Développement du gaz renouvelable : pour une perspective agroécologique | terra nova

Développement du gaz renouvelable : pour une perspective agroécologique | terra nova

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La production de gaz renouvelable s’effectue à ce jour par un procédé principal, la méthanisation. D’autres procédés de production émergent, comme la pyro-gazéification, la gazéification


hydrothermale ou le power-to-gas, mais ils demeurent encore au stade du démonstrateur. Première à se déployer, la méthanisation se développe de façon rapide au rythme désormais de 2 TWh de


capacité installée par an. L’objectif de la programmation pluriannuelle de l’énergie fixé à 6 TWh en 2023 devrait être atteint dès fin 2021. Le potentiel total de production du seul


biométhane a été évalué à 140 TWh par l’ADEME, auquel s’ajoute le potentiel de production des autres nouveaux gaz pour couvrir l’ensemble des besoins de consommation de gaz d’ici 2050 . Au


sein d’un méthaniseur, des déchets organiques et des résidus agricoles sont chauffés pour être digérés sans oxygène (digestion anaérobie) et générer du gaz, principalement du méthane, ainsi


qu’un coproduit organique azoté qui peut servir de fertilisant, le digestat. L’essentiel du potentiel de méthanisation est issu de l’agriculture. Si des installations peuvent méthaniser des


biodéchets, s’insérer dans le traitement des boues de stations d’épuration, ou des installations de stockage de déchets non dangereux, ces productions ne représentent qu’une fraction limitée


du potentiel méthanisable, qui est d’abord agricole. Le méthane produit peut alors être injecté, après épuration et odorisation, en substitution du gaz naturel fossile dans un réseau de gaz


ou transformé par cogénération en électricité, la chaleur étant alors réutilisée pour chauffer des bâtiments notamment agricoles, par exemple pour l’élevage, ou des sites industriels à


proximité. Alors que les premières installations étaient principalement constituées de cogénérations produisant donc de l’électricité et de la chaleur (depuis 2006), la France, qui dispose


déjà d’une électricité faiblement carbonée, a fait le choix d’affecter majoritairement la méthanisation à la décarbonation de la consommation de gaz naturel, en favorisant depuis 2011 la


voie de valorisation par injection. Cette solution permet de remplacer les importations de gaz fossile par un gaz renouvelable produit localement. Quant au digestat, il peut être épandu sur


des terres agricoles en substitution des engrais minéraux de synthèse, être incinéré ou être lui-même transformé en gaz renouvelable par gazéification hydrothermale. Il est à ce jour


principalement épandu, ce qui permet alors de substituer aux engrais minéraux de synthèse des engrais organiques. Le développement du gaz renouvelable se trouve donc à la confluence de


questions relevant de la politique publique de l’énergie, notamment la décarbonation du vecteur gaz, et de la politique agricole. Faute d’en faire un bilan complet et notamment de prendre en


compte les bénéfices agricoles, environnementaux (effet sur l’eau, la biodiversité) et territoriaux de la politique de développement du gaz renouvelable, la politique de l’énergie risque de


ne pas tirer parti de l’ensemble de ses bénéfices. 1. LE BIOMÉTHANE EST ISSU DE PRATIQUES AGROÉCOLOGIQUES ET D’ÉCONOMIE CIRCULAIRE La production de biométhane permet le développement de


pratiques agroécologiques recommandées dans de nombreux travaux du ministère de l’Agriculture . La méthanisation d’effluents d’élevage permet de réduire très significativement les émissions


de gaz à effet de serre de ces effluents, source importante des émissions du secteur. Historiquement, les premiers méthaniseurs fonctionnant en cogénération étaient ainsi souvent liés à des


élevages. La méthanisation pour les grandes cultures s’appuie sur la valorisation énergétique de cultures intermédiaires entre la récolte de la culture principale et le semis de la suivante.


Pendant la durée réduite qui sépare deux cultures à vocation alimentaire, un couvert végétal est produit, qui sert d’intrant à la méthanisation. La France a donc fait le choix de limiter


drastiquement l’usage de cultures dédiées à la production de biométhane . À la différence de certains de ses voisins (Allemagne) ou de certains agrocarburants, seul le couvert végétal que


l’agriculteur développe entre les cultures alimentaires est valorisé, sans changement d’affectation des surfaces cultivées. Il n’y a donc pas de concurrence dans l’usage des sols entre


cultures énergétiques et alimentaires. Ce choix de la France permet le développement de cette pratique des intercultures qui, en assurant un couvert végétal continu, comporte de nombreuses


