Le supersolide, un nouvel état entre cristal et superfluide

Le supersolide, un nouvel état entre cristal et superfluide

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_Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir n°938, daté avril 2025._ C'est une _terra incognita_, une "terre inconnue", comme celles qui parsemaient encore les cartes du 19e siècle pour désigner l'Arctique, l'Antarctique ou le cœur de l'Afrique. Mais ici, point de reliefs ni de climats hostiles. Cette contrée inexplorée appartient au domaine de la physique quantique et porte le nom bien intrigant de "supersolide". Un état de la matière exotique, où les atomes se comportent à la fois comme un solide et un liquide capable de s'écouler sans friction, un superfluide. Comme si un bloc de glace se laissait traverser par de l'eau liquide sans encombre. Et pour ajouter encore au mystère, ce matériau inédit se présente… sous la forme d'un gaz à deux dimensions seulement ! Théorisé dès les années 1950, il a fallu attendre 2019 pour qu'une preuve expérimentale soit apportée, tant cet état est délicat à obtenir et à caractériser. C'est donc grâce aux travaux de trois équipes indépendantes, celles de Francesca Ferlaino à l'université d'Innsbruck (Autriche), de Giovanni Modugno à Pise (Italie) et de Tilman Pfau à Stuttgart (Allemagne), que le supersolide émerge. Et ce n'est qu'en décembre 2024 qu'une publication dans _Nature_, signée par l'équipe d'Innsbruck, est venue donner une dernière confirmation de l'existence de cet état quantique aux confins du solide, du liquide et du gaz. Une _terra incognita _désormais un peu moins mystérieuse, donc… UNE HISTOIRE MAL ENGAGÉE Tout avait bien mal commencé pour le supersolide… En 1956, les physiciens Oliver Penrose et Lars Onsager évoquent l'idée d'un état de matière à la fois solide et superfluide, mais concluent qu'il est impossible. Dès l'année suivante, Eugene Gross les contredit et propose un modèle suggérant qu'un tel état pourrait exister si les atomes interagissent à longue distance. Dans les années 1970, Anthony Leggett théorise la possibilité d'un supersolide dans l'hélium, mais les premières expériences en 2004, bien que prometteuses, sont controversées. Il faudra donc attendre la fin des années 2010 pour voir émerger le supersolide et caractériser ses propriétés étonnantes dans des gaz d'atomes ultrafroids. Pour comprendre vraiment le supersolide, il faut élargir sérieusement nos idées sur ce qu'est un solide. Lauriane Chomaz est professeure à l'université de Heidelberg, en Allemagne. Elle dirige le groupe de recherche Quantum Fluids, qui explore les comportements collectifs de la matière quantique. Mais cinq ans plus tôt, elle participait à la mise au point du supersolide dans l'équipe de Francesca Ferlaino. Alors, à quoi ressemble-t-il concrètement ? _"Dans l'expérience de 2019, il se présente sous la forme d'un gaz d'atomes magnétiques _[de l'erbium ou du dysprosium] _organisé en une série de gouttelettes quantiques _[des amas d'atomes] _régulièrement espacées. C'est ce qui permet de parler de solide. _" En effet, dans un cristal par exemple, la matière est ordonnée, ce qui est l'une des caractéristiques du supersolide. Mais c'est bien la seule concession à l'état solide "classique" car, pour le reste, il s'en affranchit largement, comme nous allons le voir… Condition indispensable pour élaborer ce supersolide : refroidir le gaz d'atomes aux environs de -273,15 °C, le "zéro absolu". Il atteint alors un état où tous les atomes se comportent comme une seule entité - un condensat de Bose-Einstein. Ils ne bougent plus individuellement mais agissent ensemble. Grâce à cette propriété, ils forment un superfluide, qui s'écoule sans aucune résistance. Normalement, un liquide frotte contre les