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Le soleil cogne sur l'université Amadou Mahtar Mbow. Rendez-vous dans des locaux flambant neufs, situés à deux pas du nouveau stade Abdoulaye-Wade. À la tombée de la nuit, ce dernier
illumine de couleurs arc-en-ciel les visiteurs de Diamniadio, une petite ville de la banlieue de Dakar qui s'apprête à accueillir les Jeux olympiques de la jeunesse en 2026.
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En bas de la vaste fresque murale, réalisée par l'artiste Akonga et qui rend hommage à Amadou Mahtar Mbow, ce grand homme d'État au CV impressionnant – et le seul Africain à avoir
dirigé l'Unesco, de 1974 à 1987 –, on peut lire : « L'avenir se construit par la volonté, le travail et la détermination. Ne jamais baisser les bras, dire toujours que tout est
possible. »
Du 1er au 7 septembre 2024, plus de 700 passionnés d'apprentissage profond se sont réunis à l'occasion du Deep Learning Indaba, indaba signifiant « rassemblement » en zoulou.
C'était la 7e édition de ce rendez-vous annuel, qui s'est auparavant tenu à Tunis, au Cap ou encore à Accra et devrait prochainement se dérouler à Kigali.
La dernière édition, à Dakar donc, a eu pour thème « Xam Xamlé », qui signifie en wolof « acquérir des connaissances et les partager », en hommage à la vie et à l'œuvre de la célèbre
romancière et historienne sénégalaise Mariama Bâ. L'objectif est de concevoir une intelligence artificielle made in Africa capable de relever des défis agricoles, éducatifs ou encore
médicaux.
Deep Learning Indaba est né du constat d'un manque. « Je me souviens d'une conférence NeurIPS, le Salon incontournable du machine learning [l'apprentissage automatique, NDLR]
qui rassemble, chaque année depuis 1987 [la première édition a eu lieu à Denver], le gratin de l'intelligence artificielle. Je me demandais : où sont les chercheurs originaires du
Zimbabwe, d'Afrique du Sud ou encore du Maroc ? Il n'y en avait aucun », se souvient Shakir Mohamed, directeur de la recherche chez Google DeepMind à Londres, et qui, pour pallier
cette absence, a participé à la création des conférences Indaba.
Quel retournement de situation ! Aujourd'hui, l'intelligence artificielle made in Africa occupe de nombreux chercheurs du continent, comme la communauté GalsenAI au Sénégal,
Data354 en Côte d'Ivoire ou encore Pamoja, qui, en République démocratique du Congo, promeut l'enseignement du machine learning en ligne. L'événement mobilise aussi bien des
centres de recherche comme l'institut Mila, au Québec, que de grandes entreprises comme Nvidia, Meta, Microsoft, et OpenAI, qui sponsorisent l'événement.
À LIRE AUSSI SOUVERAINETÉ, ÉNERGIE, DÉFENSE… LES GUERRES DE L'IA SONT DÉCLARÉESAu détour des couloirs de l'université sénégalaise, on rencontre la chercheuse Foutse Yuehgoh,
titulaire d'une licence de mathématiques – avec une mineure d'informatique – de l'université de Buea, au Cameroun, ainsi que de deux masters : l'un de big data et
sécurité informatique de l'African Institute for Mathematical Sciences au Sénégal, et l'autre en traitement de l'information et des données de Paris-Saclay.
Après un doctorat en informatique obtenu au Cnam, elle s’est spécialisée dans l’étude des algorithmes de recommandation. Co-conceptrice du chapitre consacré à Yaoundé sur le site Women in
Machine Learning & Data Sciences (WiMLDS), elle affectionne beaucoup les conférences Indaba, « car les gens s’y entraident ».
Plus loin, au centre d'un stand imposant, trône la maquette d'AfriNet, le projet phare d'AfriClimate AI. « Notre objectif est de combler le fossé des données climatiques en
Afrique », précise, les yeux brillants d'excitation, la chercheuse algérienne Sabrina Amrouche, cofondatrice du projet.
