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Les habitants d’Andilly-les-Marais, en Charente-Maritime, ont mené à bien un projet citoyen d’éoliennes. Il va alimenter en électricité 10 000 foyers du secteur.
Bertrand, Karine, Pascale et les 376 sociétaires de la Coopérative d’énergies citoyennes et renouvelables (Coopec) sont ravis. Entre les petits fours et le bar à huîtres qui s’offrent à eux,
ils se félicitent de leur pugnacité. Six ans après leur première réunion, elles sont enfin assemblées, gigantesques, et surtout puissantes, prêtes à injecter dans le réseau électrique le
fruit de la récolte du vent. Nous sommes à Andilly-les-Marais (Charente-Maritime), une commune de 2 300 âmes au nord de La Rochelle, où trois éoliennes imposent leur silhouette au milieu des
grandes cultures. Ici, les habitants ont désiré ces moulins à vent, ce qui ne va pas de soi par les temps qui courent.
Le parc est composé de trois machines d’une puissance de 5,6 mégawatts chacune, dont les pales font figure d’exception : elles sont longues de 80 mètres, les plus grandes en France à ce
jour. Testées dès le printemps, elles vont commencer à produire dans les prochains jours l’électricité nécessaire à plus de 10 000 foyers. Jusqu’ici, rien de très original, sauf que le
projet a été pensé avec et par des habitants.
Tout a démarré en 2015, lorsque des développeurs ont identifié la zone comme un couloir de vent prometteur. Ils sont arrivés « comme des cow-boys, négociant en catimini des baux avec les
propriétaires terriens », raconte une élue. « Nous redoutions d’être mis devant le fait accompli, se souvient Sylvain Fagot, l’actuel maire. Alors, nous avons lancé un appel à manifestation
d’intérêt [une rareté dans ce domaine] en insistant, dans le cahier des charges, sur l’aspect citoyen de l’affaire. »
Le maire a alors rencontré Guy Martin et Georges Vasseur, cofondateurs de l’association À nous l’énergie !. Le premier, également cofondateur d’Enercoop Bretagne et ingénieur des ponts et
chaussées à la retraite, est familier des questions énergétiques coopératives. Face au maire assailli, un argument a fait mouche : « Nous devons et nous pouvons nous réapproprier le cycle de
l’énergie ». L’ensemble des édiles était réceptif. « Nous voulions que ce projet soit fait par et pour le territoire », dit Karine Dupraz, ancienne élue de la communauté de communes.
C’est ainsi que Valorem, acteur historique des renouvelables en France, a été retenu. Créée il y a trente ans par Jean-Yves Grandidier, personnage truculent et respecté du monde des
renouvelables, l’entreprise multiplie les projets en coordination avec les habitants des territoires et souhaite partager la rente d’Éole. Résultat, après une instruction exemplaire et une
association des riverains dans les moindres détails du projet, il n’y a eu aucun recours, malgré plusieurs centaines de messages négatifs lors de l’enquête publique.
Entre le dépôt, l’instruction et l’obtention du permis, les planètes s’étaient alignées au-dessus d’Andilly. « En moyenne, un parc met environ huit années à sortir de terre. Ici, sans
recours, il n’a fallu que six ans », se félicite Mathieu Bernard, responsable de l’agence Nouvelle-Aquitaine de Valorem.
Dans un projet classique, le développeur est aux manettes et prend ses décisions seul avec les instances locales. Aucun citoyen, ni collectivité locale n’est au capital. Pas à Andilly. Une
société de projet, baptisée Parc éolien d’Andilly-les-Marais, réunit trois actionnaires : Valorem, le développeur, qui détient 51 % des parts ; Terra Energies, le fonds d’investissement des
renouvelables de la région, avec 18 % ; et une société coopérative d’intérêt collectif, la Coopec, avec 31 % des parts.
Cette dernière réunit 376 sociétaires, parmi lesquels 356 citoyens âgés de 6 mois à 80 ans, la communauté de communes, dix communes, quatre associations et cinq sociétés privées.
« Nous n’avons pas fait ça pour les intérêts, mais pour investir dans quelque chose qui a du sens »
Les 34 millions d’euros nécessaires à la construction du parc ont été financés avec une contribution de chaque actionnaire à hauteur du capital détenu. Les habitants ont ainsi réuni 1,2
million d’euros. D’abord en devenant sociétaires de la Coopec, à raison de 50 euros la part sociale, mais surtout, quand ils le pouvaient, en abondant des comptes courants d’associés
permettant de verser une avance à la coopérative sous forme d’un prêt rémunéré sur six, douze ou vingt ans, à des taux de 3 à 5 %. Forts de leurs 1,2 million d’euros, les
habitants-sociétaires sont allés voir des banques, permettant à la société de projet de contracter un prêt de 30 millions d’euros.