parois d'un récipient ou contre un obstacle, ce qui dissipe de l'énergie et finit par le ralentir. Dans un superfluide, si un seul atome devait être ralenti, cela briserait l'unicité de l'ensemble. Mais pas question "qu'une tête dépasse" avec les lois de la physique quantique. Donc il glisse indéfiniment, tant qu'il reste sous une certaine vitesse critique… Lire aussiUne avancée vers les supersolides CONFINER LES ATOMES DANS UN PIÈGE OPTIQUE Obtenir un condensat de Bose-Einstein est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour faire un supersolide. Il faut encore qu'il se structure de manière régulière. L'astuce repose sur la nature même des atomes utilisés : l'erbium et le dysprosium, deux métaux appartenant à la catégorie des terres rares. _"Ces éléments possèdent des moments magnétiques, ce qui signifie qu'ils se comportent comme de minuscules aimants _", détaille Lauriane Chomaz. En jouant sur ces interactions magnétiques - attraction et répulsion -, les scientifiques vont réussir à forcer ces atomes à s'organiser en gouttelettes périodiques. C'est ce qu'ont réalisé Francesca Ferlaino et son équipe à Innsbruck en 2019. Les atomes sont d'abord confinés à l'aide de lasers au sein d'un piège optique. _"Ce type de piège permet de confiner les atomes sans recourir à des champs magnétiques, ce qui est crucial pour manipuler ces atomes magnétiques et contrôler précisément leurs interactions _", précise Lauriane Chomaz. Alors que la température est abaissée progressivement, les atomes forment un condensat de Bose-Einstein. Mais leur moment magnétique va modifier la donne par rapport à un condensat réalisé avec des atomes neutres, comme le raconte Francesca Ferlaino. _"Les atomes arrivant dans leur état fondamental décident de ne plus suivre l'organisation que le piège optique leur imposait. Ils choisissent spontanément une organisation qui minimise leur énergie d'interaction d'origine magnétique. Une fois l'équilibre atteint, les atomes s'organisent spontanément en une structure régulière, des gouttelettes de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers d'atomes chacune, ressemblant à un cristal. _" Avec de l'erbium, cette organisation est maintenue durant 38 millisecondes. Avec le dysprosium, 152 millisecondes. Depuis, la durée a été portée à une seconde. C'est largement suffisant pour considérer cet état comme stable. Il reste à démontrer qu'il se comporte aussi comme un superfluide. LE VORTEX, SIGNATURE INCONTESTÉE DE LA SUPERFLUIDITÉ En décembre 2024, l'équipe d'Innsbruck relève ce défi en mettant en évidence un phénomène clé : la formation de vortex quantiques. Comment ? En le faisant tourner rapidement sur lui-même, en mode toupie. Créer un vortex pour prouver la superfluidité peut sembler paradoxal. Lorsque l'on fait tourner un seau d'eau sur lui-même, les couches de fluide en contact direct avec la paroi sont mises en rotation par effet de frottement. Or, la superfluidité, c'est l'absence de forces de frottement. Alors pourquoi chercher à générer un vortex dans un supersolide ? Andrea Litvinov, post-doctorant dans l'équipe de Francesca Ferlaino, détaille ce point délicat. "_Lorsque nous mettons en rotation le supersolide, nous lui communiquons de l'énergie sous la forme d'un moment angulaire. Mais ce système n'a tout d'abord pas la capacité de l'absorber. Il faut atteindre une valeur bien précise d'énergie, un quantum, pour que tout à coup, l'énergie passe dans le système qui devient alors excité. Or, on sait depuis les années 1950 qu'un superfluide excité par une énergie de rotation génère spontanément des vortex. Leur apparition constitue ainsi une signature incontestable de la superfluidité._" Dans l'expérience d'Innsbruck, les chercheurs ont appliqué un champ magnétique externe