Universités et complexe militaro-industriel : pour une jeunesse antimilitariste

Universités et complexe militaro-industriel : pour une jeunesse antimilitariste

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Ces derniers mois, de nombreux étudiants se sont mobilisés contre les partenariats entre leur université et des entreprises d’armement, comme ceux conclus avec Thales, complice du génocide à


Gaza. Par cette mobilisation, les étudiants ont mis en lumière une question centrale : celle de l’emprise du complexe militaro-industriel sur nos universités. Une emprise que le


gouvernement va chercher à renforcer davantage face au risque de désengagement des États-Unis en Europe et à la montée des tensions internationales. En décembre 2023, pour justifier le


lancement du chantier de la LRU II, dont le but est d’augmenter drastiquement le nombre de partenariats entre le privé et le public, Macron déclarait déjà que nous étions confrontés « _à une


géopolitique non coopérative de la connaissance_ » et que la refonte de notre modèle d’université était un enjeu de souveraineté [1]. La supériorité technologique et scientifique étant


décisive dans les conflits armés pour acquérir une supériorité stratégique, les puissances étatiques et les industriels de l’armement investissent fortement dans la R&D (Recherche et


développement), et, pour ce faire, s’appuient notamment sur les universités. À l’heure où les principales grandes puissances se sont lancées dans la course à la militarisation, investissant


des centaines de milliards pour se réarmer, l’université sera nécessairement mobilisée, et le gouvernement tentera d’utiliser sa matière grise au maximum pour parfaire son arsenal de guerre.


C’est ce dont témoigne la « stratégie nationale pour l’IA » lancée en 2018 par Macron, dont le but est de faire de la France l’un des leaders de la recherche sur l’intelligence


artificielle. C’est aussi en ce sens que le gouvernement a pris soin d’avoir à sa botte la direction du CNRS, qui expliquait dans un article intitulé « _La recherche publique au service de


l’innovation de défense_ » paru en 2024 à quel point « _l’innovation représente plus que jamais un impératif pour le secteur de la défense et de la sécurité_ » et qu’ « _au sein de cet


écosystème, la recherche publique joue un rôle clé, et ce, dans de multiples domaines : matériaux innovants, lutte anti-drones, intelligence artificielle…_ ». INNOVATION DE DÉFENSE ET


PRÉPARATION DES ESPRITS À LA GUERRE : L’UNIVERSITÉ AU CŒUR DU PROJET MILITARISTE Cette étroite collaboration entre l’université, la recherche et le complexe militaro-industriel ne date pas


d’hier. En effet, dès la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français a fait de l’université et de la recherche civile ses étroits collaborateurs pour renforcer son arsenal


militaire, notamment nucléaire. Pour cela, il a créé le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), qui a immédiatement collaboré avec des laboratoires de recherche, surtout dans la ville de


Grenoble mais aussi à Toulouse-Bordeaux et en région parisienne, à Saclay plus précisément, où se sont formés des complexes scientifico-militaro-industriels qui sont devenus aujourd’hui de


véritables « technostructures » où collaborent activement scientifiques, militaires et industriels. C’est ce que relate Fabrice Lamarck dans son livre « _Des treillis dans nos labos : la


recherche scientifique au service de l’armée_ », où il écrit notamment que « _c’est bien au sein du CNRS et du CEA, avec de l’argent public, que se conçoivent les armes de demain_ » [2].


Aujourd’hui, la course à la militarisation va considérablement accroître cette mainmise du complexe militaro-industriel sur les universités autour de l’enjeu premier de renforcer l’armée,


mais également de convaincre la jeunesse de participer à l’effort de guerre. Pour mener à bien ce projet, le gouvernement déploie une propagande en faveur de l’institution militaire de plus


en plus offensive, notamment en direction de la jeunesse, secteur de la population identifié comme potentiellement réfractaire à la guerre. Ainsi, différents instituts de sondages


s’attellent depuis des semaines à faire vivre cette propagande militariste, publiant sondages sur sondages pour marteler qu’une partie importante de la jeunesse est favorable à la course à


la militarisation. Le 17 mars dernier, le JDD publiait ainsi un article titré : « _Armée : 50 % des jeunes Français prêts à s’engager en cas de conflit_ ». Dans les universités, où les


partenariats entre géants de l’armement et établissements prolifèrent d’ores et déjà aux quatre coins de la carte de l’enseignement supérieur, les entreprises multiplient les salons ou


forums pour tenter d’embrigader les étudiants. Comme un symbole de la préoccupation de l’ensemble du secteur de l’armement, le « fleuron » de l’industrie militaire française, Dassault, dédie


par exemple tout un budget à son intervention au sein des universités, jusqu’à intervenir directement dans les formations. Comme ils l’écrivent sur leur site : « _Environ 150 techniciens ou


ingénieurs de Dassault Aviation apportent leur expérience en s’impliquant dans des cours magistraux, des travaux dirigés, des études de cas, la participation à des jurys d’admission ou


d’examen, etc._ ». Autre exemple du côté de Safran, l’entreprise ne revendique pas moins de 18 partenariats avec des écoles d’ingénieurs et des universités scientifiques. Naval Group peut,


