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Une équipe de chercheurs vient de découvrir les restes d'un repas partagé plusieurs centaines de milliers d'années avant la sortie d'Afrique de nos ancêtres. Publicité Un
rhinocéros partagé en guise de repas il y a 700.000 ans aux Philippines, soit plus de 600.000 ans avant la plus vieille trace humaine retrouvée sur l'île jusque-là. C'est la
découverte étonnante que rapporte une équipe internationale d'archéologues dans un article publié dans _Nature__ _. Le rhinocéros a été découpé par des mains humaines. Ce sont les
marques laissées sur les os par les outils des bouchers de l'époque qui ont permis de comprendre le sort réservé au mammifère retrouvé sur le site de Kalinga. Il y a 700.000 ans,
l'homme moderne n'était pas sorti d'Afrique et Néandertal n'existait pas encore, mais plusieurs de nos cousins peuplaient déjà une partie du globe. _Homo ergaster_
occupait l'Afrique (avant de laisser sa place 400.000 plus tard à _Homo sapiens_). En Europe, _Homo antecessor_, puis _Homo heidelbergensis_ se succédaient avant d'être supplantés
par Néandertal il y a 350.000 ans. En Asie, le territoire d'_Homo erectus_ s'étendait jusqu'à Pékin, en témoigne un squelette vieux de 700.000 ans. Si la présence
d'hominines (les ancêtres des hommes et leurs proches parents depuis la séparation d'avec les chimpanzés) à des époques aussi lointaines en Asie est avérée depuis plusieurs années,
retrouver des traces humaines sur des îles comme les Philippines reste en soi un vrai mystère. En 2017, sur le site de Callao, à seulement quelques kilomètres des restes du rhinocéros
philippin, un pied d'hominine vieux de 67.000 ans avait déjà été découvert, soit 600.000 ans après ce rhinocéros. Il est donc difficile d'établir un lien direct. Cela témoigne
néanmoins d'une longue période d'occupation. «On n'a pas découvert de restes humains à côté du rhinocéros et on n'a pas découvert d'outil à côté de l'Homme de
Callao», regrette Thomas Ingicco chercheur au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) et premier auteur de ce nouvel article publié dans Nature. «On ne sait donc pas si une même
population a habité l'île pendant plusieurs centaines de milliers d'années, ou bien s'il y a eu plusieurs vagues d'arrivants.» DES CONQUÉRANTS INVOLONTAIRES Plusieurs
hypothèses peuvent expliquer leur présence, mais rien ne peut être affirmé avec certitude. «Le plus probable c'est que ces hominines soient arrivés par accident,» explique le chercheur.
«Des morceaux de terre de plusieurs hectares ont pu se décrocher du continent et dériver jusqu'aux îles, transportant avec eux leur faune et leur flore. De tels phénomènes, que
l'on sait fréquent dans le passé, plaideraient plus pour udes arrivées successives de vagues d'hominines, plutôt que pour l'arrivée massive d'un seul groupe.»
L'hypothèse d'une traversée maritime volontaire ne peut pas non plus être totalement écartée, même si elle reste très improbable. «Les premières traces de navigation datent
d'il y a environ 50.000 ans,» raconte Thomas Ingicco. «Ça me paraît donc peu envisageable dans ce cas précis. Mais les degrés de technicité des hommes de l'époque ne sont
malheureusement pas suffisamment connus pour affirmer quoi que ce soit.» Un degré de technicité sur lequel le rhinocéros peut cependant nous donner quelques indices. «C'est seulement le
troisième site témoignant d'une scène de boucherie découverte dans la région,» explique Thomas Ingicco. «Les traces ont visiblement été faites par de petits outils, alors qu'on a
longtemps pensé que les hominines de l'époque n'utilisaient que des gros outils comme les bifaces.» Les traces laissées sur le squelette ne permettent pas d'affirmer que le
rhinocéros a été chassé. Il aurait pu s'agir d'une charogne dépecée par opportunisme. «On peut simplement dire que le rhinocéros était jeune,» rajoute Thomas Ingicco. «Ce qui ne
veut pas nécessairement dire que les hominines l'ont tué.» DES ÎLES PEUPLÉES D'HOMMES NAINS? Ces découvertes ne sont pas sans rappeler un autre cas d'hominines découverts en
Asie: l'homme de Florès . Sur l'île du même nom (en Indonésie), plusieurs traces témoignent d'une présence «humaine» sur une très longue période: des outils vieux d'un
million d'années, des restes humains datant de 700.000 ans ainsi que le squelette d'un hominine vieux d'au moins 60.000 ans. «Ce squelette témoigne de l'existence
d'une espèce particulière qui se caractérise par sa petite taille (entre 1m et 1m 10)», détaille Thomas Ingicco. Ce «nanisme insulaire» n'est pas propre à l'homme de Florès.
Dans un ce type d'environnement où les prédateurs sont rares, les petites espèces ont tendance à grandir (comme pour les dragons de komodo ou les rats géants d'Indonésie), et les
grands mammifères à rétrécir (il y a 10.000 ans certaines îles grecques étaient peuplées d'éléphants d'1m80). S'agit-il d'une seule espèce repartie sur les archipels
d'Asie du Sud-est? «Pour nous, l'enjeu est de savoir quelle espèce d'hominine peuplait les Philippines à la même époque,» explique le chercheur. «Le pied retrouvé à Callao
semble lui aussi appartenir à un homme de petite taille.» SOIF DE DÉCOUVERTE OU APPEL DU VENTRE? Le chercheur ne désespère pas de trouver d'autres indices plus parlants à l'avenir.
«Le site de fouilles est très petit, mais il peut être agrandi», explique-t-il. «À côté du rhinocéros on a retrouvé plusieurs petits animaux ce qui témoigne d'une très bonne
conservation. Trouver des restes d'hominines comporte toujours sa part de chance, mais ici c'est quelque chose de possible.» Plusieurs centaines de milliers d'années avant la
grande épopée qui a amené _Homo sapiens_ à conquérir le globe, ses cousins avaient déjà peuplé une grande partie de ces territoires. Reste à savoir si ces vagues migratoires ont été poussées
par une soif irrépressible de découverte, ou bien plus trivialement par la faim, qui pousse à aller chercher toujours plus de nourriture et à suivre les mouvements de la faune.