Play all audios:
SCIENCES. LE PROFESSEUR MARSEILLAIS A RÉPONDU AUX QUESTIONS, SOUVENT BIENVEILLANTES, DES SÉNATEURS. NON SANS S'ARRANGER AVEC LA VÉRITÉ. L'accueil a été frais, bien plus qu'à
l'Assemblée nationale le 24 juin. L'audition de Didier Raoult devant le Sénat a débuté par un sévère recadrage de René-Paul Savary, le vice-président de la commission
d'enquête sur la gestion de la crise du Covid-19. "Alors que dans d'autres pays, la réponse à l'épidémie a été incarnée par un médecin qui a réussi à entraîner la
population derrière ses recommandations, en France, des propos discordants ont beaucoup nui et ont contribué à faire monter le niveau d'inquiétude", a rappelé l'élu Les
Républicains. _LIRE AUSSI >> __FACT-CHECKING : LES HUIT CONTRE-VÉRITÉS DE DIDIER RAOULT FACE À LA COMMISSION D'ENQUÊTE_ Un tacle lié au refus de Didier Raoult de répondre à
l'invitation initiale de la commission : participer à une table ronde avec l'infectiologue Yazdan Yazdanpanah, membre du conseil scientifique et l'épidémiologiste Dominique
Costagliola, chercheurs reconnus et impliqués au plus haut niveau de la gestion de la crise. "Je ne veux pas me retrouver à discuter avec des gens qui disent que je fraude. On ne peut
pas m'insulter et me demander ensuite de venir débattre en toute sérénité, je ne le ferai jamais, c'est au-dessus de mes forces", a plaidé le directeur de l'IHU, masque
sous le nez. C'est peu dire que les sénateurs n'ont pas apprécié le camouflet : "Professeur, je vous le dis tranquillement, vous ne nous aidez pas dans notre tâche", a
insisté Bernard Jomier, le corapporteur de la commission d'enquête. "Nous ne sommes pas des scientifiques et nous aurions préféré éviter des monologues sans contradictoire", a
précisé René-Paul Savary. UN TAPIS ROUGE DÉROULÉ PAR LES RAPPORTEURS Et de contradictoire, il en aurait été bien nécessaire lors de cette audition de plus de deux heures. Car si Bernard
Jomier et René-Paul Savary, ainsi que quelques autres rares élus, se sont montrés offensifs, la plupart des sénateurs se sont contentés de tendre des perches au chercheur marseillais, lui
permettant de dérouler en toute tranquillité les contre-vérités qu'il assène avec constance depuis plusieurs mois. Certains n'ont pas hésité à lui tresser des louanges, à
l'instar de Sylvie Vermeillet, de l'Union centriste : "Vous nous avez donné de l'espoir au moment où on nous disait de rester chez nous avec des boîtes de
doliprane". Ou encore de Roger Karoutchi, des Républicains : "Que pensez-vous du fait que les médecins ont été contraints de ne pas appliquer votre traitement et ne pas pouvoir le
prescrire à un moment où les autorités scientifiques affirmaient qu'il n'y avait pas de médicament ? Est-ce normal en 2020 de dire 'restez chez vous et prenez du
doliprane' ?". Une question d'ailleurs reformulée plus tard par d'autres élus... Faute d'autre parole scientifique, personne n'a pu lui rappeler qu'il
n'est pas justifié d'utiliser un traitement dont l'efficacité n'est pas démontrée, en dehors de tout essai clinique. Seul Bernard Jomier a osé lister les nombreux pays et
de l'Organisation mondiale de la Santé qui déconseillent ou interdisent l'usage de l'hydroxychloroquine. "La science a parlé, personne ne recommande
l'hydroxychloroquine [...] est-ce que le monde entier est dans l'erreur ?", a-t-il demandé. Ce qui a suffi à déstabiliser un instant le Pr. Raoult, gratifiant le sénateur
d'un "Chacun son métier et les vaches seront bien gardées" plutôt mal venu dans cette assemblée. UNE DÉFENSE INÉPUISABLE DE L'HYDROXYCHLOROQUINE Pour le reste, le
chercheur est encore une fois apparu droit dans ses bottes et sûr de son fait. Tentant comme à son habitude de laisser croire que le débat scientifique n'est pas clos. "Les
chiffres jugeront", a-t-il lancé à plusieurs reprises, jouant l'innocent face aux sénateurs. "Je suis surpris de l'ampleur que tout cela a pris", s'est-il même
autorisé, alors même qu'il a été le premier à annoncer un potentiel traitement miracle en pleine période d'incertitude et de doutes, ce qui a logiquement suscité d'immenses
espoirs. _LIRE AUSSI >> VISÉ PAR UNE PLAINTE À L'ORDRE DES MÉDECINS, QUE RISQUE VRAIMENT LE PROFESSEUR RAOULT ?_ Le professeur marseillais a donc eu le champ libre pour proférer
des propos a minima discutables, voire tout simplement mensongers. Il est notamment revenu sur son argument favori en faveur de la chloroquine et de l'hydroxychloroquine : selon lui,
puisqu'il s'agit d'un médicament pris par des milliards de personnes dans le monde, il ne "peut donc pas avoir tué 10% des patients" et aurait même permis
