Procès le scouarnec : "la société ne peut pas dormir sur ses deux oreilles parce qu'on a mis un criminel en prison" | tf1 info

Procès le scouarnec : "la société ne peut pas dormir sur ses deux oreilles parce qu'on a mis un criminel en prison" | tf1 info

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Le procès du pédocriminel Joël Le Scouarnec a pris fin mercredi, avec la condamnation de l'ex-chirurgien à 20 ans de réclusion. Si un dispositif hors-normes a été mis en place pour


accueillir la parole des victimes, il est encore "trop tôt pour dire ce que cette affaire changera pour la société", estime auprès de TF1info Thierry Baubet, membre de la Civiise.


Pour le psychiatre, la condamnation de l'ex-chirurgien ne doit pas occulter le fait que pour l'heure, "nous sommes loin du compte" dans la lutte contre la


pédocriminalité. Suivez la couverture complète Procès Le Scouarnec : l'ex-chirurgien pédocriminel condamné à 20 ans de prison Trois mois durant, la justice a écouté, examiné, disséqué.


Mais au terme de longues semaines d'audience, l'ampleur abyssale du dossier saisit encore d'effroi. L'ex-chirurgien Joël Le Scouarnec a été condamné mercredi 28 mai à 20


ans de prison, pour agressions sexuelles et viols sur 299 victimes. Un dispositif hors normes a permis de recueillir la parole de ces dernières, permettant de documenter le systématisme du


mode opératoire du pédocriminel, qui a sévi pendant plusieurs décennies.  Un parcours funeste permis par une lourde omerta à la fois du milieu médical et de la famille de l'ancien


chirurgien, un silence dont le procès n'a pas été fait, estime auprès de TF1info Thierry Baubet, membre du collège directeur de la Commission Indépendante sur l'Inceste et les


Violences Sexuelles faites aux Enfants (Ciivise) et chef du Service de Psychopathologie de l'enfant, de l'adolescent, psychiatrie générale et addictologie de l'hôpital


Avicenne. Selon lui, l'affaire fait plus largement écho au fléau des violences faites aux enfants, encore sous-traitées par les autorités, et contre lesquelles _"tout reste à


faire"_.  AU TERME DE TROIS MOIS D’AUDIENCE, QUE RETIENT LA CIVIISE DE CE PROCÈS MARQUANT ? Nous retenons d'abord les témoignages des victimes et leur courage dans ce procès, sans


oublier celles qui n’ont pas voulu ou pas pu témoigner, et leurs familles qui ont basculé dans l’impensable. Ce procès nous montre le résultat terrible du déni collectif, des petites


lâchetés des uns et des autres, de l'indifférence. Le jugement a été rendu et nous voulons maintenant que les enseignements de ce procès soient l'occasion de changer les politiques


publiques de protection des enfants contre les crimes sexuels. Que ce procès contribue à changer la société, ce serait une autre façon de rendre justice aux victimes. > Rien ni personne 


ne s’est jamais mis en travers du parcours > criminel de cet homme Thierry Baubet, psychiatre et membre du collège directeur de la Civiise JUSTE AVANT L’OUVERTURE DU PROCÈS, VOTRE


COMMISSION APPELAIT DANS UN COMMUNIQUÉ (nouvelle fenêtre) À UNE "PARTICULIÈRE ATTENTION AUX PERSONNES VICTIMES". CELA VOUS SEMBLE-T-IL AVOIR ÉTÉ LE CAS, TOUT AU LONG DE CES


SEMAINES D’AUDIENCE ? Ce procès, comme ceux des attentats de Paris et de Nice, montre une inflexion des pratiques judiciaires dans un sens favorable au traitement bienveillant des victimes.


Celles qui le souhaitaient ont disposé de temps pour s'exprimer, un soutien psychologique par l'association France Victimes était disponible en permanence et il a été très utilisé.


