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LA PIRATERIE, souvent associée à des hommes au visage buriné et au regard acéré, cache en réalité des FIGURES FÉMININES tout aussi impétueuses. Si les hommes ont dominé les mers à travers
les âges, certaines femmes ont réussi à faire leur place dans ce monde impitoyable. À contre-courant des stéréotypes, elles ont pris la barre, commandé des équipages et semé la terreur dans
les cœurs des marins et des marchands. LE COURAGE ET LA DÉTERMINATION DE CES FEMMES PIRATES les ont placées à l'égal, voire au-dessus, de leurs homologues masculins. VERS 1300 - VERS
1359 : JEANNE DE BELLEVILLE, LA TIGRESSE BRETONNE On le sait, il faut toujours se méfier de l’eau qui dort. En faisant exécuter Olivier de Clisson, un noble breton accusé d’être allié aux
Anglais, les Valois n’imaginaient pas la tornade qui allait s’abattre sur eux. Son épouse, JEANNE DE BELLEVILLE, voit rouge. Adieu la paisible vie de château et l’éducation des enfants, la
colombe devient lionne. Elle soulève une armée, pille les châteaux des environs et massacre les alliés du roi de France. Elle prend ensuite la mer où, pendant un an, elle va passer au fil de
son épée tout ce qui ressemble de près ou de loin à un marchand français, dévastant au passage les côtes normandes. 1485 - VERS 1561 : SAYYIDA AL-HURRA, LA PRINCESSE MUSULMANE Chassée de
son palais andalou en 1492, lors de la RECONQUISTA, cette noble musulmane, alors âgée de sept ans, se réfugie avec sa famille à Chefchaouen, au Maroc. Plus tard, en 1515, elle succède à son
époux au poste de gouverneur de la ville de Tétouan. Peu lui importe ce titre, elle veut sa revanche. Sous le nom de al-Hurra, "la libre", elle s’allie au corsaire turc BARBEROUSSE
et mène des actions punitives contre les navires espagnols et portugais. Il contrôle l’est de la Méditerranée ; elle, l’ouest. Son arme : les OTAGES, dont elle négocie âprement la
libération. En 1541, elle épouse le roi du Maroc, Ahmed al-Wattassi. Sayyida al-Hurra. _© Oxygene Tetouan/Wikimedia Commons_ 1775 - 1844 : CHING SHIH, LA PIRATE DES MERS DE CHINE "Quand
Mme Ching a choisi sa proie, elle ne desserre plus les crocs jusqu’à la victoire, jusqu’à la mort de son adversaire !", disait d’elle le marin anglais Richard Glasspoole. Il
connaissait son sujet : en 1809, il est resté prisonnier de la PIRATE pendant quatre mois. Le destin de cette PROSTITUÉE DE CANTON a en effet basculé quelques années plus tôt, après sa
rencontre avec le pirate CHING YIH. Elle accepte d’épouser ce dernier à condition d’obtenir le commandement de l’une de ses escadres. Devenue veuve en 1807, elle hérite de l’ensemble de la
flotte sans encourir la moindre opposition. Mme Ching se distingue par sa qualité de gestionnaire, administrant le PARTAGE DES BUTINS avec une grande rigueur. La flotte qui est sous son
commandement atteindra une importance considérable : 1 800 bateaux et 70 000 hommes. Les règles y sont strictes : interdiction de s’approprier le butin avant le partage, de se rendre seul à
terre ou d’abuser des femmes à bord – sauf autorisation de l’intendant… En cas d’écart, c’est la mort. De Shanghai au Viêtnam, aucun navire marchand – qu’il soit chinois ou européen – n’est
en sécurité. Un sabre dans chaque main, à la tête de ses troupes, elle ne fait pas de quartier. Les flottes de guerre n’y peuvent rien ; leurs navires sont anéantis et l’EMPIRE CHINOIS perd