pour mettre en rotation le supersolide. Pendant les 300 premières millisecondes (ms), ils n'ont observé aucun changement notable. Autour de 400 ms, des vortex ont commencé à émerger. Vers 800 ms, le système a atteint un équilibre dynamique stable, où des tourbillons bien établis coexistent avec la structure solide. Pourquoi plusieurs tourbillons ? _"Contrairement à un liquide classique qui tourne en bloc, le supersolide résiste à une mise en rotation globale, _rappelle Francesca Ferlaino_. Pour s'adapter, il se fragmente en multiples tourbillons locaux. C'est sa façon de refuser une rotation imposée. _" Lire aussiUn étrange fluide quantique qui se solidifie quand on le chauffe PROCHAINE ÉTAPE : EXPLORER SES PROPRIÉTÉS Maintenant que la physique a planté son drapeau sur cette _terra incognita_, quelle est la prochaine étape ? _"L'explorer !, _s'enthousiasme Andrea Litvinov_. Quelles sont ses propriétés ? Réagit-il de la même manière à plus grande échelle_ [dans l'expérience d'Innsbruck, la taille du supersolide est de l'ordre de quelques micromètres] _? Comment le manipuler ? Nous avons encore tout à découvrir. _" Lauriane Chomaz, elle, y voit une occasion unique d'étudier les comportements collectifs de la matière. _"Le supersolide existe grâce aux corrélations quantiques des atomes. Cela soulève des questions fascinantes : comment ce comportement émerge-t-il ? Comment apparaissent les propriétés quantiques à partir de l'état classique ? _" Francesca Ferlaino, enfin, pose une question vertigineuse : et si le supersolide existait ailleurs que dans les laboratoires ? _"Pour l'instant, nous ne l'avons obtenu que dans des conditions extrêmement contrôlées, mais il pourrait exister naturellement dans l'Univers _", avance-t-elle. Le plus extraordinaire, c'est que ce n'est pas exclu ! Certains astres exotiques, comme les étoiles à neutrons, pourraient bien receler de telles structures. D'autres _terrae incognitae _à explorer… DES SUPERSOLIDES DANS LA STRUCTURE INTERNE DES ÉTOILES À NEUTRONS ? Les étoiles à neutrons figurent parmi les objets les plus extrêmes de l'Univers : l'équivalent d'un Soleil compacté dans une sphère de seulement 12 km de rayon. Sous leur croûte solide, on soupçonne l'existence d'un bain de neutrons superfluides s'écoulant sans friction, formant un état de la matière qui combine structure cristalline et superfluidité. Un parallèle frappant avec les supersolides étudiés en laboratoire. Mais comment le démontrer ?  Grâce à un comportement particulier de ces astres en rotation rapide sur eux-mêmes. Ils voient leur vitesse ralentir au fil du temps mais, parfois, leur fréquence de rotation connaît de brusques sursauts, appelés _glitches_, avant un retour à la normale. La cause de ces anomalies est mystérieuse. Une étude de 2024, menée par Francesca Ferlaino et Massimo Mannarelli (Laboratoire de Gran Sasso, en Italie), a exploré ce phénomène en utilisant un modèle inspiré des supersolides élaborés à l'université d'Innsbruck (Autriche). Les chercheurs ont fait l'hypothèse qu'au sein de la croûte interne des étoiles à neutrons, des vortex quantiques sont piégés dans la structure cristalline et empêchent le fluide superfluide de ralentir avec le reste de l'étoile. Peu à peu, un déséquilibre s'accumule entre la vitesse de rotation du superfluide et celle de la croûte. Lorsqu'un seuil critique est atteint, plusieurs vortex se libèrent brutalement, permettant au superfluide de céder une partie de son énergie à la croûte. Celle-ci accélère alors brièvement, provoquant le _glitch_. Or, un lien entre le comportement des vortex et la dynamique du supersolide a bien été observé expérimentalement, rapporte l'étude… Ce qui ouvre la voie à une simulation en laboratoire de ces astres aussi étranges qu'inatteignables.

_Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir n°938, daté avril 2025._ C'est une _terra incognita_, une "terre inconnue", comme celles qui parsemaient encore les


cartes du 19e siècle pour désigner l'Arctique, l'Antarctique ou le cœur de l'Afrique. Mais ici, point de reliefs ni de climats hostiles. Cette contrée inexplorée appartient au


domaine de la physique quantique et porte le nom bien intrigant de "supersolide". Un état de la matière exotique, où les atomes se comportent à la fois comme un solide et un


liquide capable de s'écouler sans friction, un superfluide. Comme si un bloc de glace se laissait traverser par de l'eau liquide sans encombre. Et pour ajouter encore au mystère,


ce matériau inédit se présente… sous la forme d'un gaz à deux dimensions seulement ! Théorisé dès les années 1950, il a fallu attendre 2019 pour qu'une preuve expérimentale soit


apportée, tant cet état est délicat à obtenir et à caractériser. C'est donc grâce aux travaux de trois équipes indépendantes, celles de Francesca Ferlaino à l'université


d'Innsbruck (Autriche), de Giovanni Modugno à Pise (Italie) et de Tilman Pfau à Stuttgart (Allemagne), que le supersolide émerge. Et ce n'est qu'en décembre 2024 qu'une


publication dans _Nature_, signée par l'équipe d'Innsbruck, est venue donner une dernière confirmation de l'existence de cet état quantique aux confins du solide, du liquide


et du gaz. Une _terra incognita _désormais un peu moins mystérieuse, donc… UNE HISTOIRE MAL ENGAGÉE Tout avait bien mal commencé pour le supersolide… En 1956, les physiciens Oliver Penrose


et Lars Onsager évoquent l'idée d'un état de matière à la fois solide et superfluide, mais concluent qu'il est impossible. Dès l'année suivante, Eugene Gross les


contredit et propose un modèle suggérant qu'un tel état pourrait exister si les atomes interagissent à longue distance. Dans les années 1970, Anthony Leggett théorise la possibilité


d'un supersolide dans l'hélium, mais les premières expériences en 2004, bien que prometteuses, sont controversées. Il faudra donc attendre la fin des années 2010 pour voir émerger


le supersolide et caractériser ses propriétés étonnantes dans des gaz d'atomes ultrafroids. Pour comprendre vraiment le supersolide, il faut élargir sérieusement nos idées sur ce


qu'est un solide. Lauriane Chomaz est professeure à l'université de Heidelberg, en Allemagne. Elle dirige le groupe de recherche Quantum Fluids, qui explore les comportements


collectifs de la matière quantique. Mais cinq ans plus tôt, elle participait à la mise au point du supersolide dans l'équipe de Francesca Ferlaino. Alors, à quoi ressemble-t-il


concrètement ? _"Dans l'expérience de 2019, il se présente sous la forme d'un gaz d'atomes magnétiques _[de l'erbium ou du dysprosium] _organisé en une série de


gouttelettes quantiques _[des amas d'atomes] _régulièrement espacées. C'est ce qui permet de parler de solide. _" En effet, dans un cristal par exemple, la matière est


ordonnée, ce qui est l'une des caractéristiques du supersolide. Mais c'est bien la seule concession à l'état solide "classique" car, pour le reste, il s'en


affranchit largement, comme nous allons le voir… Condition indispensable pour élaborer ce supersolide : refroidir le gaz d'atomes aux environs de -273,15 °C, le "zéro absolu".


