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Ce samedi 10 mai, le président des Etats-Unis a publié un communiqué triomphaliste sur son réseau social, indiquant qu’un accord de cessez-le-feu avait été trouvé entre le Pakistan et
l’Inde, au terme de quatre jours d’affrontements entre les deux puissances nucléaires. Mais à peine quelques heures après l’entrée en vigueur de la trêve, l’Inde accuse le Pakistan d’avoir
rompu la trêve. L’accord signé par Islamabad et New Delhi intervient après la riposte pakistanaise aux frappes menées mercredi par le gouvernement suprémaciste de Modi, qui accuse le
Pakistan d’avoir soutenu et organisé l’attentat qui a visé 26 civils indiens, le 22 avril, dans le Cachemire occupé. Après que l’Inde a lancé, dans la nuit de vendredi à samedi, plusieurs
assauts contre trois bases aériennes, dont le quartier général de l’armée, selon Islamabad, le Pakistan a enclenché l’opération « mur de plomb » en riposte. Comme le résume _Le Monde_, «
_les militaires pakistanais ont lancé une attaque contre plusieurs sites stratégiques en Inde, notamment des aérodromes à Udhampur au Cachemire, à Pathankot au Pendjab, base aérienne avancée
de l’armée de l’air indienne, Suratgarh au Rajasthan, Sirsa dans l’Haryana et un dépôt de missiles au Pendjab_ ». TROIS JOURS D’ESCALADE Dans la nuit du jeudi 8 au vendredi 9 mai, de
violents affrontements avaient déjà eu lieu. Selon un officier de police à Kolti, « _les forces indiennes ont tiré sur des zones civiles_ » et les bombardements auraient duré une grande
partie de la nuit. En réponse, l’armée pakistanaise avait mené une contre-offensive ciblant trois postes militaires indiens le long de la ligne de contrôle. Un responsable de la sécurité à
Muzaffarabad a confirmé qu’« _un obus tiré par les forces indiennes s’est abattu sur une maison_ », tuant un jeune homme et blessant grièvement ses deux sœurs dans le district de Bagh.
Ainsi, cinq civils cachemiris, dont une fillette, aurait été tués dans la région du Cachemire pakistanais, portant à 37 tués le bilan côté pakistanais depuis mercredi, avec une soixantaine
de blessés. À l’inverse, l’Inde accusait le Pakistan d’avoir mené une nouvelle attaque de drones sur la région du Cachemire indien, notamment autour de la ville de Jammu. Une source au
ministère indien de la Défense, citée par l’Agence France-Presse, a confirmé ces frappes. Le chef de l’exécutif régional, Omar Abdullah, a signalé sur son compte X des « _détonations
intermittentes_ », précisant que Jammu avait été plongée dans l’obscurité. New Delhi affirme également que des tirs pakistanais ont visé « _l’ensemble de la frontière_ » et fait état de «
_multiples attaques_ » de drones, qui auraient été repoussées. Une civile aurait été tuée côté indien. Le Pakistan avait affirmé avoir abattu, depuis mercredi soir, 77 drones indiens de
fabrication israélienne, envoyés selon lui au-dessus d’au moins neuf villes, dont certaines accueillent des installations militaires ou des structures sensibles des renseignement
pakistanais, comme Rawalpindi, la ville jumelle de la capitale Islamabad. Symptôme du climat belliciste qui règne en Inde, les autorités indiennes ont ordonné, jeudi 8 mai, au réseau social
X (anciennement Twitter) de bloquer plus de 8 000 comptes, dont ceux de nombreux médias internationaux. La plateforme a confirmé avoir reçu cette injonction sous la menace de lourdes
sanctions, incluant des amendes importantes et l’éventuelle incarcération de ses employés en Inde. Cette vague de censure a également touché plusieurs médias indiens réputés, dont _The
Wire_, critique du pouvoir de Modi. De nombreux journalistes et observateurs dénoncent une attaque frontale contre la liberté d’informer, dans un contexte où les discours nationalistes
s’intensifient et où toutes les voix dissidentes sont de plus en plus muselées. Dans sa déclaration sur le blocage de l’accès à son site par le gouvernement, _The Wire_ explique qu’il
proteste « _contre cette censure flagrante à un moment crucial pour l’Inde, alors que les voix et les sources d’information sensées, véridiques, équitables et rationnelles comptent parmi les
plus grands atouts du pays_ ». D’autres journaux comme _Maktoob_, _The Kashmiriyat_ et _Free Press Kashmir’s_ ont également été censurés par le régime indien, une volonté de museler les
principaux titres de presse cachemiris. DES PREMIÈRES VIOLATIONS DU CESSEZ-LE-FEU DÉJÀ SIGNALÉES Quelques heures à peine après l’annonce de la trêve, des violations du cessez-le-feu ont été
signalées, notamment dans la partie du Cachemire colonisé par l’Inde. Omar Abdullah, un dignitaire indien dans la région du Jammu-et-Cachemire a publié une vidéo, non authentifiable,
montrant une batterie anti-aérienne entrant en action tandis que plusieurs rapports relayés par l’AFP font état de coupures de courant et de puissantes détonations dans la région. Le _New
York Times_ rapporte ainsi qu’un « _haut responsable indien a confirmé qu’il y avait eu des tirs le long de la frontière entre l’Inde et le Pakistan. Il a également déclaré que des drones