ses plus grands amiraux dans la bataille. Après trois ans de terreur, elle tire sa révérence en 1810 et obtient le pardon des autorités. Elle a inspiré le personnage de Dame Ching dans le
film _Pirates des Caraïbes_ (sorti en 2007). 3 QUESTIONS À MARIE-ÈVE STÉNUIT, ARCHÉOLOGUE SOUS-MARINE ÇA M'INTÉRESSE HISTOIRE : QUEL ÉTAIT LE PROFIL DES FEMMES PIRATES ? Certaines,
comme JEANNE DE BELLEVILLE, étaient des femmes de haute extraction. D’autres, comme l’Anglaise MARY READ, cherchaient au contraire à fuir la misère. Leur point commun est d’avoir voulu
échapper au rôle que leur attribuait la société, quitte à se travestir. Certaines ont cherché cette liberté en s’engageant dans la marine marchande ou royale, mais, aussitôt démasquées,
elles étaient renvoyées. Pour durer, la PIRATERIE était plus sûre. Y ÉTAIENT-ELLES BIEN ACCUEILLIES ? Chez les Vikings ou en Chine, elles étaient associées aux métiers de la mer dès
l’enfance. Cela ne posait pas le moindre problème. C’est surtout en Occident que l’on trouve cet antagonisme femme/bateau : une femme à bord porte malheur. Les pirates n’étaient pas plus
éclairés que les autres sur ce point. Quelques-uns des CODES conservés précisent que, même déguisées, elles n’étaient pas les bienvenues. En réalité, elles pouvaient réussir à s’imposer. Une
fois qu’elles avaient fait leurs preuves, la société pirate était certainement plus tolérante. ÉTAIENT-ELLES NOMBREUSES ? Les sources ne citent que celles qui ont été débarquées par la
marine officielle ou condamnées pour piraterie. Quoi qu’il en soit, il fallait un caractère bien trempé et une excellente constitution physique pour donner le change, sans compter les
problèmes posés par la promiscuité. Le phénomène devait être marginal, mais peut-être pas autant qu’on ne le pense. _Marie-Ève Sténuit est archéologue sous-marine et romancière. Elle a
notamment écrit Femmes pirates, les écumeuses des mers (éd. du Trésor)._ POUR ALLER PLUS LOIN LIVRES > _Une histoire des pirates, des mers du sud à Hollywood_ de Jean-Pierre Moreau (éd.
Tallandier). Grâce à des documents inédits, l’auteur retrace la véritable histoire des pirates. > _Archéologie de la piraterie des XVIIe et XVIIIe siècles : étude de la vie quotidienne
des flibustiers de la mer des Caraïbes à l’océan Indien_ sous la direction de Jean Soulat. Rassemblant 24 contributions internationales, cet ouvrage présente les principaux sites
archéologiques liés à l’âge d’or de la piraterie. > _Pirates, corsaires et flibustiers_ d’Alain Blondy (éd. Perrin). Dans cette étude très fouillée, l’universitaire, connu pour être l’un
des meilleurs spécialistes du monde méditerranéen, retrace l’histoire de ces écumeurs des mers. > _Dictionnaire des corsaires et des pirates_ sous la direction de Gilbert Buti et Philippe
Hrodej (éd. CNRS). En 600 entrées, ce livre fait revivre des personnages hauts en couleur, des plus emblématiques, comme Drake, Jean Bart, Surcouf, Duguay-Trouin, Barberousse, aux oubliés
de l’histoire. PODCAST > _La reine des pirates_ de Claire Richard (Arte radio). Ce podcast, destiné aux enfants, retrace le destin d’Anne Bonny (née Anne Cormac), pirate irlandaise du
XVIIIe siècle. Preuve que la flibuste comptait aussi des femmes ! ÇA PEUT AUSSI VOUS INTÉRESSER : ⋙ Les pirates aiment-ils les romans d'aventure ? ⋙ XVIIe-XVIIIe : l’âge d’or de la
piraterie dans les Caraïbes ⋙ Pourquoi la figure de proue était-elle la seule femme à bord des navires ?