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Alors que depuis plusieurs semaines, Gérald Darmanin se consacre au projet de loi brutal dit de _« lutte contre le narcotrafic »_ qui s’attaque aux droits démocratiques les plus élémentaires
des prisonniers, il a adressé ce lundi 12 mai à l’ensemble des magistrats du pays une feuille de route annonçant des projets de réforme de la justice et plus particulièrement de la justice
pénale. Au programme, le ministre entend réinstaurer les peines planchers, supprimer les peines de prison avec sursis, créer une procédure de reconnaissance de culpabilité en matière
criminelle ou encore systématiser les procédures de saisies et de confiscations de biens. PEINES-PLANCHERS ET SUPPRESSION DES PEINES DE PRISON AVEC SURSIS : VERS LA MISE AU TROU D’OFFICE
Sous couvert d’illisibilité du code pénal, le Garde des Sceaux entend réduire les peines à quatre grandes catégories : peine d’emprisonnement (sans sursis), peines de probation (travaux
d’intérêt général, aménagement de peine etc.), jour-amende et amendes, et peines d’interdiction ou d’obligation. S’il s’agit dans l’ensemble d’un modèle très similaire au système actuel, le
ministre envisage de supprimer les peines de prison avec sursis tout en précisant que _« le recours aux peines de probation ou aux peines d’amende devra être privilégié mais leur violation
entraînera immédiatement une incarcération »_. Dans sa lettre aux magistrats, Gérald Darmanin poursuit : _« Ces peines pourront être assorties de seuils minimaux pour garantir une réponse
claire dès la première infraction […] en particulier pour les actes de délinquance du quotidien […] vols, dégradations, rodéos sauvages… »_. En d’autres termes, l’objectif est d’encourager
les magistrats à envoyer directement en prison plutôt que de condamner à de la prison avec sursis, et faciliter l’incarcération pour de plus petits délits en mettant en place un envoi
automatique au trou en cas de non-respect des peines de probation. Cette dernière mesure viserait de plein fouet les plus précaires puisqu’elle impliquerait une incarcération d’office pour
une personne condamnée pour un petit délit qui n’aurait pas les moyens de payer son amende. Plus encore, le ministre entend restaurer les peines-planchers, qu’il nomme _« seuils minimaux »_,
mesure emblématique de Nicolas Sarkozy créée en 2007 avant d’être abandonnée en 2014. Si Sarkozy avait cantonné ces peines minimales aux situations de récidive, Gérald Darmanin entend aller
beaucoup plus loin en les appliquant à tous. Concrètement, cela signifierait que pour un délit déterminé, si la culpabilité est reconnue, le juge serait dans l’obligation de condamner à une
peine minimale sans prise en compte du contexte ou de la situation de la personne condamnée. Évidemment, ces mesures qui visent à toujours plus punir vont de pair avec la création de
nouvelles prisons comme l’explique lui-même le Garde des Sceaux _« ce changement de paradigme indispensable, allié à la construction rapide de nouvelles places de prison déjà annoncées »_
avant d’ajouter avec une ironie glaçante _« permettra de lutter contre la surpopulation carcérale »_. A l’heure où l’État français poursuit pour _« apologie du terrorisme »_ toutes les voix
dissidentes au discours gouvernemental sur le génocide à Gaza, infraction aujourd’hui punie jusqu’à 7 ans d’emprisonnement, il est fort à parier qu’une systématisation des peines-plancher
pourrait être un outil formidable pour encore mieux réprimer. Une telle mesure serait également un outil pour le ministère de la Justice pour renforcer son contrôle sur les décisions des
juges dans la continuité de la méthode des circulaires avec laquelle il avait dicté aux juges les contours de la répression après le 7 octobre ou lors des révoltes pour Nahel. RECONNAISSANCE
DE CULPABILITÉ EN MATIÈRE CRIMINELLE : LE PLAIDER-COUPABLE Autre grande mesure envisagée dans sa lettre aux magistrats, Darmanin entend _« engager immédiatement la concertation sur la
création d’une procédure de reconnaissance de culpabilité en matière criminelle »_. Le Ministre souhaite donc étendre la comparution sur reconnaissance de culpabilité, née en 2004, aux
crimes. Depuis, de nombreuses autres types de procédure dites _« alternatives »_ ont vu le jour et irriguent le droit pénal. Le concept ? Une justice marchandée qui se fonde sur l’aveu de
culpabilité sans aucune forme de procès. Concrètement, ces procédures prennent appui sur la peur du procès et il est proposé au mis en cause d’accepter une peine, sans passer par la case
procès, en échange de la reconnaissance de leur culpabilité. Étendre ces procédures aux affaires criminelles serait une atteinte particulièrement grave aux droits de la défense, visant à
inciter des personnes à reconnaître avoir commis un crime et à accepter de nombreuses années de prison sans aucune possibilité de pouvoir tenter de se défendre au cours d’un procès. Une
restriction des droits des mis en cause qui fait échos à la mesure de _« dossier-coffre »_ de la loi narcotrafic autorisant le juge d’instruction ou le procureur à constituer un dossier
pénal auquel le premier concerné ne pourra pas avoir accès ou encore à l’extension des comparution immédiates aux mineurs réduisant encore leurs possibilités de se défendre. SYSTÉMATISER LES
PROCÉDURES DE SAISIES ET DE CONFISCATIONS DE BIENS POUR FAVORISER UN « RETOUR SUR INVESTISSEMENT » Un autre axe développé par le Ministre dans sa lettre est celui du recours aux saisies et
confiscations de biens : _« la confiscation est une peine utile et efficace, malheureusement trop peu utilisée »_ écrit-il. Cyniquement, il poursuit : _« Conformément à la loi, les ventes
avant jugement doivent être développées. Les juridictions doivent par ailleurs bénéficier d’un retour sur investissement pour dynamiser les saisies, les ventes avant jugement et les
confiscations »_. Les ventes avant jugement sont une pratique parfaitement scandaleuse : avant même qu’un individu soit reconnu coupable (ou innocent !), ses biens saisis qui sont jugés
inutiles à l’enquête sont vendus aux enchères. Si le mis en cause est relaxé, il ne pourra pas retrouver son bien mais seulement l’argent issu de la vente. Une forme de vol légal que
Darmanin veut systématiser, et dont il exige même un _« retour sur investissement »_ pour faire vivre les services en charge de ces saisies. Une pratique qui a rapporté à l’État 1,4 milliard
d’euros sur la seule année 2023, avant ces annonces. Et le Garde des Sceaux ne s’arrête pas là : il souhaite que les personnes condamnées remboursent à l’État les frais d’enquête et de
justice engendrés. Une mesure qui plongera encore plus dans la précarité les personnes poursuivies, et il est fort à parier que s’appliquera l’incarcération automatique évoquée précédemment
aux personnes qui ne parviendraient pas à rembourser ces frais. Si pour l’heure l’ensemble de ces mesures ne se traduisent pas dans un projet de loi, elles annoncent la couleur et l’état
d’esprit du ministre de la Justice pour les mois à venir. Dans la lignée de la loi narcotrafic, le gouvernement entend imposer une offensive brutale contre les droits démocratiques les plus
élémentaires et renforcer son arsenal répressif judiciaire. Face à ces offensives à venir, il est plus qu’urgent de faire bloc et d’exiger l’abrogation de toutes les lois répressives et
autoritaires