lui, se targuer d’une « _relation étroite_ » avec le CNRS, mise fièrement en avant par ce dernier, et d’un certain nombre de partenariats avec des universités. Cette politique du complexe


militaro-industriel conduit à la création de formations comme celle proposée à Paris 1 intitulée « Industries et marchés de défense ». En 2024, l’université a même créé un diplôme de


cybersécurité en collaboration avec Thales. Dans le même sens, le Laboratoire d’Astrophysique (LAM) de l’université d’Aix-Marseille est aussi, comme beaucoup de facultés ou de laboratoires,


en partenariat direct avec Thales. Rien que la filiale _Alenia Space_ de cette entreprise supervise « entre 40 et 50 thèses liées à la Recherche et Technologie, cofinancées avec les agences


et les laboratoires sur des budgets régionaux ». Mais à côté des entreprises privées de l’armement, c’est le ministère de la Défense lui-même qui entretient des liens étroits avec quantité


de formations universitaires, dans le but d’orienter la recherche à des fins militaires en échange de quelques dotations budgétaires. Comme l’explique Claude Serfati dans un entretien avec


Révolution Permanente : « _On a depuis quelques années un processus d’entrée du Ministère de la Défense dans les lieux intellectuels et de réflexion, dans les écoles_ ». En témoigne par


exemple le SNU, mais aussi la création en 2018 de l’Agence de l’innovation de défense (AID). Placé sous la responsabilité du délégué général pour l’armement, cet organisme a pour but de


travailler à la « _consolidation de la supériorité technologique des armées_ » qui « _est l’un des objectifs du projet de loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030_ ». Centralement,


l’agence a pour tâche de diriger la collaboration entre le secteur civil et le secteur militaire. Forte d’un budget de 10 milliards d’euros, elle finance chaque année entre 100 et 130


thèses. Des moyens considérables pour modeler la recherche au service de l’impérialisme français. FAIRE REVIVRE L’ANTIMILITARISME AU SEIN DES UNIVERSITÉS, UN PROGRAMME À ADOPTER D’URGENCE


Mais cette forte propagande gouvernementale est également l’expression de ses faiblesses et de ses craintes. En effet, la jeunesse est pour le moment loin d’être acquise au projet


militariste de la bourgeoisie, comme en témoignent les nombreuses mobilisations internationales auxquelles elle a participé ces dernières années, à commencer par celle en soutien au peuple


palestinien, mais également les nombreuses luttes nationales contre le gouvernement français. Cette politisation à gauche ouvre la possibilité de reconstruire un mouvement étudiant puissant,


internationaliste et anti-impérialiste, qui s’inspire du meilleur de la tradition du mouvement étudiant. Cette tradition, c’est celle qui a pris forme autour des années 60 en opposition à


la guerre d’Algérie, mais aussi quelques années plus tard autour de la guerre du Vietnam et dans les premières années de la décennie 70 en réaction à la loi Debré, dont l’objectif était


notamment d’abroger le sursis pour études au service militaire. Faire revivre cet héritage permettrait d’ouvrir une brèche au sein du consensus militariste actuel, à condition d’être


intransigeant avec toute forme de nationalisme et d’appel à s’unir derrière son drapeau. De ce point de vue, le ralliement de la gauche au militarisme, et notamment celui de la France


Insoumise, pose problème. En effet, l’organisation de Jean-Luc Mélenchon, si elle tente de dessiner une autre voie que celle tracée par Emmanuel Macron, en critiquant un alignement sur


l’impérialisme américain, défend elle aussi la restauration de la France comme grande puissance militaire. C’est ce qu’exprimait assez clairement la députée insoumise Alma Dufour sur France


Info le 6 mars, en déclarant : « _On n’est pas contre le réarmement de la France et de l’Europe, le problème c’est que si on dépense maintenant 40 milliards dans le matériel militaire, ils


vont aller où, ces 40 milliards ? Aux États-Unis_ ». C’est en ce sens également que la France Insoumise défend le développement du complexe militaro-industriel français, mais aussi le retour


d’une « conscription citoyenne », parmi d’autres mesures pleinement adaptées au militarisme. À l’heure de Trump, du génocide en Palestine et du retour des guerres entre grandes puissances,


il est urgent de s’opposer frontalement au consensus guerrier en faisant revivre la tradition antimilitariste du mouvement étudiant. Cela commence par dénoncer les nombreux partenariats et


collaborations existants au sein des universités avec l’armée et son industrie, dans la continuité des revendications défendues par le mouvement en soutien au peuple palestinien. Plus


largement, c’est une tâche de l’ensemble de ceux qui se revendiquent de gauche que de former un bloc politique en opposition au tournant militariste pris par les grandes puissances, dans le


but de défendre une autre société, débarrassée du capitalisme et de sa logique intrinsèquement belliciste et destructrice. C’est pour apporter notre contribution à cet objectif que, le 24


mai à Paris, Le Poing Levé participe au grand meeting internationaliste de Révolution Permanente, pour faire entendre que, face au militarisme et l’extrême-droite, la seule réponse valable


est de combattre notre gouvernement, nos patrons, notre propre impérialisme et ses plans de guerre.