La défense de l'accusé s'est montrée respectueuse des victimes, ce qui n'est pas toujours le cas. Il n'y a pas eu par contre de Webradio destinée aux parties civiles


comme pour le procès du 13 novembre, ce qui aurait été utile, pour un long procès dont les victimes étaient réparties sur tout le territoire. L'annonce des faits à l'ouverture de


la procédure a été en revanche assez chaotique, laissant des victimes choquées et isolées, parfois sans recours. Le verdict a été une déception pour la plupart des victimes, la rétention de


sûreté n'ayant pas été retenue.  EN QUOI CETTE AFFAIRE TENTACULAIRE, EXCEPTIONNELLE PAR SON AMPLEUR, EST-ELLE LE REFLET DU FLÉAU DES VIOLENCES SEXUELLES QUI TOUCHENT LES ENFANTS DANS LA


SOCIÉTÉ EN GÉNÉRAL ? L'affaire a pu prendre une ampleur exceptionnelle car rien ni personne ne s’est jamais mis en travers du parcours criminel de cet homme. Le fameux "ça passe


ou ça casse", et quand ça passe, c’est comme une invitation à aller toujours plus loin. Cette affaire reflète donc l'impunité des auteurs et le déni qui prévaut dans notre société


concernant les violences sexuelles faites aux enfants. C’est aussi une histoire qui est profondément liée à l’inceste et aux dynamiques familiales incestuelles qui constituent le terreau


dans lequel s’enracinent une grande part des violences sexuelles dans notre société. Enfin, cette affaire rappelle que les questions d’inceste et de violences sexuelles sur enfant concernent


toutes les classes sociales. > Le procès de l'omerta n'a pas eu lieu Thierry Baubet, psychiatre et membre du collège directeur de la Civiise Y A-T-IL NOTAMMENT DES MÉCANISMES


PARTICULIERS EN JEU DANS LE MODE OPÉRATOIRE DE JOËL LE SCOUARNEC QUI SE RETROUVENT DANS NOMBRE DE CAS DE VIOLENCES SEXUELLES CONTRE DES MINEURS ? Joël Le Scouarnec avait accès au corps


d’enfants qui étaient vulnérabilisés par la maladie et la souffrance, séparés de leurs parents à l’hôpital et au bloc opératoire, et à certains moments endormis ou sédatés. Ajoutons la


confusion entretenue entre actes sexuels et actes médicaux qui rendait les violences difficilement déchiffrables pour les enfants comme pour les parents. Des conditions idéales pour un


prédateur. De plus, il jouissait de la position d’autorité et de domination que lui donnait son statut de chirurgien. Cette conjonction entre l'accès aux enfants et le rapport


d’autorité est souvent retrouvée dans toutes les institutions : l'école, le sport, l'Église, la culture, etc. Une révolution est nécessaire dans chaque lieu qui accueille des


enfants, la Ciivise propose une formation au repérage et à l’accueil de la parole de l’enfant, des systèmes de signalement protocolisés obligatoires qui devront faire l'objet de


contrôles.   AVEC LA CIIVISE, VOUS ÉVOQUIEZ ÉGALEMENT LE FAIT QUE "LES CARRIÈRES PÉDOCRIMINELLES SONT CONSTRUITES, NON PAR DES MONSTRES, MAIS PAR DES SILENCES SUCCESSIFS DE TOUS LES


TÉMOINS". EN QUOI CE PROCÈS A-T-IL PU ÊTRE CELUI D'UNE OMERTA AUTOUR DES VIOLENCES SEXUELLES ET DES DÉFAILLANCES À CE SUJET, NON SEULEMENT DANS LE DOMAINE MÉDICAL, MAIS AUSSI PLUS


LARGEMENT DANS LA SOCIÉTÉ ? Le procès de l'omerta n'a pas eu lieu. C’est un homme qu’on jugeait. Et pourtant on voit que les passages à l’acte incestueux du chirurgien ont été


"traités" en famille (c’est-à-dire non judiciarisés), qu’une enquête pour détention de matériel pédocriminel a été trop superficielle, que l'alerte d’un médecin a été négligée


par les directions d’hôpitaux, le Conseil de l’Ordre des Médecins, l’administration de la santé. Ce sont autant de moments où la carrière criminelle de Joël Le Scouarnec aurait pu être


arrêtée. Sur tous ces points, nous avons le devoir de changer les choses et la Ciivise propose des recommandations en ce sens. Pour les professionnels travaillant auprès d'enfants, le


contrôle d’honorabilité devrait être systématique, les auteurs d'infractions sexuelles ne devraient plus être autorisés à exercer. LE PROCÈS A-T-IL PERMIS À VOTRE SENS DE "RÉPARER


