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Quand la campagne présidentielle s'émancipe du respect des droits de propriété intellectuelle - Actu-Juridique PARTAGER CET ARTICLE Publié le 25/01/2022 à 17h35 Professeur émérite de
l’université Paris 2 (Panthéon-Assas) Auteur de Droit des médias – 9e édition – LGDJ 2023 EN CE DÉBUT DE CAMPAGNE ÉLECTORALE, DIFFÉRENTS REPROCHES ONT ÉTÉ FORMULÉS, À L’ENCONTRE DE CERTAINS
DES CANDIDATS OU DE LEURS SOUTIENS, POUR NON-RESPECT DES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE EN RAISON DE LEURS DÉCLARATIONS OU DE L’UTILISATION DE DIVERS MOYENS OU ARGUMENTS DE PROPAGANDE.
L’ÉCLAIRAGE D’EMMANUEL DERIEUX, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS (PARIS 2) ET AUTEUR DE DROIT DES MÉDIAS. DROIT FRANÇAIS, EUROPÉEN ET INTERNATIONAL. La diffusion des moyens et
supports de propagande électorale, par les candidats et leurs militants et soutiens, doit évidemment, et entre autres exigences (« Pluralisme politique dans les médias audiovisuels : une
nouvelle recommandation du CSA », _Actu-Juridique.fr_, 28 octobre 2021 ; « Sondages d’opinion : entre abus et bon usage », _Actu-Juridique.fr_, 10 novembre 2021), être pleinement
respectueuse des droits de propriété intellectuelle et de ceux qui peuvent y être rattachés. Comme cela fut précédemment le cas, diverses questions et contestations ont été soulevées, à cet
égard, en ce début de campagne pour l’élection présidentielle du printemps prochain. Elles concernent notamment les droits de propriété littéraire et artistique, le droit des marques et le
droit à l’image des personnes et des biens. DROITS DE PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE Les auteurs d’œuvres de l’esprit (écrits, illustrations graphiques et photographiques, expressions
audiovisuelles et cinématographiques, compositions musicales…) et/ou les cessionnaires de droits sur ces créations de forme originale, ainsi que les artistes-interprètes et les autres
titulaires de droits voisins du droit d’auteur, tels que les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, jouissent d’un droit de propriété littéraire et artistique. Celui-ci comporte des
attributs d’ordre moral et patrimonial. Sauf quelques exceptions portant sur ce dernier aspect, ils peuvent ainsi s’opposer à leur utilisation par des tiers, et notamment par des candidats
à une élection, dès lors qu’ils n’y ont pas préalablement consenti. Si nul ne peut s’approprier une idée ou un élément de programme politique et prétendre, à cet égard, à une quelconque
exclusivité, les termes et les modalités de leur expression ou présentation, dès lors qu’elle est originale, sont susceptibles d’une protection par le droit d’auteur. Il n’est pas permis à
un candidat ou à l’un de ses soutiens de reprendre, dans les mêmes termes, un texte ou un argumentaire précédemment utilisé par un autre, sauf pour procéder à son analyse, le critiquer et y
manifester son opposition. Sans doute tant du point de vue du droit moral que du droit patrimonial d’auteur, et pour la cohérence et la clarté du débat politique, il ne devrait pas être
possible à un conseiller, rédacteur de projet ou de discours, ou à un porte-parole d’un candidat de réutiliser, au moins dans la même forme, des textes et éléments de programmation dont,
dans une précédente campagne, il a fait l’apport à un autre candidat ou parti auquel il accordait alors son soutien. Les « petites phrases » ou « formules chocs » et autres slogans utilisés
comme arguments de campagne électorale, qu’ils émanent d’un candidat ou de l’un de ses conseils en communication qui, sauf en avoir cédé les droits à celui auprès duquel il intervient,
pourrait en revendiquer la paternité et la jouissance, ne peuvent pas être utilisés, à son profit, par un de ses concurrents. Ce dernier peut cependant les évoquer pour les critiquer ou les
contester. Puisque tels sont leur vocation et l’effet recherché, ces éléments peuvent évidemment être repris, par les journalistes, dans les médias. Admises en qualité d’exception au droit
patrimonial d’auteur, les citations qu’un candidat peut faire d’une œuvre préexistante doivent, au nom du respect droit moral de l’auteur de l’œuvre citée, être exactes et conformes au sens
que le rédacteur initial a donné à son texte. Au nom du respect du droit moral de l’auteur, elles ne doivent être l’objet d’aucune forme de récupération. Elles ne peuvent pas servir à
soutenir un point de vue contraire à celui qui avait alors été ainsi exprimé et défendu, ou à la pensée générale de l’auteur d’origine. Un tel usage a été reproché à Eric Zemmour, de la part
des ayants droit d’un auteur. Les auteurs et les titulaires de droits voisins sur les œuvres et les compositions musicales et audiovisuelles sont en droit de s’opposer à l’utilisation de
leurs créations et de leurs prestations dans des supports de campagnes ou pour animer et sonoriser des réunions électorales. Tel est le reproche encore fait à Eric Zemmour, en raison de sa
vidéo de déclaration de candidature dans laquelle avaient été intégrés, sans pouvoir se prévaloir d’une quelconque autorisation ni de l’exception de courte citation, des photographies et des
extraits d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. DROIT DES MARQUES Le nom d’un parti politique et le graphisme retenu pour celui-ci doivent, au-delà de leur protection par le droit
d’auteur, et même s’il ne s’agit pas d’en faire un usage commercial, pouvoir être considérés comme constituant une marque servant à le distinguer des autres. Dès lors que les formalités
d’enregistrement d’une telle marque ont été accomplies ou que celle-ci est notoirement connue, nul ne doit pouvoir en reprendre ou en imiter les éléments dans des conditions qui sont
susceptibles de créer la confusion dans l’esprit du public et notamment des électeurs. De telles pratiques doivent pouvoir être considérées et sanctionnées comme contrefaisantes.