Son enthousiasme est palpable lorsqu'elle évoque le développement de modèles de prédiction climatique qui, s'appuyant sur des données du continent, doivent permettre
d'anticiper les catastrophes naturelles, comme les ouragans et les inondations, sur le continent : « Si on arrive à améliorer un peu les modèles du Kenya et du Ghana, on devrait pouvoir
les réutiliser en Asie du Sud-Est. »
Amal Rannen-Triki vient à notre rencontre. « Ce qui me passionne le plus en ce moment, c'est de rendre nos modèles plus efficaces », explique la scientifique, née en Tunisie, formée à
CentraleSupélec, à Paris, et à la KU Leuven, à Louvain, et l'université Yonsei, à Séoul. Son domaine de prédilection ? L'apprentissage continu. Elle détaille : «
L'apprentissage continu étudie comment les modèles informatiques se mettent à jour à partir de sources de données actualisées régulièrement. »
Celle qui s'est beaucoup investie dans la compréhension de la dynamique d'apprentissage des réseaux neuronaux profonds est passionnée par le concept de l'idéation, ces séances
de brainstorming qui essaiment sur le continent.
« C'est une compétition qu'on a lancée en 2022 avec l'idée de créer une plateforme qui permette aux chercheurs de se mobiliser autour de la gestion de projets »,
précise-t-elle, citant « un modèle plutôt complet autour de la détection et de la surveillance du paludisme » ou encore cet autre exemple dans le secteur de l'aquaculture : « On utilise
la vision par ordinateur pour estimer le poids des poissons dans l'eau, aidant ainsi les éleveurs à savoir quel est le niveau de leur ressource. »
Ce mouvement prend de l'ampleur avec les années. « L'Afrique compte des talents capables de faire des choses extraordinaires », estime Karim Beguir. Ce polytechnicien
franco-tunisien diplômé de l'université de New York est membre de Deep Learning Indaba et cofondateur de la start-up InstaDeep, une biotech revendue pour 680 millions de dollars à
l'entreprise allemande BioNTech.
L'entrepreneur a de grandes ambitions pour l'Afrique : dans un texte écrit à la fin de l'année dernière et dont nous publions un extrait en avant-première, il explique vouloir
conjuguer trois grandes tendances. Les énergies renouvelables – l'Afrique étant le plus grand continent en termes d'énergie solaire – alimentent le minage de bitcoins, qui, à son
tour, permettra le financement des infrastructures nécessaires à l'essor de l'IA africaine.
Présent à Dakar, Karim Beguir avait déjà participé à un rassemblement du même genre le 3 septembre 2023 à l'université du Ghana, à Accra. Le gratin de la recherche africaine en
intelligence artificielle s'était réuni autour d'un leitmotiv : « Yɛbɛtumi », « nous pouvons » en akan, une langue parlée par plus de 8 millions de personnes au Ghana et en Côte
d'Ivoire.
À l'époque, ils étaient 400 chercheurs à plancher sur le projet Masakhane (« nous construisons ensemble » en zoulou), dont le but était de créer un modèle de langue comparable à celui
qui permet le fonctionnement de ChatGPT. Masakhane aspire à traduire plus de 2 000 langues africaines, dont certaines sont très peu parlées, comme le pidgin nigérian, le logba au Togo ou
encore le poko au Cameroun.
C'est justement l'un des combats de Lelapa AI, une initiative sud-africaine portée par Pelonomi Moiloa, une quadragénaire qui, pour l'occasion, s'est alliée à Jade
Abbott, chercheuse à l'université de Pretoria. « L'expérience africaine peut inspirer le reste du monde », veut croire l'entrepreneuse.
À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre Elle aussi a fait le déplacement à Dakar, où elle nous détaille son parcours impressionnant. Ingénieure biomédicale et électrique de formation,
diplômée de l'université du Witwatersrand, elle a poursuivi ses recherches sur une application d'apprentissage profond pour la neurophysiologie à l'université du Tohoku, à
Sendai, au Japon.
Elle est également codirectrice de The Ungovernable NPC, une initiative à l'origine du projet Code Kamoso, une formation de codage destinée aux adolescentes. « Nous avons réalisé que
l'Afrique souffre d'un énorme exode de talents. Il est temps d'inverser la tendance », assure Pelonomi Moiloa. Le moins que l'on puisse dire est que l'enthousiasme
qu'elle observe tout autour d'elle semble lui donner raison.
« Nous ne vivons pas une époque normale. En 2025, nous passerons de systèmes de questions-réponses relativement simples à des agents d'intelligence artificielle bien plus puissants,
capables d'interagir et d'agir dans le monde réel avec un QI supérieur à 150 et beaucoup plus de connaissances que nous. Pour les pays qui maîtriseront cette technologie, cela
reviendra à disposer de centaines de millions de travailleurs d'élite grandement motivés et hautement qualifiés. Aux États-Unis et en Chine, la course est lancée.