externalités positives : stockage de carbone dans les sols, développement d’un abri pour la biodiversité, réduction des nitrates dans les nappes phréatiques notamment. En valorisant ce


couvert sous forme énergétique, la méthanisation permet à l’agriculteur de transformer une charge nouvelle – le coût de cette bonne pratique agroécologique qu’est la culture intermédiaire –


en recette ou au moins en moindre dépense quand l’apport de matière aux méthaniseurs donne droit à l’usage de digestat en substitution d’engrais minéraux. Car l’épandage du digestat permet


de réduire significativement l’usage d’engrais minéraux de synthèse, grâce au substrat fortement azoté qui demeure une fois la digestion anaérobie réalisée. Les engrais chimiques de


synthèse, dont la production est très énergivore et émettrice de gaz à effet de serre, et dont l’utilisation conduit à rejeter de l’azote dans la mer par infiltration et ruissellement,


génèrent de multiples dégâts environnementaux collatéraux et dégradent la qualité des sols et du grand cycle de l’eau. Par contraste, l’épandage du digestat permet d’éviter un volume


important d’émissions de gaz à effet de serre et limite ces effets pervers. Au final, la méthanisation agricole organise une double boucle d’économie circulaire : d’une part avec une boucle


carbone qui synthétise le CO 2 de l’atmosphère puis le transforme en énergie ; d’autre part, avec une boucle de l’azote qui permet les rendements agricoles et est récupéré pour être


ré-épandu grâce à la méthanisation agricole. À ces deux boucles agricoles s’ajoute la possibilité de boucles territoriales courtes de production à partir des biodéchets alimentaires et


agroalimentaires et d’usages locaux pour le déplacement des véhicules au biogaz ou pour le chauffage neutre en carbone de bâtiments à partir de productions locales. De fait, la méthanisation


agricole dispose également d’avantages non agricoles, à commencer par la réduction des émissions de gaz à effet de serre issus de la substitution de gaz renouvelable au gaz naturel fossile


comme celle de la dépendance à des importations de gaz naturel. La création d’activité et d’emplois dans des territoires ruraux plutôt que dans des centres urbains – en moyenne de deux à


trois emplois permanents par méthaniseur – génère également des externalités positives en matière d’aménagement du territoire en permettant le maintien d’activités en dehors des centres


métropolitains comme en organisant des liens de solidarité entre aires urbaines consommatrices tant d’énergie que des produits de la terre, et zones rurales productrices. Les avantages de la


méthanisation sont donc multiples. L’ensemble des externalités du biométhane a été évalué par le comité Prospective de la Commission de régulation de l’énergie de 40 à 70 € du MWh .


Toutefois, parce que les externalités sont diffuses et concernent des problématiques différentes (émissions évitées, substitution énergétique, réduction des engrais minéraux, qualité des


eaux et des sols, biodiversité), le bilan demeure complexe, et la mesure des mérites respectifs des différentes solutions énergétiques se heurte à la difficulté de comparer des bénéfices


dans des champs différents, sur le climat, la qualité de l’eau, la biodiversité ou l’aménagement du territoire. 2. LE SOUTIEN AU BIOMÉTHANE S’INSÈRE DANS DEUX LOGIQUES DE POLITIQUE PUBLIQUE


PARFOIS DIFFICILES À CONCILIER Le soutien public aux énergies renouvelables, au biométhane comme aux autres énergies qui peuvent concourir à diversifier les revenus tirés de l’agriculture et


à les décorréler des cycles mondiaux des cours des produits agricoles, demeure principalement défini comme une politique énergétique. La contribution du biométhane au développement de


l’agroécologie, la prise en compte des conflits d’usage pour les terres agricoles, la contribution des énergies renouvelables aux revenus agricoles ne sont à cet égard guère pris en compte.


La comparaison des travaux d’analyse de la commission de régulation de l’énergie et des chercheurs mandatés par le ministère de l’agriculture en témoigne de façon frappante. 2.1. LE


MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE S’INQUIÈTE DU COMPLÉMENT DE REVENU QUE LA DIVERSIFICATION DES AGRICULTEURS DANS LE SECTEUR DE LA PRODUCTION ÉNERGÉTIQUE LEUR PERMET DE CONSTITUER S’il n’engage pas


le ministère de l’Agriculture, le rapport « Déterminants et mesure des revenus agricoles de la méthanisation et positionnement des agriculteurs dans la chaîne de valeur “biomasse-énergie”  