pakistanais avaient été aperçus au-dessus de Srinagar, la capitale du Cachemire administré par l’Inde, ainsi que dans l’État indien du Pendjab_ ». Des accusations au sujet desquelles il
convient de se montrer prudent, l’Inde et le Pakistan multipliant les fausses déclarations et s’accusant mutuellement d’être à l’origine des attaques. Dans tous les cas, le climat reste
extrêmement tendu et ces violations pourraient permettre à l’Inde de justifier d’une nouvelle attaque, dans sa tentative de renforcer son influence régionale, avec le soutien des Etats-Unis,
en affaiblissant son principal rival dans la région. D’autre part, alors que le Pakistan a visé des sites militaires indiens lors de l’opération « Mur de plomb », la tentation reste grande
pour l’Inde de répondre en élevant le niveau d’intensité de l’affrontement. Comme le soulignait Tariq Ali, dans un récent article, l’affrontement entre Islamabad et New Delhi semble obéir à
un scénario « à l’iranienne » : une série de frappes, de ripostes et de contre-ripostes qui rappellent les passes d’armes entre Israël et la République Islamique, depuis le début du génocide
à Gaza. À la différence, toutefois, de ce qui s’est produit au Moyen-Orient, le Pakistan et l’Inde sont des puissances nettement moins prudentes que le régime réactionnaire de Téhéran, dont
les attaques directes contre Israël étaient très calculées. Il n’est pas certain que ce cessez-le-feu parvienne à mettre fin aux échanges de tirs et, dans ce contexte, les violations de la
trêve serviront sans doute à justifier une nouvelle riposte de la part de l’Inde. Pour John Mearsheimer, la question centrale reste de savoir si l’un des deux pays peut bénéficier d’un
_ascendant opérationnel_ sur l’autre. Au regard des forces en présence, chaque pays est en mesure de répondre à intensité égale aux agressions de l’autre, ce qui constitue un facteur
d’élévation de l’intensité des combats. Toutefois, l’équilibre nucléaire entre les deux pays devrait agir comme un facteur d’inhibition. Comme le soulignait Sumit Ganguly dans les colonnes
de _Foreign Policy_, la doctrine nucléaire pakistanaise n’établit pas de frontière stricte entre les moyens militaires conventionnels et l’utilisation de l’arme atomique. Le Pakistan dispose
ainsi d’armes nucléaires tactiques qui pourraient par exemple être utilisées pour contrer une invasion terrestre indienne. D’autre part, le pays n’a pas de doctrine de non-emploi en
premier. L’Inde a quant à elle réviser sa doctrine d’emploi, dont les nouveaux termes sont particulièrement obscurs. Des conditions d’emploi qui limitent les possibilités d’escalade de
chaque belligérant. Dans ces conditions, le conflit devrait rester fermement sous le seuil nucléaire et mettre en jeu des moyens conventionnels limités. Le scénario d’escalade le plus
brutale qu’il soit possible d’imaginer demeure pour l’instant une avancée indienne dans le Cachemire, dont la colonisation est l’un des objectifs principaux du gouvernement Modi, notamment
depuis la révocation des statuts constitutionnels de 2019 qui offrait au pays une certaine autonomie. Quoi qu’il en soit, ce sont les travailleurs et les classes populaires du Cachemire qui
risquent de faire les frais d’un nouveau conflit, se retrouvant coincés entre la politique coloniale et suprémaciste hindou du gouvernement Modi et la politique réactionnaire du régime
pakistanais. Divisé en trois zones d’occupation après la décolonisation violente menée par l’impérialisme britannique et la première guerre indo-pakistanaise de 1947, soutenue par Gandhi, le
Cachemire est ainsi de nouveau un terrain d’affrontement entre deux puissances réactionnaires. En outre, le conflit survient à un moment où la rivalité entre l’impérialisme étasunien et la
Chine a atteint un niveau d’intensité très élevé. Tandis que l’Inde est perçue comme une alliée stratégique des Etats-Unis pour contenir la puissance chinoise, le Pakistan a beau conserver
des relations avec les Etats-Unis, ces dernières années ont été marquées par un rapprochement politique et économique important avec Pékin. Dans ce contexte, le conflit pourrait devenir un
nouveau point de cristallisation des rivalités sino-étasuniennes. Dans ce contexte, la région est devenue un terrain de jeu pour les ambitions de forces réactionnaires, tant à l’échelle
régionale qu’internationale. Ni l’Inde, ni le Pakistan, ni aucune des puissances impliquées ne défendent réellement les intérêts de la classe ouvrière et des classes populaires de toutes les
confessions du Cachemire et de la région. Pourtant, c’est la puissance de la classe ouvrière indienne et pakistanaise, ensemble, aux côtés des couches exploitées et opprimées de la région
qui pourraient garantir un véritable droit à l’auto-détermination aux populations du Cachemire et en même temps constituer un point d’appui pour la lutte contre l’ingérence des puissances
régionales et impérialistes.