Revendiquant un droit de propriété sur la marque figurative « RÉSISTONS ! », Jean Lassalle conteste à Eric Zemmour l’utilisation et le dessin de la dénomination « RECONQUÊTE ! », considérée
comme trop semblable dans sa forme et ses couleurs. Le même point d’exclamation, que nul ne peut cependant s’approprier, a précédemment été utilisé par le mouvement d’Emmanuel Macron
intitulé « EN MARCHE ! ». Au nom du respect de sa notoriété et de son image, une société titulaire d’une marque doit pouvoir s’opposer à l’utilisation de la dénomination de celle-ci pour
formuler, en dehors même de la vie des affaires, une argumentation politique et chercher à marquer ainsi les esprits. Les détenteurs de la marque Kärcher contestent l’utilisation qui, après
Nicolas Sarkozy, en a été faite par Valérie Pécresse. A ces éléments, peut être rattaché le fait que l’article R. 27 DU CODE ÉLECTORAL dispose que « sont interdites, sur les affiches et
circulaires ayant un but ou un caractère électoral, l’utilisation de l’emblème national ainsi que la juxtaposition des trois couleurs : bleu, blanc et rouge dès lors qu’elle est de nature à
entretenir la confusion avec l’emblème national, à l’exception de la reproduction de l’emblème d’un parti ou groupement politique ». DROIT À L’IMAGE A ces éléments de réglementation
relevant des droits de propriété intellectuelle, peuvent être ajoutés ceux qui sont relatifs au droit à l’image, tant des personnes que des biens. Au nom du respect de sa personnalité, un
individu peut s’opposer à l’utilisation de son nom et de son image à des fins de promotion politique ou partisane, comme s’agissant de tout autre usage en dehors des nécessités de
l’information. Il en est ainsi à l’égard de l’inscription, sans leur accord, de certains candidats à la dite « primaire citoyenne ». Une œuvre graphique, sculpturale ou architecturale
bénéficie, au profit de son auteur ou de celui auquel il a cédé ses droits patrimoniaux, de la protection du droit d’auteur. A des biens de ce type peut se rajouter, au profit des personnes
privées, la protection du droit de propriété, dès lors que, du fait de l’exploitation de leur image, il en est subi un dommage. S’agissant de personnes publiques, s’ajoute la protection
accordée aux éléments du patrimoine public. L’ARTICLE L. 621-42 DU CODE DU PATRIMOINE soumet à « l’autorisation préalable du gestionnaire » l’utilisation « à des fins commerciales de l’image
des immeubles qui constituent les domaines nationaux ». L’ARTICLE L. 2122-1 DU CODE DU PATRIMOINE pose que « nul ne peut, sans disposer de titre l’y habilitant, occuper une dépendance du
domaine public d’une personne publique […] ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous ». Sur cette base, a été validé le refus d’accorder, à un
photographe professionnel, l’autorisation de réaliser et de commercialiser des photographies d’œuvres détenues dans un musée. Reproche a été fait à Marine Le Pen d’illustrer un support
audiovisuel de sa campagne par des images du bâtiment du musée du Louvre. A la libre expression des candidats à l’élection présidentielle et de leurs soutiens, sont nécessairement apportées,
parmi d’autres éléments, des restrictions relatives aux exigences de respect des droits de propriété intellectuelle dans leurs différentes nature et composantes. Il est justifié d’attendre
de ceux qui aspirent à la magistrature suprême qu’ils soient pleinement respectueux du droit, aussi incertaines et discutées qu’en soient parfois la formulation et l’application. Référence :
AJU269915 Copier dans le presse-papier