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Elle était membre honoraire du club masculin le plus fermé du monde – leurs sataniques majestés les Rolling Stones. Entre Vénus en perfecto et Nancy Cunard de la poudre blanche, Marianne
Faithfull avait sculpté sa légende de survivante, révérée par les punks, gentrifiée par sa longévité, résidente pérenne de Montparnasse, où son appartement jouxtait la Closerie des Lilas,
zone de stationnement Fitzgerald-Hemingway. La compagne mythique de Mick Jagger, coautrice avec lui et Keith Richards de la chanson « Sister Morphine », aura traversé une mer de décibels et
d'opiacés.
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Une vie de jeune femme à la fin du XXe siècle, ça pouvait être cela : enregistrer dans le même corps un maximum d'expériences secouées. Arrière-petite-nièce de Sacher-Masoch,
petite-fille d'un sexologue inventeur d'une « machine anti-frigidité », la jeune Marianne reçut une éducation libérale, qu'elle évoquait ainsi en 2014 : « Mon père, parfait
germanophone, avait servi comme espion pendant la guerre. Bien des années avant Summerhill, il dirigeait une école expérimentale. Ma mère, ancienne danseuse, était devenue professeure.
L'argent n'était jamais la question chez nous, on se souciait plutôt d'éducation. Je lisais _Winnie l'ourson_, _Le Livre de la jungle_, puis je suis passée à William
Blake et Oscar Wilde vers ma douzième année. J'étais une petite fille assez sophistiquée, comme un modèle de Balthus. »
À LIRE AUSSI MARIANNE FAITHFULL : ICÔNE SIXTIESCela la préparait-il aux sabbats du « Swinging London » ? Comme nombre de ses contemporaines, telles Julie Christie, Jane Birkin ou Vanessa
Redgrave, la jeune Marianne Faithfull, aspirante chanteuse, se trouva soulevée avec ravissement par le nouvel air du temps. Dans ses Mémoires, elle en rappelait ainsi le programme : «
l'amour libre, les drogues psychédéliques, la mode, le zen, Nietzsche, les bijoux tribaux, l'existentialisme sur mesure, l'hédonisme et le rock'n roll ». Dès 1964, elle
entrait en scène avec la ballade « As Tears Go By », un hymne mémorable qui restera sa signature à vie.
Vint sa phase de première légende. C'était le temps où la brigade anti-stupéfiants faisait irruption dans la demeure de Keith Richards, Redlands, pour trouver une Faithfull nue sous un
manteau de fourrure, en sympathie de mémoire avec son aïeul Sacher-Masoch. L'époque où les Rolling Stones arrivaient à leur procès pour usage de substances prohibées avec vestes de soie
et chemises à jabots jaunes, une allure de jeunes lords élisabéthains avant le billot. En un sens, Marianne Faithfull fut la nonne des Rolling Stones : hormis une brève romance avec
Jean-Marie Périer, éconduits les Bob Dylan et Jimi Hendrix, les Alain Delon et Rod Stewart. Sa chose, c'était les Stones. « I Know, It's only rock'n roll, But I Like It. »
À son tableau de chasse : un fiasco avec Brian Jones, des ébats sous LSD avec Keith Richards, des trios jaggeriens à Tanger, du touche-touche avec Anita Pallenberg, une nuit de défonce dans
les jardins de la villa Médicis. Restant très british, elle voyait surgir les vieux dandies des années 1930, Noel Coward ou Cecil Beaton, fort intéressés par le cas Jagger, lequel inaugurait
alors son côté « j'avale du Mandrax chez le comte de Warwick ». La rupture entre eux fut sanglante, appelant des années après cette sentence dans la bouche de l'égérie : « Mick a
cette qualité qu'avaient aussi Hitler et Goering : adorable avec les chiens et les enfants. »
La France la courtisait, on la vit en 1968 au cinéma dans La Motocyclette de Jack Cardiff, d'après le roman d'André Pieyre de Mandiargues, et à la télévision dans la comédie
musicale Anna de Serge Gainsbourg. Quant à Godard, il l'avait filmée chantant « As Tears Go By » pour Made in USA, son manifeste prégauchiste de 1966. Mais la spirale de la came allait
la jeter dans les abîmes des années 1970.
Ce fut l'itinéraire d'une maudite, à l'image de ce bal blanc chez le prince Löwenstein où elle apparut intégralement vêtue de cuir noir. Plus tard, elle parlera de « la dame
des ténèbres » qu'elle était « devenue ». Doses létales de somnifères, cocaïne, extrême onction, amphétamines, héroïne, et l'on en passe, non sans un certain sens esthétique.
D'un voyage sous LSD, elle dira : « Ma lampe de chevet se changeait en monument de la Troisième-Internationale par Tatline. » N'empêche, une muse peut muter en épave. La madone
pour laquelle Jagger écrivait « Let's Spend the Night Together » et « You Can't Always Get What You Want » devenait une goule à la William Burroughs, une reine junkie traînant avec
les Sex Pistols ou écrivant des hymnes à Ulrike Meinhof.
En 1979, l'album Broken English la ramena dans l'œil public. Voix rauque de fumeuse, sens des attitudes déchirées, dignité rock, une carrière solo allait se développer sous le
regard attendri de ses neveux musicaux, de Damon Albarn à Étienne Daho. En pleines grèves de 1995, on la vit en récital expressionniste au New Morning, avec ce commentaire : « On m'a
cataloguée haute société à cause de mon allure et de ma chevelure blonde, alors que je suis une germano-juive avec une empreinte Mitteleuropa, ce qui me porte à interpréter les chansons de
Kurt Weill et Bertolt Brecht. »
À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre Une Faithfull désintoxiquée vécut un temps en Irlande dans une folie du XVIIIe siècle, avant de fixer à Paris le centre de ses intérêts. Une
nouvelle génération venait l'entendre au long de ses tournées. La nymphe était devenue princesse douairière du rock, une sorte d'institution nimbée des prestiges de la survivante.
En 2014, faisant l'honneur avec une mesure toute britannique des bacs à fleurs sur son balcon, Marianne Faithfull nous découvrait quelques chansons de son album à paraître, _Give My
Love to London_. Un moment, elle sembla écouter sa propre voix comme une archive fatiguée. Nulle pétition de nostalgie, pourtant. De manière détachée, mais déjà testamentaire, elle concluait
ainsi : « Mon seul regret, c'est d'avoir heurté ma mère. Sinon, je ne réécris rien, je signe tout. Je ne suis pas bouddhiste, mais je me sens portée par la justesse de
l'intensité et du travail. Je suis fière de ma génération, d'avoir pu mener une carrière musicale sans blesser quiconque. Je ne regarde jamais en arrière, même si je devrais le
faire pour mesurer combien tout cela a été merveilleux. »