», dit Métharevenus, est illustratif des interrogations émanant de ce ministère. Les chercheurs du CNRS et de l’Université de Paris distinguent en effet plusieurs stratégies de


diversification et d’optimisation de leurs revenus par les agriculteurs ayant développé des unités de méthanisation. Ils distinguent notamment quatre principaux types de méthanisation


agricole, en fonction de leur stratégie d’insertion dans la chaîne de valeur. Le premier type rassemble des unités de méthanisation qui reposent majoritairement sur des unités en


cogénération de première génération (investissement avant 2015) ayant pu bénéficier d’importantes subventions publiques. La cogénération constitue alors souvent un choix délibéré, la


valorisation de la chaleur étant le plus souvent intégrée dans l’équation ayant conduit l’agriculteur à investir dans la méthanisation, notamment pour la réutiliser au sein des bâtiments


agricoles. Ces unités s’appuient sur une logique de « système D » dans le sens où les agriculteurs, le plus souvent des éleveurs, souvent seuls dans l’aventure, cherchent à maîtriser au


maximum le coût de la maintenance en l’internalisant. Privilégiant une « petite maintenance en totale autonomie », sans intervenant extérieur, ils utilisent peu de main-d’œuvre salariée.


Cela se répercute sur leur temps de travail personnel et les conduit souvent à pousser davantage leur spécialisation productive agricole – en abandonnant par exemple l’élevage laitier ou


l’engraissement – lors de l’investissement dans le méthaniseur. Cette spécialisation peut également être l’occasion de réduire _ in fine_ le temps de travail de l’agriculteur si le temps


dégagé par l’abandon d’un atelier agricole est plus élevé que le temps de travail supplémentaire nécessaire pour l’unité de méthanisation. Enfin, ils réduisent au maximum le coût de leurs


substrats en privilégiant l’usage de leurs propres effluents d’élevage (ou ceux de leurs voisins sur la base d’un échange informel de type effluents contre digestat). Certains sont ainsi


entièrement autosuffisants pour leurs intrants en effluents, et le dimensionnement de l’unité de méthanisation a précisément été pensé pour garantir cette autonomie. Le deuxième type d’unité


de méthanisation est constitué de petits collectifs d’agriculteurs céréaliers et d’éleveurs, qui se regroupent autour de ce projet collectif. Dans ce modèle, l’investissement est plus


récent et date d’après 2015. Il peut s’agir d’unités en injection ou en cogénération. Le choix de la cogénération tient parfois d’une opportunité locale (possibilité de valorisation de la


chaleur produite) ou d’une contrainte technique (absence de réseau). La filière de construction étant mieux constituée, l’investissement est plus lourd (notamment du fait des coûts de


terrassement et de la présence quasi systématique de bureaux d’études, d’assistants à maître d’ouvrage, etc.), alors que les subventions perçues sont plus faibles que dans le modèle


précédent. En conséquence, la charge de la dette pèse davantage sur le résultat d’exploitation. Dans le fonctionnement de l’unité de méthanisation, le travail rémunéré est plus présent que


dans le modèle précédent, notamment parce que le projet est plus collectif. Parfois, la rémunération prend la forme d’une gratification pour l’un ou plusieurs des associés du projet, de


l’ordre de quelques milliers d’euros par an et par personne. Ce modèle peut être créateur d’emploi salarié lorsque la partie méthanisation n’est pas gérée par l’un des associés. Enfin, la


part plus importante des substrats achetés, généralement auprès des coopératives et plus rarement d’agro-industriels, vient peser davantage dans les charges. Dans ce modèle, tout est


facturé, car l’unité de méthanisation est presque toujours séparée juridiquement des entités agricoles, même lorsqu’il s’agit formellement d’un échange entre l’unité et l’agriculteur membre


du collectif (pour l’achat des cultures intermédiaires à vocation énergétique, le coût d’épandage, etc.). Le troisième modèle d’unité de méthanisation, basé sur l’injection dans le réseau de


gaz, est plutôt individuel ou fonctionne sur la base d’un tout petit collectif porté par un céréalier détenant la majorité du capital et pouvant inclure des éleveurs. Dans ce modèle,


l’unité de méthanisation est presque systématiquement séparée de l’exploitation agricole sur le plan juridique. Cela génère des coûts d’achat de substrats très importants, mais qui, de fait,


viennent rémunérer l’exploitant céréalier lui-même. En effet, une part importante des intrants est constituée de cultures intermédiaires à vocation énergétique. Le revenu dégagé est plus


faible qu’il ne pourrait paraître et très variable d’une unité à l’autre, ce qui s’explique par des choix très variés de facturation des coûts directs et indirects de la méthanisation. Par


