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À première vue, c’est un simple galet de granit, à peine plus grand que la paume d'une main et qui a été récupéré dans les dépôts archéologiques moustériens de l’abri sous roche de San
Lázaro, au nord de Madrid. Il a été mis au jour en 2019 par une équipe espagnole, dans un niveau stratigraphique attribué aux derniers Néandertaliens. Sur l’une de ses faces, trois petites
dépressions naturelles, sans doute formées par l’érosion, sont disposées en triangle. Entre elles, au centre exact, une marque d’ocre rouge contribue à faire apparaître la forme d'un
énigmatique visage. UNE EMPREINTE POUR L'ÉTERNITÉ L’objet intrigue aussitôt. Il n’a pas été taillé, ni gravé, ni manifestement utilisé comme outil. Mais il a bien été déplacé : sa
composition géologique ne correspond pas à celle du site, et son origine a été retracée jusqu’à un lit de rivière situé à plus de 200 mètres. Pour en comprendre la nature, les chercheurs ont
mené une série d’analyses physico-chimiques et optiques non destructives, dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue _Archaeological and Anthropological Sciences_. Lire
aussiNéandertal était-il vraiment une espèce différente de Sapiens ? Ils ont confirmé la présence d’ocre, qui est un pigment minéral à base d’hématite, la nature non transformée du support,
et surtout la qualité de l’empreinte. Celle-ci présente douze crêtes papillaires parallèles, continues, et suffisamment nettes pour permettre une analyse des dermatoglyphes. Elle aurait été
laissée par un adulte, possiblement masculin, lors de l’application directe du pigment avec le doigt. C'est sans doute la plus ancienne empreinte digitale humaine connue à ce jour.
_Dermatoplyphes visibles en imagerie multispectrales. Crédit __: Álvarez-Alonso et al_. UN GESTE VOLONTAIRE ? Pourquoi déposer de l’ocre sur une pierre anodine ? Et pourquoi précisément à
cet endroit, au centre des trois creux ? Les auteurs de l’étude avancent une hypothèse : celle d’un acte délibéré, possiblement symbolique. Car la disposition des dépressions naturelles et
du point rouge central peut évoquer une forme de visage stylisé. Deux yeux, une bouche, un nez rouge ou une marque centrale, un peu comme les figures sommaires que dessinent les enfants en
quelques traits. Cela relève peut-être de la paréidolie, ce mécanisme cognitif qui pousse notre cerveau à voir des visages dans des formes abstraites. Mais l’intentionnalité du geste, sa
précision et la nature du pigment laissent penser qu’il ne s'agit pas d'un simple hasard. Lire aussiNéandertal premier peintre de l'humanité Les auteurs ne prétendent pas
avoir découvert une œuvre d’art. Mais ils inscrivent cet objet dans une série de découvertes récentes qui remettent en question les anciennes oppositions entre Néandertal et _Homo sapiens_.
Ainsi, les premiers enterraient leurs morts, utilisaient des pigments et ornaient leurs corps. Ils sont aussi les auteurs des plus anciennes peintures rupestres connues, comme les marques
rouges de la grotte d’Ardales, datées de 65.000 ans. "_Ce galet n’a aucune fonction pratique connue. Il n’est ni transformé, ni utilisé comme outil. Il a été conservé pour
lui-même_", écrivent les auteurs de l'étude. Et ils concluent : "_L’interprétation symbolique est raisonnable, et pourrait représenter une étape primitive vers la figuration
intentionnelle._"