Il atteint alors un état où tous les atomes se comportent comme une seule entité - un condensat de Bose-Einstein. Ils ne bougent plus individuellement mais agissent ensemble. Grâce à cette


propriété, ils forment un superfluide, qui s'écoule sans aucune résistance. Normalement, un liquide frotte contre les parois d'un récipient ou contre un obstacle, ce qui dissipe de


l'énergie et finit par le ralentir. Dans un superfluide, si un seul atome devait être ralenti, cela briserait l'unicité de l'ensemble. Mais pas question "qu'une


tête dépasse" avec les lois de la physique quantique. Donc il glisse indéfiniment, tant qu'il reste sous une certaine vitesse critique… Lire aussiUne avancée vers les supersolides


CONFINER LES ATOMES DANS UN PIÈGE OPTIQUE Obtenir un condensat de Bose-Einstein est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour faire un supersolide. Il faut encore qu'il se


structure de manière régulière. L'astuce repose sur la nature même des atomes utilisés : l'erbium et le dysprosium, deux métaux appartenant à la catégorie des terres rares.


_"Ces éléments possèdent des moments magnétiques, ce qui signifie qu'ils se comportent comme de minuscules aimants _", détaille Lauriane Chomaz. En jouant sur ces interactions


magnétiques - attraction et répulsion -, les scientifiques vont réussir à forcer ces atomes à s'organiser en gouttelettes périodiques. C'est ce qu'ont réalisé Francesca


Ferlaino et son équipe à Innsbruck en 2019. Les atomes sont d'abord confinés à l'aide de lasers au sein d'un piège optique. _"Ce type de piège permet de confiner les


atomes sans recourir à des champs magnétiques, ce qui est crucial pour manipuler ces atomes magnétiques et contrôler précisément leurs interactions _", précise Lauriane Chomaz. Alors


que la température est abaissée progressivement, les atomes forment un condensat de Bose-Einstein. Mais leur moment magnétique va modifier la donne par rapport à un condensat réalisé avec


des atomes neutres, comme le raconte Francesca Ferlaino. _"Les atomes arrivant dans leur état fondamental décident de ne plus suivre l'organisation que le piège optique leur


imposait. Ils choisissent spontanément une organisation qui minimise leur énergie d'interaction d'origine magnétique. Une fois l'équilibre atteint, les atomes


s'organisent spontanément en une structure régulière, des gouttelettes de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers d'atomes chacune, ressemblant à un cristal. _"


Avec de l'erbium, cette organisation est maintenue durant 38 millisecondes. Avec le dysprosium, 152 millisecondes. Depuis, la durée a été portée à une seconde. C'est largement


suffisant pour considérer cet état comme stable. Il reste à démontrer qu'il se comporte aussi comme un superfluide. LE VORTEX, SIGNATURE INCONTESTÉE DE LA SUPERFLUIDITÉ En décembre


2024, l'équipe d'Innsbruck relève ce défi en mettant en évidence un phénomène clé : la formation de vortex quantiques. Comment ? En le faisant tourner rapidement sur lui-même, en


mode toupie. Créer un vortex pour prouver la superfluidité peut sembler paradoxal. Lorsque l'on fait tourner un seau d'eau sur lui-même, les couches de fluide en contact direct


avec la paroi sont mises en rotation par effet de frottement. Or, la superfluidité, c'est l'absence de forces de frottement. Alors pourquoi chercher à générer un vortex dans un


supersolide ? Andrea Litvinov, post-doctorant dans l'équipe de Francesca Ferlaino, détaille ce point délicat. "_Lorsque nous mettons en rotation le supersolide, nous lui


communiquons de l'énergie sous la forme d'un moment angulaire. Mais ce système n'a tout d'abord pas la capacité de l'absorber. Il faut atteindre une valeur bien


précise d'énergie, un quantum, pour que tout à coup, l'énergie passe dans le système qui devient alors excité. Or, on sait depuis les années 1950 qu'un superfluide excité par


une énergie de rotation génère spontanément des vortex. Leur apparition constitue ainsi une signature incontestable de la superfluidité._" Dans l'expérience d'Innsbruck, les


chercheurs ont appliqué un champ magnétique externe pour mettre en rotation le supersolide. Pendant les 300 premières millisecondes (ms), ils n'ont observé aucun changement notable.