Les revenus issus de la vente d’électricité sont répartis entre les différents actionnaires. Comme les autres, la Coopec va percevoir la prime de développement qui sera redistribuée tout le
long de la durée de vie du parc (25 ans). Ces 62 000 euros annuels, soit 1,55 million d’euros au total, sont à destination du territoire. Valorem et Terra Énergies ont voulu toucher leur
prime de développement dès l’aboutissement du projet, soit un montant confidentiel de plusieurs millions d’euros.
« Un comité de projet — composé de la communauté de communes, des communes d’Andilly et de Marans, mais aussi de cinq sociétaires-habitants de la Coopec et d’un membre de son conseil de
gestion — a pour mission d’analyser vers qui ou quoi destiner les revenus de la vente d’électricité », précise Bertrand Cardinal.
Ainsi, un simple citoyen qui rénove une passoire thermique ou un maire souhaitant isoler un bâtiment municipal peuvent prétendre à une aide, à condition toutefois d’être sociétaire de la
coopérative. Chaque sociétaire est fier d’avoir placé son argent sans en attendre des dividendes mirobolants, car il s’agit avant tout de redistribuer les bénéfices générés par le vent. «
Nous n’avons pas fait ça pour les intérêts, explique un couple de retraités, mais pour investir dans quelque chose qui a du sens. Notre argent est plus utile ici que dans une banque dont on
ne sait où elle le placera. »
Autre particularité : si Valorem se charge de l’exploitation et de la maintenance du parc, les sociétaires de la Coopec sont associés à la gouvernance. « Valorem souhaitait rester
majoritaire au capital, c’est normal, ils vivent de la vente d’électricité, mais la Coopec détient trois voix sur cinq au comité de pilotage », explique Bertrand Cardinal. Pour faire simple
: à Valorem la majorité de la manne, mais aux citoyens la majorité de la gouvernance.
« Tout l’aspect concertation a été partagé, confirme Mathieu Bernard. Valorem apportait des éléments techniques et des idées, mais les décisions se prenaient de manière collégiale. C’est
ainsi que l’on a décidé ensemble du dimensionnement du parc, du choix de l’implantation et de la hauteur des machines. »
« L’éolien, je n’en pensais rien avant de mettre le nez dedans »
Toutes les parties prenantes le disent : ce parc est exemplaire parce qu’il a intégré les habitants en amont. Même le préfet qui craignait l’aspect « kolkhozien » de la chose le prend en
exemple. Les élus et les riverains ont planché des centaines d’heures sur les aspects techniques, législatifs, environnementaux des moulins à vent.
Sylvain Fagot, maire d’Andilly, l’avoue : « L’éolien, je n’en pensais rien avant de mettre le nez dedans ! C’est en travaillant sur des aspects techniques que nous nous sommes fait une idée,
assez éloignée des idées reçues. » Celles-ci sont tenaces : baisse du prix de l’immobilier ; recyclage nul et pollution sonore maximale ; massacre de rapaces...
« Certes, les éoliennes tuent les oiseaux, c’est vrai, mais entre les chats, les surfaces vitrées, l’agriculture intensive... Ce ne sont pas les éoliennes qui posent vraiment problème,
soutient Bertrand Cardinal, président de la Coopec. Par ailleurs, elles ne se situent pas sur des couloirs de migration. »
Sur la commune, des opposants se sont carapatés après avoir vendu leur maison « en ayant réussi une belle culbute », assure Sylvain Fagot. Le maire en est persuadé : « Les gens s’accommodent
des poteaux électriques ou des châteaux d’eau. Bientôt l’éolienne dans le paysage ne sera plus un sujet. »
« Andilly est le seul projet sous cette forme-là, car c’est une demande du territoire. Il ne faut pas se leurrer, la plupart des collectivités ne souhaitent, ni ne peuvent, allouer du temps
à cette thématique, tempère Mathieu Bernard de Valorem. C’est un engagement chronophage, car les personnes doivent monter en compétence. » Et en affection pour leur parc : la nuit où les
pales sont arrivées, une cinquantaine d’habitants stationnaient en bordure de rond-point, dans le froid, pour applaudir les transporteurs.
C’est ce qui ravit et émeut Guy Martin. « Tout le monde peut agir, apporter des compétences ou simplement donner du temps, les talents sont multiples et certaines personnes se sont révélées.
Elles partaient de zéro et, trois ans plus tard, elles tiennent des discours stupéfiants sur la sobriété ! » Reste à entretenir la flamme, en soufflant dessus autant que le vent, car le
parc est présent pour un quart de siècle.
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