Les entreprises se bousculent pour obtenir des données, des clusters de GPU à plusieurs milliards de dollars, et maintenant même des centrales nucléaires. Qu'est-ce qui les motive ? Le
contrôle de l'IA, la plus grande force de l'histoire, qui ouvrira une ère d'abondance sans précédent. Comme si cela ne suffisait pas, nous assistons également à deux
transitions historiques dans les domaines de l'énergie et de la finance. L'énergie solaire et renouvelable est désormais économiquement plus compétitive que le pétrole et le gaz
et, contrairement aux combustibles fossiles, elle est illimitée et ne déclenche ni guerres ni pollution.
Dans le domaine financier, le bitcoin réinvente la monnaie à l'ère d'Internet et est devenu, pour les institutions, une réserve de valeur aussi bonne, voire plus rare, que
l'or. Le nouvel étalon-or numérique qu'il annonce, partagé et accessible à tous sans être détenu par personne, est une révolution qui bouleverse un statu quo vieux de plusieurs
siècles, ouvrant ainsi de nouvelles opportunités.
Mais, pendant que tout cela se produit, l'Afrique semble coincée dans le passé. Les deux principales activités économiques du continent demeurent la vente d'une main-d'œuvre
bon marché et de matières premières, pareillement abondantes. Historiquement, certains pays asiatiques qui ont commencé avec une main-d'œuvre bon marché dans le secteur manufacturier
ont réussi à bénéficier d'une importante croissance économique, notamment Singapour dans les années 1960 et la Chine dans les années 1990. Mais si cela a fonctionné en Asie, ce ne sera
pas le cas cette fois-ci : l'intelligence et l'énergie sont vouées à devenir abondantes, et leurs prix seront fixés en conséquence.
À l'ère de l'IA et de l'innovation, l'Afrique doit tracer une nouvelle voie. Est-ce possible ? C'est cette question qui m'a amené à cofonder InstaDeep en 2014 à
Tunis, avec seulement 2 000 dollars de capital. Je croyais (et je crois toujours) que l'innovation deep tech s'appuyant sur l'IA était possible en Afrique et pouvait conduire
à une nouvelle compétitivité économique. Dix ans plus tard, InstaDeep a réalisé la plus grande sortie de technologie en Afrique et d'IA en dehors des États-Unis. […] Je suis désormais
convaincu que nous pouvons débloquer une croissance sans précédent pour soutenir la réussite sociale et économique de l'Afrique et favoriser des partenariats gagnant-gagnant avec le
monde développé, le tout avec un financement modeste. C'est pour cette raison que ce plan d'action [qui s'appuie notamment sur les énergies renouvelables et le minage de
bitcoin. Plus de détails à retrouver sur le site Internet du Point, NDLR] a été pensé pour être utile aux décideurs et aux entrepreneurs. Comme vous le verrez, le chemin à parcourir regorge
d'opportunités ! »
_« LE SAUT DÉCISIF » de Karim Beguir, L'ADN éditions, mars 2025, 100 pages, 16 euros._
Avec AfriClimate AI, qu'elle a cofondée, cette chercheuse algérienne veut mettre une communauté de chercheurs en IA au service d'une Afrique durable et résistante au changement
climatique. Son équipe est notamment capable d'anticiper les catastrophes climatiques en prédisant les conditions météorologiques extrêmes beaucoup plus vite que les méthodes
traditionnelles.
« Ne pas devenir une colonie numérique. » Tel est le mantra de cette entrepreneuse née en France de parents d'origine centrafricaine et qui, après un passage chez Nvidia, en Californie,
a créé Amini à Nairobi, au Kenya. Le principe ? Des données qu'elle récolte via ses propres satellites notamment pour aider les cultivateurs sur place.
Cette docteure en technologie de l'information a fondé Innovate AI Health Lab, un groupe de recherche qui se concentre sur la résolution des problèmes sanitaires en Afrique
subsaharienne. Elle a notamment créé un robot conversationnel destiné à améliorer le dépistage du VIH et à diffuser des informations sur la santé sexuelle auprès des jeunes Kényans. HÉLOÏSE
PONS