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_LE BUVEUR DE BRUME_, DE GUILLAUME GALLIENNE : AUTOPORTRAIT AVEC ARRIÈRE-GRAND-MÈRE CRITIQUE - Le comédien a passé une nuit au musée, à Tbilissi, avec le portrait de son aïeule. Un beau
voyage initiatique. Publicité Ça a débuté par deux malentendus. Le premier est plutôt savoureux : _« Je suis venu en Géorgien et ils m’ont traité en touriste. »_ Pas grave, cela n’a fait de
mal qu’à son orgueil. Le second est le fruit d’un coup tordu. Guillaume Gallienne devait passer une nuit au Musée national de Tbilissi, devant le portrait de son arrière-grand-mère, la
princesse Mélita Cholokachvili, dite Babou. Le tableau est signé du peintre Savely Sorine. Gallienne aurait écrit alors ce que toutes ces heures, enfermé en la compagnie de son aïeule, lui
auraient inspiré. Pour passer cette nuit au Musée national, il avait l’accord de la présidente de la Géorgie, Salomé Zourabichvili. Mais la ministre de la Culture, qui appartient au parti
d’extrême droite Rêve géorgien, pro-Poutine, opposante à Zourabichvili, joue un sale coup au sociétaire de la Comédie-Française ; elle prétexte un _« malentendu »_ : on aurait confondu Musée
national avec Galerie nationale… Contraint et contrarié, en colère, Gallienne doit se rendre dans ce lieu qui ressemble davantage à une galerie d’art moderne, et où l’on a déplacé le
portrait de son arrière-grand-mère, _« posé là comme une potiche »_, un non-sens, comme si le tableau avait été arraché de son contexte. _« J’ai envie de crier »_, dit-il. Au fond, ces
malentendus s’avèrent heureux. Ils ont permis à Gallienne de se livrer totalement et de faire naître un texte fascinant, qui tire sa force aussi bien de son caractère intime que du partage
de sa passion pour les peintres ambulants et les grands auteurs : romanciers ou dramaturges, l’acteur parle les deux langues avec un égal bonheur. L’homme ne se ménage pas dans ces
confessions – notamment les premières pages sur sa colère. UN RÉCIT FORT SUR LES FANTÔMES Ce faisant, il raconte l’histoire de cette Géorgie, _« tiraillée entre l’Occident et la Russie »_.
Il s’engage aussi, en louant le courage de sa présidente, Salomé Zourabichvili, qui se bat pour la démocratie et contre l’impérialisme russe. Il n’hésite pas à dire que la terre de ses
ancêtres est un très beau pays, aujourd’hui aux mains d’un parti nationaliste corrompu par un milliardaire pro-Poutine. Il ne faut pas forcément quelque chose d’inouï pour se sentir vivre et
pour créer Dans cette Galerie nationale improvisée, il devient le guide qui aurait presque oublié son trac et ses doutes. Il aura réussi à ouvrir tous ses sens, tout son être, pour recevoir
ce que la nuit avait à lui chuchoter. _Le Buveur de brume _est un récit fort, émouvant, sur les ombres, les fantômes, les légendes. Et une réflexion captivante sur ce dont on hérite et
comment on s’en déleste. À sa manière, l’auteur offre une galerie de portraits par petites touches (sa mère, sa femme, son fils à qui il a dédié le livre, sa cousine Alicia, les trois
gardiens au même prénom…). Au bout du compte, il en aura tiré _« la vraie leçon »_ : _« Il ne faut pas forcément quelque chose d’inouï pour se sentir vivre et pour créer. »_ Il souligne que
Proust et Tchekhov sont les maîtres de cet art, parce qu’_« ils vont chercher dans leur quotidien ce qu’il y a de plus humain, ce que chacun montre ou veut cacher, le minable et le beau, et
ils en tissent une œuvre qui reprend comme une ronde toutes les couleurs de la vie »._ Peut-être est-ce ici, lors de cette nuit à Tbilissi, que Gallienne a été géorgien et non un touriste ou
un héritier parce qu’il a pris à bras-le-cœur toute l’âme de ses ancêtres. Il dit : _« Dans ce sang, il y a de la culture, de la curiosité, de la tenue et de la tendresse. Il y a du
métissage, venu de contrées et de langues lointaines, il y a de l’exil, du courage, de la force. » _Les plus beaux voyages sont inattendus, ils ne mènent pas là où l’on a prévu. En allant à
la rencontre de son arrière-grand-mère, c’est lui-même que Gallienne découvre et dévoile.