Autour de 400 ms, des vortex ont commencé à émerger. Vers 800 ms, le système a atteint un équilibre dynamique stable, où des tourbillons bien établis coexistent avec la structure solide.


Pourquoi plusieurs tourbillons ? _"Contrairement à un liquide classique qui tourne en bloc, le supersolide résiste à une mise en rotation globale, _rappelle Francesca Ferlaino_. Pour


s'adapter, il se fragmente en multiples tourbillons locaux. C'est sa façon de refuser une rotation imposée. _" Lire aussiUn étrange fluide quantique qui se solidifie quand on


le chauffe PROCHAINE ÉTAPE : EXPLORER SES PROPRIÉTÉS Maintenant que la physique a planté son drapeau sur cette _terra incognita_, quelle est la prochaine étape ? _"L'explorer !,


_s'enthousiasme Andrea Litvinov_. Quelles sont ses propriétés ? Réagit-il de la même manière à plus grande échelle_ [dans l'expérience d'Innsbruck, la taille du supersolide


est de l'ordre de quelques micromètres] _? Comment le manipuler ? Nous avons encore tout à découvrir. _" Lauriane Chomaz, elle, y voit une occasion unique d'étudier les


comportements collectifs de la matière. _"Le supersolide existe grâce aux corrélations quantiques des atomes. Cela soulève des questions fascinantes : comment ce comportement


émerge-t-il ? Comment apparaissent les propriétés quantiques à partir de l'état classique ? _" Francesca Ferlaino, enfin, pose une question vertigineuse : et si le supersolide


existait ailleurs que dans les laboratoires ? _"Pour l'instant, nous ne l'avons obtenu que dans des conditions extrêmement contrôlées, mais il pourrait exister naturellement


dans l'Univers _", avance-t-elle. Le plus extraordinaire, c'est que ce n'est pas exclu ! Certains astres exotiques, comme les étoiles à neutrons, pourraient bien receler


de telles structures. D'autres _terrae incognitae _à explorer… DES SUPERSOLIDES DANS LA STRUCTURE INTERNE DES ÉTOILES À NEUTRONS ? Les étoiles à neutrons figurent parmi les objets les


plus extrêmes de l'Univers : l'équivalent d'un Soleil compacté dans une sphère de seulement 12 km de rayon. Sous leur croûte solide, on soupçonne l'existence d'un


bain de neutrons superfluides s'écoulant sans friction, formant un état de la matière qui combine structure cristalline et superfluidité. Un parallèle frappant avec les supersolides


étudiés en laboratoire. Mais comment le démontrer ?  Grâce à un comportement particulier de ces astres en rotation rapide sur eux-mêmes. Ils voient leur vitesse ralentir au fil du temps


mais, parfois, leur fréquence de rotation connaît de brusques sursauts, appelés _glitches_, avant un retour à la normale. La cause de ces anomalies est mystérieuse. Une étude de 2024, menée


par Francesca Ferlaino et Massimo Mannarelli (Laboratoire de Gran Sasso, en Italie), a exploré ce phénomène en utilisant un modèle inspiré des supersolides élaborés à l'université


d'Innsbruck (Autriche). Les chercheurs ont fait l'hypothèse qu'au sein de la croûte interne des étoiles à neutrons, des vortex quantiques sont piégés dans la structure


cristalline et empêchent le fluide superfluide de ralentir avec le reste de l'étoile. Peu à peu, un déséquilibre s'accumule entre la vitesse de rotation du superfluide et celle de


la croûte. Lorsqu'un seuil critique est atteint, plusieurs vortex se libèrent brutalement, permettant au superfluide de céder une partie de son énergie à la croûte. Celle-ci accélère


alors brièvement, provoquant le _glitch_. Or, un lien entre le comportement des vortex et la dynamique du supersolide a bien été observé expérimentalement, rapporte l'étude… Ce qui


ouvre la voie à une simulation en laboratoire de ces astres aussi étranges qu'inatteignables.