DES VIOLENCES PERMISES ET RECOUVERTES DE DÉNI PAR TOUTE UNE SOCIÉTÉ", COMME VOUS LE DEMANDIEZ AVANT SON OUVERTURE ? Le procès est une étape dans un processus de rétablissement qui est


essentielle pour certaines victimes, et moins importante pour d'autres. Si c'est un jalon, il ne suffit pas à guérir les souffrances intimes les plus profondes pour lesquelles des


soins peuvent alors être utiles. D'autres voies contribuent aussi à ce rétablissement, comme l’engagement dans des actions collectives par exemple. Certaines victimes font part


aujourd’hui de leur déception car cette affaire et ce procès ont eu moins de retentissement, moins de couverture médiatique que d’autres affaires, et elles y voient une perpétuation du déni.


Il est trop tôt pour dire ce que cette affaire changera pour la société, et les victimes de Joël Le Scouarnec qui le souhaitent ont un rôle à jouer dans les temps qui viennent pour


contribuer à des changements de fond. La Ciivise sera aux côtés de celles qui le souhaitent pour les entendre et relayer leurs attentes.  * Lire aussi Omerta tenace, accompagnement des


victimes... Quels enseignements tirer du procès de Joël Le Scouarnec ? Y A-T-IL UN RISQUE SELON VOUS QUE LA PERSONNALITÉ DU PÉDOCRIMINEL JOËL LE SCOUARNEC SOIT DAVANTAGE RETENUE, EN ISOLANT


SON CAS, QUE LE PHÉNOMÈNE DE SOCIÉTÉ EN JEU DERRIÈRE CETTE AFFAIRE ? Oui, ce serait catastrophique de laisser entendre que parce qu'on a mis un criminel en prison, la société peut


dormir sur ses deux oreilles. Tout reste à faire. La Ciivise avait fait 82 recommandations. Le gouvernement ne s'est prononcé que sur 15 pour en rejeter la moitié. Nous sommes loin du


compte, et nous savons que nous ne faisons pas le nécessaire pour réduire la pédocriminalité d’aujourd’hui et des années qui viennent.    QUELS SONT LES LEVIERS NÉCESSAIRES À VOTRE SENS POUR


LEVER CETTE CHAPE DE SILENCE, DANS LES INSTITUTIONS MAIS AUSSI DANS LA SOCIÉTÉ EN GÉNÉRAL, ET EMPÊCHER DE NOUVELLES AFFAIRES DE CET ORDRE ? Il ne faut pas relâcher la pression. Il y a de


nombreuses associations qui font un travail formidable, nous disposons des 82 recommandations de la Ciivise et nous sommes en train d’en produire d’autres sur des sujets qui n’ont pas été


assez explorés : les mineurs avec handicap, les territoires d’outre-mer, la cyberpédocriminalité. Il faut un portage dans la durée de ces propositions pour les transformer en politiques


publiques. C’est un travail de fourmi avec les cabinets ministériels, les parlementaires et nos nombreux partenaires. La Ciivise est programmée pour finir ses travaux en octobre 2026, mais


il faudra continuer à porter ces sujets au-delà. Pour cela, nous avons proposé au gouvernement fin 2024 la création d’une instance indépendante appuyée sur un comité de représentants de


victimes dont le travail devra s'inscrire dans la durée. L’inceste et les violences sexuelles sur enfant ont besoin d’un portage spécifique dans la durée car dès qu'on arrête d’en


parler, on préfère les oublier. LE GOUVERNEMENT A ÉVOQUÉ CES DERNIERS JOURS PLUSIEURS PISTES POUR ÉVITER QUE DE TELS ACTES SE REPRODUISENT, CETTE RÉPONSE POLITIQUE VOUS SEMBLE-T-ELLE À LA


HAUTEUR DE LA GRAVITÉ DE CE PROCÈS ? Nous attendons de voir précisément ce qui sera proposé pour nous prononcer, et cette piste ne répond pas à la totalité des questions soulevées.


------------------------- Maëlane LOAËC