« projet esther » : le plan pour éradiquer le soutien à la palestine qui inspire trump

« projet esther » : le plan pour éradiquer le soutien à la palestine qui inspire trump

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Dimanche 18 mai, le _New York Times_ publiait un long article consacré à _The Heritage Foundation_, _think-tank_ réactionnaire qui a envoyé fin avril une équipe en Israël pour rencontrer des


dirigeants et discuter du « projet Esther », un plan de lutte contre la solidarité avec le peuple palestinien. L’occasion de revenir sur ce rapport, qui influence la politique de Trump


depuis son investiture. UNE NOUVELLE PEUR ROUGE Il y a un an, les campus étatsuniens étaient le fer de lance du mouvement international de solidarité avec la Palestine. Sous la présidence de


Joe Biden, le mouvement était déjà victime d’une répression brutale, les étudiants étant délogés, arrêtés voire blessés. Si la vague d’occupations s’était affaiblie après l’été, c’est en


octobre 2024, un an après le lancement de l’offensive israélienne à Gaza, qu’_Heritage_ a dévoilé le projet Esther, « _une stratégie nationale pour combattre l’antisémitisme_ ».


L’introduction de ce rapport est on ne peut plus claire sur ses intentions : « _Le “mouvement pro-palestinien” violemment anti-Israël, antisioniste et anti-américain fait partie d’un Réseau


mondial de Soutien au Hamas qui essaie de pousser le gouvernement étatsunien à abandonner son soutien de longue date à Israël_ ». Ce réseau serait « _soutenu par des activistes et des


donateurs dévoués à la destruction du capitalisme et de la démocratie, [...] profitant de notre société ouverte, corrompant notre système éducatif, exploitant les médias américains, cooptant


le gouvernement fédéral_ ». S’ensuit une citation du Livre d’Esther, qui donne son nom au projet – de la même manière qu’Israël s’appuie sur des références bibliques, par exemple pour


intituler la nouvelle opération de conquête de Gaza « Chars de Gédéon » – puis une longue analyse de la situation aux États-Unis. Le Réseau de Soutien au Hamas (RSH, un acronyme créé de


toutes pièces par _Heritage_) infiltrerait les universités à travers les programmes de « _Diversité, Équité, Inclusion (DEI) et des idéologies marxistes similaires_ », serait financé par de


l’argent étranger et aurait des membres jusque dans le Congrès ! Après une comparaison entre le mouvement de solidarité avec la Palestine, et le _Bund germano-américain_, une organisation


nazie active dans les années 30, le rapport expose ses recommandations. Elles consistent à retirer aux membres du RSH (en réalité, aux militants pro-Palestine) le droit d’étudier, de


communiquer en ligne, de manifester, et même, s’ils sont étrangers, de résider aux États-Unis. Pour cela, le rapport préconise de s’appuyer sur des lois destinées à combattre la mafia et le


terrorisme. Ces méthodes de répression s’inspirent directement de la campagne gouvernementale menée dans les années 40 contre la propagande fasciste, et qualifiée de « peur brune ». Cette


campagne évolua en « peur rouge », lorsqu’elle fut dirigée contre les communistes au cours de la décennie suivante et de la doctrine du maccarthysme. _Heritage_ explique enfin que


l’administration Biden-Harris n’est pas à la hauteur de ces objectifs, et qu’ils attendent qu’une « administration disposée occupe la Maison Blanche ». Autant dire que la victoire de Trump,


un mois après la publication du rapport, a conforté leurs plans. En effet, le président a, neuf jours après son investiture, signé un décret ordonnant à son administration de « prendre des


mesures supplémentaires pour lutter contre l’antisémitisme » aux États-Unis. D’après Jacobin, son plan est un « _cocktail mélangeant la “guerre contre le terrorisme” de ce siècle et la “peur


rouge” du dernier ; et il cible ouvertement l’entièreté de la gauche, pas simplement les militants anti-guerre_ ». La déportation de Mahmoud Khalil, en avril dernier, est en quelque sorte


la première application concrète du projet Esther. Depuis, plus de 300 visas ont été révoqués selon le secrétaire d’État Marco Rubio, et plusieurs universités ont perdu des centaines de


millions de dollars de subventions. Parmi les superviseurs du projet, Bryan Leib, cité par Politico, affirme que les promesses de Trump ont été tenues, et Victoria Coates, que « _la phase où


nous sommes commence à exécuter_ » certaines des propositions. Rien d’étonnant quand l’on connaît la place qu’occupe _Heritage_ au sein du paysage politique étatsunien. UNE FONDATION AU


SERVICE DE LA RÉACTION _The Heritage Foundation_, créée au début des années 70, est le troisième _think tank_ le plus influent des États-Unis. Il s’agit d’une organisation nationaliste


chrétienne, ce qui explique que le projet Esther ne mentionne jamais l’antisémitisme d’extrême-droite, et que bon nombre d’organisations juives aient refusé d’y être associées. _Heritage_ a


été l’une des inspiratrices principales de Ronald Reagan, puis de Trump. Après sa première élection, en 2016, la fondation lui avait en effet fourni une liste de personnalités


conservatrices, qui rejoignirent ensuite son gouvernement. _Heritage_ se vanta même que Trump avait appliqué 64 % de ses propositions, parmi lesquelles la sortie des accords de Paris et de


l’UNESCO, ou l’arrêt du financement des plannings familiaux. Pour son deuxième mandat, en plus du projet Esther, la fondation est à l’origine du « projet 2025 », un « projet de transition


présidentielle » de 900 pages qui se veut comme une feuille de route livrée clé en main. Avant sa deuxième élection, Trump avait pris ses distances avec le rapport : il avait publié, en


juillet 2024, sur son réseau _Truth Social_ : « _Je ne sais pas qui en est à l’origine et certaines des idées avancées sont totalement ridicules_ ». Le texte, destiné à « _transformer les


rêves des conservateurs en réalité_ », était controversé. Il promouvait « _un interventionnisme accru de l’État dans la vie privée des américains_ », dénonçait le « _tourisme de


l’avortement_ » et la « _normalisation toxique du “transgenrisme”_ ». Il proposait en outre de revenir sur le statut de fonctionnaire, menaçant des dizaines de milliers d’emplois. Mais, si


Trump s’est démarqué de ce programme avant son élection, il s’est empressé de l’appliquer dès son retour au pouvoir : en témoignent ses multiples attaques contre l’IVG, les personnes


transgenres, les immigrés, et bien sûr les soutiens au peuple palestinien. Cependant, ni _Heritage_ ni Trump n’ont le champ libre pour autant. Le mouvement des occupations d’universités a


montré que la solidarité internationale pouvait naître au cœur de la principale puissance impérialiste. C’est ce que le président et la droite étatsunienne essaient d’anéantir. Mais les


manifestations récentes, rassemblant des centaines de milliers de personnes dans tout le pays, sont le signe que Trump ne pourra pas agir en toute impunité. La nouvelle « peur rouge » vise à


liquider, à terme, l’ensemble de l’opposition progressiste. À l’heure où la légitimité d’Israël s’effondre à l’échelle mondiale, le mouvement de solidarité avec la Palestine peut devenir le


fer de lance d’une union de la jeunesse et des travailleurs, contre l’offensive réactionnaire.