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_VA ET VIENS_, DE LEAH HAGER COHEN : DES DEUX CÔTÉS DU MIROIR CRITIQUE - Dans cet étrange roman à double entrée, deux fillettes cherchent des réponses à leurs questions sur la vie. Publicité
Le nouveau roman de Leah Hager Cohen, dont on avait aimé le précédent, _Des gens comme nous, _en 2020, se présente de façon étrange : il porte deux titres, _Va_ et _Viens_, a deux
couvertures distinctes, peut se commencer par _Va_, ou par _Viens_, au choix, et les deux textes sont imprimés tête-bêche : après avoir lu l’un des deux, il faut retourner le livre, et
prendre le deuxième texte, alors que le premier apparaît alors à l’envers, la tête en bas, littéralement. Cette disposition étonnante n’est pourtant pas nouvelle, et on se souvient que
Michel Butor l’avait déjà mise en pratique dans_ Transit A/Transit B_ et dans _Gyroscope_. Mais Butor, à l’époque, avait cessé d’écrire des romans, et ses recherches portaient sur la
polyphonie exprimée à travers la mise en page. Leah Hager Cohen, elle, reste romancière et on peut se demander si la « forme » apparente de son (ses) nouveau(x) roman(s) apporte quelque
chose au(x) texte(s). Disons qu’on reste sceptique à la lecture de _Va_, qu’on ne comprend pas grand-chose à sa conclusion ni à l’introduction de _Viens_ (imprimées chacune sur une
demi-colonne, tête-bêche - c’est à ce moment-là qu’on retourne le livre) et qu’on ne comprend le sens de l’ensemble qu’une fois _Viens_ terminé. Car_ Va et Viens_, tel l’anneau de Moebius, a
pour vocation de se prêter à une lecture sans fin, toujours recommencée. Pour peu qu’on en ait envie. Ce dont on peut douter, quoique les deux « histoires » s’enrichissent mutuellement,
dans leur symétrie inversée, comme si l’une était le miroir de l’autre. PLUSIEURS LECTURES Du côté _Va_, il s’agit d’une fillette, Ani, qui, en la seule compagnie d’un chaton qu’elle a volé
à sa mère chatte, part à la recherche du mystérieux Capitaine, qui l’a recueillie à la mort de sa mère à elle. Elle fait sur son chemin d’étranges rencontres. On glisse progressivement, dans
un univers à la Lewis Carroll, façon _De l’autre côté du miroir_. À la fin, Ani a affaire à un Ferry Man, un passeur, qui les fait _« passer »_, son chaton qu’elle a baptisé Compagnie et
elle, de l’autre côté d’un fleuve. _Va et Viens _est d’apparence plus complexe que _Point d’autre livre que le monde_, mais il n’a pas sa densité Commence alors _Viens_, où une petite fille
du même âge qu’Ani, Annamae, vit à New York en compagnie de sa mère linguiste, de son frère, Danny, et de sa grand-mère, Nana. Ils sont juifs, et la quête de sens, qui occupe une grande
partie de la vie d’Annamae, tient beaucoup à la religion, au _« qu’est-ce qu’être juif ? »._ Annamae possède un carnet, qu’elle baptise Coco (diminutif de Compagnie), qui est son objet
fétiche, et qui contient tous ses secrets, toutes ses questions. Elle est en quête d’elle-même, de sa judéité. Au fil de la lecture, on s’aperçoit que les signes sont multiples des rapports
entre les deux récits. Mais on continue à se demander à quoi tout ça peut bien mener. Reste (_Viens_) le portrait d’une adolescente qui se pose beaucoup de questions et qui n’en reste pas
moins un peu schématique. _Va et Viens _est d’apparence plus complexe que _Point d’autre livre que le monde_, le premier roman traduit de Leah Hager Cohen, mais il n’a pas sa densité. Sans
doute mérite-t-il plusieurs lectures pour révéler ses richesses, dont on ne doute pas, car elle fait partie, elle l’a prouvé, des romancières douées d’aujourd’hui.