A69: la loi de validation débattue à l’assemblée nationale, un risque pour l’etat de droit

A69: la loi de validation débattue à l’assemblée nationale, un risque pour l’etat de droit

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ARNAUD GOSSEMENT - Une loi de validation a pour but d’éviter qu’une décision administrative soit annulée par le juge administratif. Cela peut paraître choquant que le parlement empêche le juge de travailler. Mais dans certains cas, quand il y a une décision faiblement illégale, par exemple en raison d’un petit vice de procédure, une annulation aurait des conséquences disproportionnées. Par exemple, elle peut servir à éviter à des centaines de candidats à un concours de la fonction publique de replancher quand il y a eu un souci pour quelques copies. Ces lois de validations sont très encadrées. L’article 16 de la Déclaration des droits de l'homme prévoit une stricte séparation des pouvoirs. L’atteinte du parlement au pouvoir du juge ne peut être que limitée et doit être justifiée par un intérêt général impérieux. Toute l’affaire de l’A69 est une réflexion sur l’intérêt général. Pour exproprier en vue de construire un ouvrage, il est nécessaire d’obtenir une déclaration d’utilité publique. Puis pour pouvoir entamer la construction, il faut obtenir une autorisation environnementale, composée elle-même de plusieurs autorisations. L’une d’entre elles est la dérogation espèces protégées, qu’il est normalement interdit de perturber. Pour l’obtenir, il faut démontrer qu’il y a une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM). La déclaration d’utilité publique permet d’exproprier, pas de perturber l’environnement. C’est ce qui est très difficile à comprendre pour les non-juristes. Ensuite entre les juges de l’urgence, et les juges du fond, nous avons eu trois juges avec deux positions opposées quant à cette RIIPM. En février, le tribunal administratif a annulé l’autorisation du projet au motif qu’il n’y avait pas de RIIPM. Le chantier a donc dû s’arrêter. En attendant la décision en appel qui n’interviendra pas avant des mois, l’Etat a fait une requête de sursis d’exécution, pour reprendre les travaux. La cour administrative vient de lui donner raison. La justice administrative est humaine. Il y a des questions qu’on ne peut pas traiter comme une équation mathématique. Le droit n’est pas assez précis sur les critères d’appréciation d’une RIIMP, et le critère qui prévaut : l’économie ou la préservation de la biodiversité ? La loi semble avoir une majorité à l’Assemblée pour être votée, mais le chemin est encore long. Il y aura une commission mixte paritaire, puis un vote définitif des députés. Le texte passera ensuite devant le Conseil constitutionnel. La jurisprudence existe, normalement le conseil s’oppose à ce que le travail du juge soit trop perturbé, mais là, personne ne sait qu’elle sera sa décision. Ensuite, si la loi est validée et promulguée avant la décision des juges en appel, la procédure pourrait tout de même se poursuivre. Car il s’agirait d’une validation partielle seulement, les lois de validation totale sont illégales. Le juge n’examinera plus la RIIPM, mais regardera peut-être s’il n’y a pas un motif d’illégalité ailleurs. Non, celle-ci serait une première. Les plus connues jusqu’à présent concernaient des tarifs du péage sur le périphérique de Lyon par exemple, des pensions de retraite de fonctionnaires ou des concours de la fonction publique. Les parlementaires se seraient grandis à attendre au moins la décision du sursis à exécution. Si les travaux se terminent avant la décision en appel, même si l’autorisation est rejugée illégale, il n’y aura sans doute pas de démolition. La loi de validation aura été de toute façon inutile. Là, l’Etat saisit le juge et envoie en même temps le message que ce juge ne sert à rien. Il faut faire très attention. J’espère que le Conseil constitutionnel ne laissera pas passer cette loi. Sinon le précédent serait catastrophique. C’est ce qui m’inquiète. Qu’on soit pour ou contre l’A69, on doit être pour l’Etat de droit. Aux Etats-Unis le président passe son temps à remettre en cause le pouvoir des juges. Dans ce contexte nauséabond, il est regrettable de voir des parlementaires utiliser la loi comme un instrument politique pour contourner une décision de justice.

