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_« Si la Russie peut prendre une partie du territoire de l’Ukraine, quel sera le sort de Taïwan ou des Philippines ? »_ C’est la question qui résume peut-être le mieux le discours inaugural
qu’a prononcé vendredi Emmanuel Macron au Shangri-La Dialogue (SLD) à Singapour. Le SLD réunit chaque année le gratin mondial de la défense et de la sécurité, mais il demeure généralement
cantonné à des sujets concernant la région Asie-Pacifique. Le clou de l’événement est en général une passe d’armes entre les délégations américaine et chinoise. Cette fois, le président
français, premier leader européen à ouvrir l’événement, lui a donné une portée universelle en pointant les rapports invisibles qui lient des questions en apparence régionales comme
l’Ukraine, Taïwan et la Palestine. Et rappelé, devant des centaines de délégués en uniforme, que_ « l’ordre mondial »_ ne se divisait pas. Ainsi a-t-il fustigé l’engagement de la Chine côté
russe dans son attaque de l’Ukraine. _« Si la Chine ne veut pas de l’OTAN en Asie du Sud-Est, elle devrait empêcher la Corée du Nord de s’engager sur le sol européen »_, a-t-il par exemple
expliqué à propos de la présence de troupes nord-coréennes parmi les combattants russes. De même a-t-il fustigé Israël pour la férocité de son engagement dans la bande de Gaza - des mots qui
portent dans cette région qui compte plusieurs grandes nations musulmanes, dont certaines (la Malaisie, l’Indonésie) n’ont pas reconnu Israël. _« Si nous abandonnons Gaza, nous tuons notre
propre crédibilité »_, a averti Emmanuel Macron. Ce discours inaugural clôture une tournée en Asie du Sud-Est relativement longue, de cinq jours, à travers le Vietnam, l’Indonésie et enfin
Singapour destinée à y raviver la présence française. Il reprenait le thème égrené en route par Emmanuel Macron, tandis que se précise l’affrontement Chine-Etats-Unis, d’une _« troisième
voie » _offerte aux nations _« moyennes »_ de la région. Un chemin de crête qui mènerait, avec l’aide de la France, à leur émancipation et leur permettrait d’éviter _« la soumission et la
conflictualité »_, comme il l’a expliqué vendredi après-midi dans l’enceinte du parlement singapourien, lors d’une conférence de presse commune avec le Premier ministre Lawrence Wong. Au
Vietnam, devant un parterre d’étudiants, Emmanuel Macron avait pareillement aligné le pays-hôte avec le sien, dessinant une coalition des pays moyens libérés du _« casse-noix »_
sino-américain : la France _« n’est pas une de ces deux grandes puissances au monde. Et le Vietnam non plus »_, avait-il reconnu. Derrière ce discours, la France a des intérêts plus
prosaïques : elle voit dans l’immense Asie du Sud-Est, en rapide croissance (+ 4,5 % par an), forte de 680 millions d’habitants, un marché trop négligé - en particulier pour son industrie de
l’armement. Pour le Vietnam, cela veut dire se trouver une place entre la Russie, principal fournisseur du pays, et la Chine. _« Tout reste à faire »_, concède un membre de la mission
présidentielle. Pour l’Indonésie, après la vente de 42 avions Rafale en 2022, la France pourrait en vendre 18 supplémentaires, ainsi que des sous-marins Scorpène. _« Nous avons une relation
très affective avec l’Indonésie »_, poursuit ledit membre de la mission. Quant à Singapour, c’est déjà un marché important pour l’Hexagone. La nomination là-bas en janvier d’un ambassadeur
issu à l’origine du ministère de la Défense, Stephen Marchisio, témoigne de l’importance du sujet pour Paris. _« Il y a un bon momentum en ce moment. Cette idée de non-alignement est dans
l’air depuis longtemps dans la diplomatie française. Mais notre position est encore mal connue en Asie. Ce qui me rend optimiste, c’est qu’Emmanuel Macron fait preuve d’humilité. Il a
compris qu’il faut traiter avec les petits pays »_, explique le chercheur Eric Frecon, de l’Institut australien de stratégie politique. _« Les pays d’Asie cherchent des partenaires pour leur
défense. La France est la seule à pouvoir leur vendre certains types d’armes. Et elle est au Conseil de Sécurité »_, observe Valérie Niquet, chercheuse à la Fondation pour la Recherche
Stratégique. Vendredi, Emmanuel Macron prenait toutefois soin de souligner les limites de la France dans le rôle qu’elle pourrait jouer dans cette lointaine partie du monde - ce que les
militaires appellent _« la tyrannie de la distance »_ qui la sépare de l’Hexagone. _« Construisons une alliance entre l’Europe et l’Asie »_, a-t-il conclu.