d'éviter "30 à 50% de mortalité". Des arguments, à quelques pourcentages près, déjà utilisés devant les députés, mais déjà contredits à maintes reprises par la communauté
scientifique. Car c'est un fait, huit essais randomisés contrôlés portant sur l'hydroxychloroquine ont démontré que son usage, que ce soit au début de la maladie, lors de la phase
virale ou inflammatoire, n'a jamais démontré la moindre efficacité. Pire encore, cette molécule peut avoir des effets indésirables cardiaques. Un risque acceptable dans les pathologies
où il apporte un bénéfice, mais pas dans le cas contraire. D'autant que ce risque pourrait se voir amplifié à la fois par le Covid-19, qui a lui-même des effets cardio-vasculaires, mais
surtout par la combinaison avec l'azithromycine que préconise le Pr. Raoult, comme l'a montré une méta analyse publiée fin août et portant sur 33 000 patients démontrant que le
traitement du Pr. Raoult est non seulement inefficace, "mais potentiellement dangereux quand les deux molécules hydroxychloroquine et azithromycine sont associées. Le Pr. Raoult le sait
bien lui-même puisque, comme il l'a rappelé lors de son audition, lui-même fait faire des examens cardiaques poussés aux patients à qui il prescrivait son traitement. _LIRE AUSSI
>> __HYDROXYCHLOROQUINE ET AZITHROMYCINE, FIN DE PARTIE POUR LE TRAITEMENT DU PR. RAOULT_ Sous serment, Didier Raoult n'a pas non plus hésité à affirmer qu'il n'a jamais
commis de fraude. "Une fille qui me traque depuis que je suis célèbre a réussi à trouver cinq erreurs sur 3500 publications _[ce qui représente une publication tous les quatre jours,
sans discontinuité, pendant 40 ans de carrière_]. Il y en a probablement beaucoup plus, mais je ne suis qu'un pauvre humain, je fais des erreurs comme tout le monde", a-t-il lancé.
> «Je n'ai jamais fraudé de ma vie» déclare Didier Raoult, dans le > cadre de la commission d'enquête sur le Covid-19 du Sénat > pic.twitter.com/jRADFFElTu > — CNEWS
(@CNEWS) September 15, 2020 La "fille" en question n'est autre qu'Elisabeth Bik, une scientifique spécialiste de l'intégrité et de la fraude scientifique qui
n'a pas trouvé cinq erreurs, mais a repéré "des erreurs manifestes dans 11 articles du Pr. Raoult", a-t-elle tweeté peu de temps après la fin de l'audition. Son équipe et
lui ont d'ailleurs été interdits de publication pour cinq ans dans une douzaine de revues de microbiologie dont celles de l'_American Society of Microbiology_ pour des erreurs
manifestes. > Two additional errors made by @raoult_didier here. > 1. I am not a girl ("fille") - I am a women and a scientist. > 2. I have flagged and officially
reported 11 papers by DR for > integrity concerns and serious errors. In total, 30 DR papers have > been flagged on @PubPeer.#FactCheck https://t.co/y4DKfXOpWS > — Elisabeth Bik
(@MicrobiomDigest) September 15, 2020 Le Pr. Raoult est également revenu sur l'inutilité supposée des essais randomisés contre placebo, comme lors de son audition face au députés. Ce
type d'essai, qui consiste à sélectionner des patients au hasard et à leur attribuer un traitement de manière aléatoire, permet pourtant d'assurer que les deux groupes - patients
traités avec un traitement ou sans - ont le même risque face à la maladie au départ. Ils sont considérés par l'ensemble de la communauté scientifique mondiale comme la Rolls de la
démonstration scientifique permettant d'éviter les manipulations de résultats. "DIFFICILE DE RECONNAÎTRE SES ERREURS" Sur la question polémique du moment, à savoir le rôle du
conseil scientifique, le Pr. Raoult a encore une fois, comme devant les députés, entretenu la confusion. Il reproche en effet à l'instance présidée par le Pr. Delfraissy de ne pas avoir
correctement orienté la recherche ni demandé les études - ce qui n'est pas le rôle du conseil scientifique - qui auraient été nécessaires pour clore le débat sur la chloroquine, alors
qu'il a lui-même refusé de mener des essais randomisés contre placebo. Tentative de gagner du temps et d'éviter les questions embarrassantes ? Didier Raoult a beaucoup insisté sur
ses travaux sur les mutations du virus, noyant les sénateurs sous des considérations sur la génétique et la qualité des travaux menés à l'IHU sur cette question. Insistant sur
l'ampleur des mutations repérées par ses soins, semant encore une fois la confusion auprès des sénateurs à qui d'autres experts avaient dit que le virus ne mutait que
marginalement, il a finalement affirmé, après de longues explications, que les mutations qu'il a repérées allaient sans doute plutôt dans le sens d'une moindre virulence du
Sars-CoV-2. En fin d'audition, le truculent professeur a néanmoins glissé qu'il avait du mal à reconnaître ses erreurs. Sur ce point, il aura au moins mis tout le monde
d'accord.