ARNAUD GOSSEMENT - Une loi de validation a pour but d’éviter qu’une décision administrative soit annulée par le juge administratif. Cela peut paraître choquant que le parlement empêche le


juge de travailler. Mais dans certains cas, quand il y a une décision faiblement illégale, par exemple en raison d’un petit vice de procédure, une annulation aurait des conséquences


disproportionnées. Par exemple, elle peut servir à éviter à des centaines de candidats à un concours de la fonction publique de replancher quand il y a eu un souci pour quelques copies. Ces


lois de validations sont très encadrées. L’article 16 de la Déclaration des droits de l'homme prévoit une stricte séparation des pouvoirs. L’atteinte du parlement au pouvoir du juge ne


peut être que limitée et doit être justifiée par un intérêt général impérieux. Toute l’affaire de l’A69 est une réflexion sur l’intérêt général. Pour exproprier en vue de construire un


ouvrage, il est nécessaire d’obtenir une déclaration d’utilité publique. Puis pour pouvoir entamer la construction, il faut obtenir une autorisation environnementale, composée elle-même de


plusieurs autorisations. L’une d’entre elles est la dérogation espèces protégées, qu’il est normalement interdit de perturber. Pour l’obtenir, il faut démontrer qu’il y a une raison


impérative d’intérêt public majeur (RIIPM). La déclaration d’utilité publique permet d’exproprier, pas de perturber l’environnement. C’est ce qui est très difficile à comprendre pour les


non-juristes. Ensuite entre les juges de l’urgence, et les juges du fond, nous avons eu trois juges avec deux positions opposées quant à cette RIIPM. En février, le tribunal administratif a


annulé l’autorisation du projet au motif qu’il n’y avait pas de RIIPM. Le chantier a donc dû s’arrêter. En attendant la décision en appel qui n’interviendra pas avant des mois, l’Etat a fait


une requête de sursis d’exécution, pour reprendre les travaux. La cour administrative vient de lui donner raison. La justice administrative est humaine. Il y a des questions qu’on ne peut


pas traiter comme une équation mathématique. Le droit n’est pas assez précis sur les critères d’appréciation d’une RIIMP, et le critère qui prévaut : l’économie ou la préservation de la


biodiversité ? La loi semble avoir une majorité à l’Assemblée pour être votée, mais le chemin est encore long. Il y aura une commission mixte paritaire, puis un vote définitif des députés.


Le texte passera ensuite devant le Conseil constitutionnel. La jurisprudence existe, normalement le conseil s’oppose à ce que le travail du juge soit trop perturbé, mais là, personne ne sait


qu’elle sera sa décision. Ensuite, si la loi est validée et promulguée avant la décision des juges en appel, la procédure pourrait tout de même se poursuivre. Car il s’agirait d’une


validation partielle seulement, les lois de validation totale sont illégales. Le juge n’examinera plus la RIIPM, mais regardera peut-être s’il n’y a pas un motif d’illégalité ailleurs. Non,


celle-ci serait une première. Les plus connues jusqu’à présent concernaient des tarifs du péage sur le périphérique de Lyon par exemple, des pensions de retraite de fonctionnaires ou des


concours de la fonction publique. Les parlementaires se seraient grandis à attendre au moins la décision du sursis à exécution. Si les travaux se terminent avant la décision en appel, même


si l’autorisation est rejugée illégale, il n’y aura sans doute pas de démolition. La loi de validation aura été de toute façon inutile. Là, l’Etat saisit le juge et envoie en même temps le


message que ce juge ne sert à rien. Il faut faire très attention. J’espère que le Conseil constitutionnel ne laissera pas passer cette loi. Sinon le précédent serait catastrophique. C’est ce


qui m’inquiète. Qu’on soit pour ou contre l’A69, on doit être pour l’Etat de droit. Aux Etats-Unis le président passe son temps à remettre en cause le pouvoir des juges. Dans ce contexte


nauséabond, il est regrettable de voir des parlementaires utiliser la loi comme un instrument politique pour contourner une décision de justice.