiels, alors même que Donald Trump dispose


d’une majorité au Congrès et à la Cour Suprême, sont symptomatiques du tournant depuis son retour au pouvoir. Cependant, si une partie de la bourgeoisie soutient Donald Trump et


l’accélération dans la refonte de l’ordre économique international – et national –, quitte à aller au-delà du cadre habituel de la démocratie bourgeoise américaine, cette décision juridique


marque les divisions internes aux classes dominantes américaines. Ce sont en effet des entreprises américaines de secteurs du capital hostiles aux tarifs douaniers, comme l’exportation ou la


distribution, qui ont saisi la Cour de commerce international, débouchant sur le désaveu de la politique commerciale trumpienne. Une partie de la bourgeoisie américaine craint en effet que


la perturbation des chaînes d’approvisionnement et l’augmentation des coûts liés aux tarifs douaniers ne la contraignent à une baisse de ses marges, et in fine n’en vienne à ronger leurs


profits. QUEL AVENIR POUR LA GUERRE COMMERCIALE ET LES CLASSES LABORIEUSES AMÉRICAINES ? Si cette décision judiciaire représente un revers symbolique majeur pour Trump, elle ne constitue en


rien un véritable coup d’arrêt à sa stratégie bonapartiste et à l’accélération des tensions internationales autour de la question commerciale. En plus de faire appel, l’administration a


aussi annoncé qu’elle poursuivrait ses négociations commerciales avec ses principaux partenaires. Comme l’a rapporté le Financial Times, les discussions entre l’Union européenne et les


États-Unis prévues à Paris la semaine prochaine sont maintenues malgré la décision du Tribunal du commerce international. Autrement dit, cette décision ne fait pas dérailler la dynamique


tarifaire impulsée par Trump, qui continue à faire pression sur ses partenaires commerciaux, impérialistes ou non. Cette obstination s’explique par une réalité plus structurelle : la classe


dominante américaine n’a pas d’alternative politique sérieuse à proposer face à la crise d’hégémonie ouverte depuis 2008 et amplifiée par les reculs stratégiques de l’impérialisme américain


sur la scène mondiale. Comme l’écrivait Claudia Cinatti en novembre dernier, le trumpisme est une tentative de réponse « à la décomposition de l’ordre néolibéral dominé par les Etats-Unis ».


Dans ce cadre, la guerre commerciale de Trump, loin de ne toucher que les capitalistes de certains secteurs particuliers, sera avant tout payée par les classes populaires. Comme avec le Big


Beautiful Deal, projet budgétaire phare de Donald Trump et « carnage annoncé », c’est en réalité les travailleurs et les classes populaires qui vont être mis à contribution, via


l’augmentation des prix à la consommation, les suppressions d’emplois et les coupes budgétaires brutales. Les classes populaires vont payer la facture de la confrontation entre puissances


impérialistes, alors même qu’elles n’en tirent aucun bénéfice. C’est pourquoi il serait illusoire de croire que le camp parlementaire bourgeois, opposé à Trump sur les formes, serait un


allié pour les travailleurs. Loin d’être un rempart solide contre l’autoritarisme, cette frange agit plutôt comme un garde-fou républicain, prête à défendre l’ordre capitaliste contre les


deux fronts : contre Trump, mais aussi contre toute contestation sociale venant d’en bas. Le Parti Démocrate en est un bon exemple, ayant étouffé les mobilisations contre les violences


policières et les grèves récentes pour contenir toute radicalité. Comme nous l’écrivions déjà à propos des positions protectionnistes de certaines directions syndicales comme la CGT, la


réponse ne viendra pas du nationalisme économique ou de l’espoir d’une alliance avec une fraction "responsable" du patronat. Ces discours ne font que masquer le caractère


structurellement anti-ouvrier de la guerre commerciale et du saut bonapartiste nécessaire à son accélération. À l’inverse, c’est par l’unité de la classe ouvrière, la solidarité


internationaliste et la lutte contre les tentatives de division nationale et impérialiste que peut émerger une alternative. Face aux bonapartismes trumpistes comme aux impérialismes


libéraux, seule une politique indépendante des travailleurs peut opposer une issue progressiste à la crise actuelle.