ailleurs, les unités de méthanisation complètent le plus souvent leurs besoins en intrants via des accords auprès de leurs coopératives (pour des céréales très méthanogènes notamment) et des


agro-industriels. Ce modèle est presque toujours créateur d’emploi salarié – souvent issu du monde industriel –, ce qui augmente la masse salariale plus significativement que dans les


modèles précédents, car le travail, plus qualifié, y est mieux rémunéré. En contrepartie, les associés consacrent moins de temps à l’unité de méthanisation et se spécialisent dans la gestion


administrative du projet. Un quatrième type d’unité de méthanisation est constitué d’agriculteurs souvent seuls ou en tout petit collectif, éleveurs pour la plupart, ayant investi plus


tardivement dans la méthanisation (après 2015). Le résultat d’exploitation est très variable et souvent négatif. Le coût de l’investissement est plus élevé que dans le premier modèle en


raison d’un plus grand nombre d’acteurs et de métiers intervenant dans la construction des méthaniseurs, laquelle implique désormais des assistants à maître d’ouvrage, des maîtres d’œuvre,


des cabinets de conseil, etc. Parallèlement, l’arrivée de nouveaux « constructeurs » a réduit la fiabilité de la technologie : plusieurs cas de constructeurs ayant fait faillite ont été


observés notamment dans l’ouest de la France ainsi que des casses du matériel du fait d’une inadaptation de la technique aux caractéristiques des substrats. D’autres agriculteurs ayant un


résultat faible témoignent d’un problème lié au surdimensionnement initial du moteur ou du digesteur de l’unité de méthanisation par rapport au gisement disponible. En conséquence, les coûts


de maintenance sont plus élevés. Dans le cas de petits collectifs, le choix d’employer de la main-d’œuvre salariée permet certes de créer des emplois, mais génère des coûts supplémentaires


parfois difficiles à supporter pour des unités de taille relativement modeste. Parallèlement, la baisse des subventions conduit à une augmentation de la charge de la dette. Enfin, la volonté


d’une partie des agriculteurs appartenant à ce groupe d’optimiser le pouvoir méthanogène des substrats les conduit à inclure davantage d’intrants achetés auprès de leurs coopératives (issus


de céréales) et d’agro-industriels. Ce choix vient peser sur le résultat d’exploitation. Globalement, ce dernier modèle combine les défauts (coût élevé des substrats, masse salariale


élevée, investissement lourd). Enfin, même si l’étude du ministère ne couvre pas ce type d’unité de méthanisation, un dernier type d’unité est constitué de projets plus importants, souvent


portés par des industriels adossés à des énergéticiens (Engie pour Vol-V, Total pour Fonroche). Ces unités de grandes tailles reposent alors sur des accords pour les intrants comme pour


l’épandage du digestat sur un personnel rémunéré _ ad hoc_ et bénéficient des économies d’échelle permises par l’industrialisation de la filière. Les chercheurs s’inquiètent alors de la


place insuffisante donnée aux éleveurs dans les modèles qui se développent récemment comme de la place croissante que pourraient prendre les acteurs industriels au détriment de la capacité


du monde agricole à capter une part de la valeur par les unités de méthanisation. 2.2. LE SOUTIEN PUBLIC AU BIOMÉTHANE EST DÉFINI EN FONCTION D’UN OBJECTIF DE MAÎTRISE DE LA FACTURE


ÉNERGÉTIQUE ET D’ENCOURAGEMENTS AUX GAINS DE PRODUCTIVITÉ À rebours de cet intérêt pour la capacité de la méthanisation à servir une rémunération complémentaire aux agriculteurs et à


diversifier leurs revenus, la politique publique de l’énergie vise d’abord à la production au plus bas prix d’énergie renouvelable. Le niveau des subventions publiques n’est donc plus conçu


comme un moyen de soutenir le complément de revenus des agriculteurs et des éleveurs, mais comme une variable à réduire autant que possible pour obtenir le développement des énergies


renouvelables au meilleur coût. Les acteurs de la filière eux-mêmes, soucieux d’afficher les leviers de réduction des coûts qui feront de leur énergie renouvelable une énergie au prix


décroissant dans le futur, ont commandé des travaux pour documenter la baisse possible des coûts. Les principaux leviers s’avèrent basés sur l’extension de la taille des unités,


l’industrialisation de la construction et de la maintenance des unités, la réduction du coût des intrants comme l’optimisation de leur pouvoir méthanogène par l’amélioration du pouvoir


méthanogène des cultures intermédiaires. Cette vision industrielle s’avère donc à bien des égards, elle aussi, éloignée de celle des chercheurs missionnés par le ministère de l’Agriculture.